vendredi 25 septembre 2009

Ils ont bon goût, les libraires

Comme chaque année, Livres Hebdo a demandé aux libraires français quels étaient leurs coups de cœur de la rentrée littéraire. Je ne sais pas quand ceux-ci trouvent le temps de lire entre toutes les tâches administratives auxquelles ils ne peuvent échapper, mais ils lisent. (18 livres chacun en moyenne pour les libraires de premier niveau.) Et ils lisent plutôt bien. En tout cas, je ne suis pas loin de partager leurs choix. Leurs premiers choix, au moins, aussi bien dans le domaine français que dans le domaine étranger.

Côté français, voici Laurent Mauvignier et Des hommes. Je viens de le terminer. C'est mieux qu'un bon roman, c'en est un très bon. L'écriture de Mauvignier fait merveille pour creuser les secrets de quelques existences, en particulier celle de Bernard, dit Feu-de-Bois, et celle de son cousin Rabut. Ils se retrouvent à l'occasion d'une altercation, pendant une fête d'anniversaire de Solange, une sœur de Bernard. Remontent alors des souvenirs vieux de quarante ans, venus de la guerre d'Algérie à laquelle ils ont participé - sans qu'on leur demande leur avis, bien entendu. Il y a des pages terribles sur les opérations menées de part et d'autre, avec une violence et une cruauté qui dépasse l'entendement. Il y a aussi des moments d'introspection au cours desquels se posent des questions existentielles graves. Tout cela est amené avec un naturel qui force le respect et l'admiration. Laurent Mauvignier sait faire entendre les voix de ses personnages, quand bien même ceux-ci seraient égarés Dans la foule - pour reprendre le titre de son roman précédent, qui vient d'être réédité au format de poche et qui est lui aussi remarquable. Il sait poser un décor, faire comprendre les situations, tourner autour d'une scène pour l'envisager sous plusieurs facettes. Laurent Mauvignier a tout d'un grand. Son nouveau roman est sélectionné pour les prix Goncourt, Goncourt des Lycéens, Décembre, Médicis et Femina. Les libraires le défendent. Tout cela est largement mérité. Un grand succès public viendrait agréablement compléter le succès d'estime qu'il a recueilli pour ses livres précédents.

Côté étranger, les libraires ont pris moins de risques. Carlos Ruiz Zafón avait déjà conquis d'innombrables lecteurs dans le monde entier avec L'ombre du vent, traduit en français il y a cinq ans. Le jeu de l'ange est à la hauteur des espérances - car je ne suis pas de ceux qui se détournent systématiquement des livres à gros tirage sous prétexte qu'ils seraient forcément sans qualité. Je n'ai pas sauté une ligne de cet épais roman - alors que je n'avais pas lu le précédent. C'est un formidable feuilleton d'une grande intelligence, dans lequel la littérature occupe une place centrale. Le personnage principal, David (et non Daniel comme je l'ai malencontreusement nommé dans un article), est un écrivain surdoué dont la production baroque n'est pas digne de ses véritables capacités. Il vit à Barcelone dont la face sombre est largement évoquée...
Pour m'être penché un peu sur L'ombre du vent (dont le héros s'appelle Daniel, d'où probablement ma confusion), je peux ajouter que le nouveau roman de Carlos Ruiz Zafón emprunte quelques éléments au précédent, tout en se situant plus tôt dans le temps. Une prequel, comme on dit, puisque le contraire d'une suite semble ne pas exister en français.

Pour finir de saluer les choix des libraires, je signalerai aussi que les romans arrivant en deuxième position sont de ceux dont j'ai déjà dit ici tout le bien que je pensais: Trois femmes puissantes, de Marie Ndiaye, et Et que le vaste monde poursuive sa course folle, de Colum McCann.

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