vendredi 6 mars 2009

Le printemps des poètes / 5

Tristan Corbière
(1845-1875)


I sonnet
avec la manière de s’en servir

Réglons notre papier et formons bien nos lettres :

Vers filés à la main et d’un pied uniforme,
Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton ;
Qu’en marquant la césure, un des quatre s’endorme….
Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.

Sur le railway du Pinde est la ligne, la forme ;
Aux fils du télégraphe : — on en suit quatre, en long ;
À chaque pieu, la rime — exemple : chloroforme,
— Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.

— Télégramme sacré — 20 mots. — Vite à mon aide….
(Sonnet — c’est un sonnet —) ô Muse d’Archimède !
— La preuve d’un sonnet est par l’addition :

— Je pose 4 et 4 = 8 ! Alors je procède,
En posant 3 et 3 ! — Tenons Pégase raide :
« Ô lyre ! Ô délire ! Ô…. » — Sonnet — Attention !

Pic de la Maladetta. — Août.


La Pipe au poète

Je suis la Pipe d’un poète,
Sa nourrice, et : j’endors sa Bête.

Quand ses chimères éborgnées
Viennent se heurter à son front,
Je fume… Et lui, dans son plafond,
Ne peut plus voir les araignées.

… Je lui fais un ciel, des nuages,
La mer, le désert, des mirages ;
– Il laisse errer là son œil mort…

Et, quand lourde devient la nue,
Il croit voir une ombre connue,
– Et je sens mon tuyau qu’il mord…

– Un autre tourbillon délie
Son âme, son carcan, sa vie !
… Et je me sens m’éteindre. – Il dort –

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

– Dors encor : la Bête est calmée,
File ton rêve jusqu’au bout…
Mon Pauvre !… la fumée est tout.
– S’il est vrai que tout est fumée…
Paris. – Janvier.


Le Crapaud
Un chant dans une nuit sans air…
– La lune plaque en métal clair
Les découpures du vert sombre.

… Un chant ; comme un écho, tout vif
Enterré, là, sous le massif…
– Ça se tait : Viens, c’est là, dans l’ombre…

– Un crapaud ! – Pourquoi cette peur,
Près de moi, ton soldat fidèle !
Vois-le, poète tondu, sans aile,
Rossignol de la boue… – Horreur ! –

… Il chante. – Horreur !! – Horreur pourquoi ?
Vois-tu pas son œil de lumière…
Non : il s’en va, froid, sous sa pierre.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Bonsoir – ce crapaud-là c’est moi.
(Extrait de Les amours jaunes, édité par Wikisource.)

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