mardi 29 septembre 2009

Kossi Efoui, prix des Cinq Continents

Je n'ai malheureusement pas lu Solo d'un revenant, qui a valu hier à son auteur, Kossi Efoui, le prix des Cinq Continents, première grande récompense francophone d'une saison qui sera longue. Et au cours de laquelle il y aura beaucoup d'espoirs déçus. Kossi Efoui, qui avait déjà reçu pour ce roman le prix Tropiques et le prix Ahmadou Kourouma.
Il collectionne les lauriers: prix du concours théâtral interafricain de RFI ainsi que le Grand prix Tchicaya U Tam’si pour Le Carrefour;Grand prix littéraire de l'Afrique noire pour La fabrique de cérémonies. Celui-là, je l'avais lu. Et aimé. Voici ce que j'avais écrit.
Edgar Fall visite l'Afrique en cherchant les endroits les moins recommandables, ceux qui plairont aux lecteurs de Périple Magazine et les inciteront à voyager dangereusement, pour s'offrir les poussées d'adrénaline qui leur manquent au quotidien. Kossi Efoui, Africain lui-même, a tout compris de la séduction morbide que peuvent exercer sur les Occidentaux les aspects les moins reluisants de son continent. Mais il cherche encore comment réconcilier tradition et mondialisation, dans une quête éperdue d'identité. Elle est menée avec un humour féroce qui ne nous fait grâce de rien ni de personne.
Né au Togo en 1962, mieux connu pour son théâtre que pour ses romans, Kossi Efoui a bien des choses à nous dire... Dans ce troisième roman, en particulier, présenté en quelques lignes par son éditeur:
Le narrateur revient dans son pays après dix ans de massacres. Ce faisant, il cherche à comprendre comment son ami Mozaya est mort, et à retrouver un certain Asafo Johnson avec lequel il avait fondé une troupe de théâtre en ses années d'étudiant. La vie renaît, hantée par de vieilles et mortelles litanies, ces phrases-talismans qui se recourbent sur elles-mêmes comme la queue du scorpion.
Je rappelle, à propos des prix littéraires de cette année, que je tiens à jour une page d'ailleurs transformée à l'instant, puisque les lauréats rejoignent le calendrier dans les sélections des prix littéraires 2009.

lundi 28 septembre 2009

Quelques sujets que je voudrais aborder avec Leonora Miano

Je viens de terminer la lecture des Aubes écarlates, le quatrième roman de Leonora Miano. Un livre solide et âpre, qui pousse à la réflexion. Et qui suscite des questions.
Cela tombe bien, dans une heure, si tout se passe bien, je devrais avoir l'occasion de bavarder avec elle par téléphone. Les sujets se bousculent un peu dans ma tête. Je vais quand même, pour vous autant que pour moi, tenter de les organiser ici. Elle ne sait pas encore sur quel terrain je veux l'emmener - mais c'est celui de son livre, elle ne devrait donc pas être surprise. En voici, en avant-première, une visite rapide, où il manquera forcément les réponses de l'écrivaine. Ces réponses paraîtront, un de ces jours, dans Le Soir.
  • Cinquante après ce que Kourouma appelait Les soleils des indépendances, l'Afrique telle qu'elle est décrite ici semble désespérante...
  • Face à cela, est-ce de la colère qu'on éprouve, avec la nécessité de la traduire en mots?
  • La violence d'aujourd'hui semble être une négation de l'Histoire, en particulier celle de la traite négrière. A moins qu'elle en soit la continuation? Une ligne paraît se dessiner entre la traite et les enfants soldats...
  • Pourquoi les romans ne sont-ils pas parus dans le même ordre que celui où ils ont été écrits? L'intérieur de la nuit a été suivi par Contours du jour qui vient, alors que Les aubes écarlates est le deuxième volet de cette "trilogie africaine".
  • Je m'interroge sur l'usage de l'italique pour signaler (souligner?) certains mots: rebelles, combattants, révolution, communauté internationale... Parce qu'ils n'ont pas le même sens pour tout le monde?
  • L'avenir de l'Afrique passe par les femmes, dit-on souvent. Ce roman semble en être une nouvelle illustration.
... et d'autres questions devraient surgir en cours de conversation, bien entendu.

vendredi 25 septembre 2009

Ils ont bon goût, les libraires

Comme chaque année, Livres Hebdo a demandé aux libraires français quels étaient leurs coups de cœur de la rentrée littéraire. Je ne sais pas quand ceux-ci trouvent le temps de lire entre toutes les tâches administratives auxquelles ils ne peuvent échapper, mais ils lisent. (18 livres chacun en moyenne pour les libraires de premier niveau.) Et ils lisent plutôt bien. En tout cas, je ne suis pas loin de partager leurs choix. Leurs premiers choix, au moins, aussi bien dans le domaine français que dans le domaine étranger.

Côté français, voici Laurent Mauvignier et Des hommes. Je viens de le terminer. C'est mieux qu'un bon roman, c'en est un très bon. L'écriture de Mauvignier fait merveille pour creuser les secrets de quelques existences, en particulier celle de Bernard, dit Feu-de-Bois, et celle de son cousin Rabut. Ils se retrouvent à l'occasion d'une altercation, pendant une fête d'anniversaire de Solange, une sœur de Bernard. Remontent alors des souvenirs vieux de quarante ans, venus de la guerre d'Algérie à laquelle ils ont participé - sans qu'on leur demande leur avis, bien entendu. Il y a des pages terribles sur les opérations menées de part et d'autre, avec une violence et une cruauté qui dépasse l'entendement. Il y a aussi des moments d'introspection au cours desquels se posent des questions existentielles graves. Tout cela est amené avec un naturel qui force le respect et l'admiration. Laurent Mauvignier sait faire entendre les voix de ses personnages, quand bien même ceux-ci seraient égarés Dans la foule - pour reprendre le titre de son roman précédent, qui vient d'être réédité au format de poche et qui est lui aussi remarquable. Il sait poser un décor, faire comprendre les situations, tourner autour d'une scène pour l'envisager sous plusieurs facettes. Laurent Mauvignier a tout d'un grand. Son nouveau roman est sélectionné pour les prix Goncourt, Goncourt des Lycéens, Décembre, Médicis et Femina. Les libraires le défendent. Tout cela est largement mérité. Un grand succès public viendrait agréablement compléter le succès d'estime qu'il a recueilli pour ses livres précédents.

Côté étranger, les libraires ont pris moins de risques. Carlos Ruiz Zafón avait déjà conquis d'innombrables lecteurs dans le monde entier avec L'ombre du vent, traduit en français il y a cinq ans. Le jeu de l'ange est à la hauteur des espérances - car je ne suis pas de ceux qui se détournent systématiquement des livres à gros tirage sous prétexte qu'ils seraient forcément sans qualité. Je n'ai pas sauté une ligne de cet épais roman - alors que je n'avais pas lu le précédent. C'est un formidable feuilleton d'une grande intelligence, dans lequel la littérature occupe une place centrale. Le personnage principal, David (et non Daniel comme je l'ai malencontreusement nommé dans un article), est un écrivain surdoué dont la production baroque n'est pas digne de ses véritables capacités. Il vit à Barcelone dont la face sombre est largement évoquée...
Pour m'être penché un peu sur L'ombre du vent (dont le héros s'appelle Daniel, d'où probablement ma confusion), je peux ajouter que le nouveau roman de Carlos Ruiz Zafón emprunte quelques éléments au précédent, tout en se situant plus tôt dans le temps. Une prequel, comme on dit, puisque le contraire d'une suite semble ne pas exister en français.

Pour finir de saluer les choix des libraires, je signalerai aussi que les romans arrivant en deuxième position sont de ceux dont j'ai déjà dit ici tout le bien que je pensais: Trois femmes puissantes, de Marie Ndiaye, et Et que le vaste monde poursuive sa course folle, de Colum McCann.

jeudi 24 septembre 2009

Prix Interallié: première sélection

Dernier des grands prix littéraires d'automne à livrer sa liste, l'Interallié sera attribué le 10 novembre. Comme les autres jurys (je ne parle que des principaux), celui-ci a retenu le roman de David Foenkinos, La délicatesse, certes un bon livre - mais pas au point de mériter un engouement collectif, à moins de raisons qui m'échappent. On verra plus clair à l'heure de la deuxième sélection, le 14 octobre. Qui, comme celles de toute la saison, sera, le moment venu, sur cette page.
En attendant, voici les onze titres de la première sélection.

Elisabeth Barillé. Heureux parmi les morts (Gallimard)
Bernard Chapuis. Le rêve entouré d'eau (Stock)
Jean-Louis Ezine. Les taiseux (Gallimard)
David Foenkinos. La délicatesse (Gallimard)
Jean-Michel Guenassia. Le club des incorrigibles optimistes (Albin Michel)
Yannick Haenel. Jan Karski (Gallimard)
Simon Liberati. L'hyper Justine (Flammarion)
Jean-Pierre Milovanoff. L'amour est un fleuve de Sibérie (Grasset)
Minh Tran Huy. La double vie d'Anna Song (Actes Sud)
Gérard Oberlé. Mémoires de Marc-Antoine Muret (Grasset)
Gérard Pussey. Les succursales du ciel (Fayard)

samedi 19 septembre 2009

Seul Yann Moix a compris Michael Jackson

Vous avez lu, comme tout le monde, quantité d'articles à la mort de Michael Jackson, dans les jours et les semaines qui l'ont suivie. Vous avez vu des reportages, écouté des commentaires. Vous savez tout, plus personne ne peut rien vous apprendre.
C'est ce que vous pensiez.
Vous vous trompiez.
Yann Moix débarque avec un petit livre écrit à toute allure, Cinquante ans dans la peau de Michael Jackson, et vous explique que tout le monde avait tort, que personne n'a jamais rien compris à Michael Jackson, que lui seul est capable de décrypter l'insondable mystère d'un homme qui a fini par vaincre l'adulte en lui.
Assénées avec force, ses théories n'en sont pas moins vaseuses et participent plus du ressassement que de la démonstration. Une conviction intime ne fait pas une preuve, tous les juristes vous le diront.
Bien sûr, Yann Moix n'est pas juriste - on ne le lui demande d'ailleurs pas. Mais il aurait pu nous épargner ces pages qui ne sont pas davantage d'un écrivain.

mercredi 16 septembre 2009

Dan Brown déjà piraté

Le Figaro publiait hier un article très documenté sur Les secrets de la suite du "Da Vinci Code". Les techniques les plus éprouvées du marketing ont été mises en œuvre pour assurer à The Lost Symbol un lancement digne d'un nouveau volume de Harry Potter. Ouverture des librairies à minuit, ou plutôt à 0 heure 1 minute le mardi 15 septembre, site Internet et tout ce qui tourne autour, mise en haleine des nombreux lecteurs du Da Vinci Code dont les 82 millions d'exemplaires vendus ont de quoi nourrir l'attente d'une suite. Imprimée déjà, pour les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, à plus de sept millions d'exemplaires.
Pour rendre le lancement parfait, il fallait aussi cultiver le secret autour de ce nouveau roman. Des mesures rigoureuses ont été prises pour empêcher la moindre fuite susceptible de déflorer le mystère de cette nouvelle énigme. Apparemment, cela a plutôt bien fonctionné. Il semblait impossible de savoir quoi que ce soit du livre avant sa mise en vente, sinon quelques éléments lâchés au compte-goutte par les éditeurs, en particulier avec la prépublication des premières pages.
Mais, une fois l'ouvrage disponible, il devenait difficile de freiner les petits malins qui avaient décidé de le faire circuler gratuitement. Sur les réseaux P2P, il n'a pas fallu attendre longtemps avant de trouver une édition pirate du livre. Hier, vers 20 heures (heure française), The Lost Symbol a surgi brusquement. Onze heures plus tard, il a déjà été téléchargé 4500 fois. Une paille, sans doute, par rapport au tirage initial. Mais cette paille montre bien que le livre n'est pas plus à l'abri du piratage que la musique ou le cinéma. La vente de fichiers électroniques, une autre forme (légale) de circulation des œuvres, simplifie évidemment la tâche des pirates. Il suffit de briser l'éventuel code de protection du fichier pour le lâcher dans la nature.
Pareille (més)aventure arrivera peut-être aussi à la version française, Le symbole perdu, sur laquelle travaillent actuellement deux traducteurs, avec pour mission de remettre leur copie à temps pour une sortie prévue le 27 novembre. D'ici là, le livre est disponible en... précommande.

La première sélection du prix Femina

Ça continue... Le prix Femina, qui sera attribué le 9 novembre, a lui aussi annoncé ses sélections, pour les romans français et étrangers. Ici aussi, Gallimard est à la fête avec quatre romans français (presque cinq, avec un titre du Mercure de France). Le Seuil pointe en seconde position (oui, c'est comme une course, les prix littéraires).
Je note, en romans étrangers, la présence d'un livre venu de Suisse où les excellentes Editions Zoé font depuis longtemps un travail remarquable - et très remarqué cette année puisque le prix Wepler-La Poste a aussi sélectionné une autre de leurs publications, le dernier ouvrage de Jean-Marc Lovay (écrivain dont il est question dans BW, de Lydie Salvayre, sélectionné ici).

Romans français

Gwenaëlle Aubry: "Personne" (Mercure de France)
David Foenkinos: "La délicatesse" (Gallimard)
Brigitte Giraud: "Une année étrangère" (Stock)
Yannick Haenel: "Jan Karski" (Gallimard)
Eric Holder: "Bella ciao" (Seuil)
Dany Laferrière: "L'énigme du retour" (Grasset)
Francine de Martinoir: "L'aimé de juillet" (Jacqueline Chambon)
Catherine Mavrikakis: "Le ciel de Bay City" (Sabine Wespieser)
Laurent Mauvignier: "Des hommes" (Editions de Minuit)
Laurence Plazenet: "La blessure et la soif" (Gallimard)
Noëlle Revaz: "Efina" (Gallimard)
Lidye Salvayre: "BW" (Seuil)

Romans étrangers

Gil Adamson: "La veuve" (Bourgois)
Nadeem Aslam: "La vaine attente" (Seuil)
Sebastian Barry: "Le testament caché" (Joëlle Losfeld)
Neil Bissondath: "Cartes postales de l'enfer" (Phébus)
Abha Dawesar: "L'Inde en héritage" (Héloise d'Ormesson)
Junot Diaz: "La brève et merveilleuse vie d'Oscar Wao" (Plon)
Elena Ferrante: "Poupée volée" (Gallimard)
Paolo Giordano: "La solitude des nombres premiers" (Seuil)
Carol Ann Lee: "La rafale des tambours" (Quai voltaire)
Anna Luisa Pignatelli: "Noir toscan" (La Différence)
Mathias Zschokke: "Maurice à la poule" (Zoé)

Je vous rappelle que toutes les sélections des principaux prix d'automne sont accessibles dans une page que j'ai créée à cet effet.

mardi 15 septembre 2009

La première sélection du prix Goncourt

Toujours très attendue, la première sélection du prix Goncourt est arrivée. Le prix sera décerné le 2 novembre et tous ne seront évidemment pas élus.
La liste est intéressante, reprend quelques-uns des livres dont on parle beaucoup en ce début de rentrée littéraire, fait la part belle à Gallimard (cinq titres sur quatorze) et distribue les neuf autres ouvrages retenus entre presque autant d'éditeurs (Minuit est quand même présent deux fois).

Edem Awumey : "Les pieds sales" (Seuil)
Sorj Chalandon : "La légende de nos pères" (Grasset)
Daniel Cordier : "Alias Caracalla" (Gallimard)
David Foenkinos : "La délicatesse" (Gallimard)
Eric Fottorino : "L'homme qui m'aimait tout bas" (Gallimard)
Jean-Michel Guenassia : "Le club des incorrigibles optimistes" (Albin Michel)
Yannick Haenel : "Jan Karsky" (Gallimard)
Justine Lévy : "Mauvaise fille" (Stock)
Laurent Mauvignier : "Des hommes" (Minuit)
Serge Mestre : "La lumière et l'oubli" (Denoël)
Marie NDiaye : "Trois femmes puissantes" (Gallimard)
Véronique Ovaldé : "Ce que je sais de Vera Candida" (L'Olivier)
Jean-Philippe Toussaint : "La vérité sur Marie" (Minuit)
Delphine de Vigan : "Les heures souterraines" (JC Lattès)

Je vous ai déjà dit tout le bien que je pensais du roman de Marie Ndiaye. Je reviendrai sur d'autres.
Et, pour la liste complète des sélections des prix littéraires, voir cette page.

Où l'on parle (déjà) des prix littéraires

Les jurés ont lu tout l'été, ils chantent à l'approche de l'automne. Point d'orgue de la rentrée littéraire, les prix se préparent par des sélections qui attirent l'attention sur certains livres plutôt que d'autres - et les autres, généralement, sont ensuite oubliés malgré quelques exceptions remarquables.
Aujourd'hui, l'académie Goncourt a prévu d'annoncer sa première liste, à l'intérieur de laquelle sera probablement choisi le lauréat, le 2 novembre.
Mais il y a beaucoup d'autres prix littéraires en cette saison. Et je me suis dit qu'il pouvait vous intéresser de trouver les sélections des principaux dans une page unique, que j'ai intitulée tout simplement: Sélections prix littéraires 2009.
Vous y trouvez dès maintenant les sélections des prix Renaudot, Médicis, de Flore et Wepler-La Poste. C'est à suivre, selon un calendrier qui est également intégré à cette page.

vendredi 11 septembre 2009

Du bon usage de Google Books... euh... Google livres

L'avez-vous remarqué? La page d'accueil en français de Google Books est... en français et est devenue Google livres (en réalité, il y a peut-être longtemps, je n'y avais pas prêté attention avant aujourd'hui).
Je viens d'y retourner suite à la lecture d'un dossier que le Monde de ce jour consacre au grand débat engendré par le possible rapprochement entre la Bibliothèque nationale de France et Google Books - j'y avais d'ailleurs consacré une note en août, dans laquelle je constate que la francisation de la page d'accueil était déjà acquise à ce moment.
Voici les liens vers les articles du quotidien français, qui vous feront savoir ce que pensent du sujet des personnes responsables à divers titres:
Tout cela est intelligent et argumenté.
Mais je n'y trouve rien de nouveau par rapport à tout ce que j'ai pu lire ailleurs.
Je vais donc m'autoriser, moi qui ne suis ni un grand penseur, ni membre d'aucune institution, ni d'ailleurs grand-chose d'autre - sinon un utilisateur assidu des ressources bibliographiques disponibles sur Internet -, je vais donc m'autoriser, dis-je, une suggestion pratique. Un geste simple qui, s'il est multiplié, pourrait se révéler d'une grande efficacité le jour où Google livres - ou Gallica, car le service public n'est pas à l'abri - décide de faire payer ses services.
Tout éditeur d'un blog ou d'un site consacré à un sujet précis, quel qu'il soit, peut installer des fils RSS reprenant les dernières numérisations de Gallica ou de Google livres (par l'intermédiaire d'Internet Archive) sur le sujet en question, de sorte que toutes les personnes intéressées pourront charger les ouvrages et les multiplier en dehors des serveurs qui demanderont peut-être un jour une rémunération. Ce jour-là, nous nous échangerons gratuitement les fichiers...
C'est facile. La preuve, je l'ai fait, pour les ouvrages concernant Madagascar. L'exemple est ici. Il suffit de faire la même chose dans d'autres domaines...

Soie: le film, oui, mais surtout le livre

La critique ne s'est pas montrée très enthousiaste devant le nouveau film de François Girard, adapté du roman d'Alessandro Baricco, Soie. J'ai, pour ma part, trouvé la réalisation plaisante, sans plus. Sans, surtout, y retrouver la magie d'une écriture qui m'avait séduit à la sortie du livre. Et vers lequel je conseille donc vivement de revenir.
Il s'agit d'un bref roman qui se déroule dans les années 1860, entre la France et le Japon. Dans le midi de la France, la production de la soie est une source de richesses considérables à cette époque. Hervé Joncour a pour tâche de se déplacer, de plus en plus loin, afin d'acheter les œufs qui donneront les vers producteurs de soie. Mais les épidémies déciment les élevages, et il faut aller de plus en plus loin pour trouver des œufs sains. En Syrie, en Égypte d'abord, puis même ces territoires deviennent peu sûrs pour la qualité de leur production. Il est nécessaire de trouver d'autres sources. Il en est une qui paraît tout à fait fiable, c'est le Japon. Non seulement c'est loin mais en outre, si ce pays vient d'ouvrir ses frontières, ce n'est certainement pas pour exporter des œufs de vers à soie. Hervé Joncour, mi-inconscient mi-aventurier, ne se pose cependant pas longtemps la question de savoir s'il vaut la peine de faire le voyage...
Il passa la frontière près de Metz, traversa le Wurtemberg et la Bavière, pénétra en Autriche, atteignit par le train Vienne puis Budapest et poursuivit jusqu'à Kiev. Il parcourut à cheval deux mille kilomètres de steppe russe, franchit les monts Oural, entra en Sibérie, voyagea pendant quarante jours avant d'atteindre le lac Baïkal, que les gens de l'endroit appelaient: mer. Il redescendit le long du fleuve Amour, longeant la frontière chinoise jusqu'à l'océan, et quand il fut à l'océan, resta onze jours dans le port de Sabirk en attendant qu'un navire de contrebandiers hollandais l'amène à Capo Teraya, sur la côte ouest du Japon. Là, les tribulations sont loin d'être terminées, même si la mission se déroule très bien. Mais tout est raconté avec la même distance, jusqu'à ce qui va suivre et qui est le nœud du roman: Hervé Joncour aperçoit une femme au visage de jeune fille et dont les yeux ne sont pas asiatiques. Il est marié en France, heureux, mais quelque chose s'ébranle en lui, qui le poussera à revenir, quoi qu'il arrive. Hervé Joncour ne le dit jamais, sans doute ne le sait-il même pas, mais il est amoureux.
D'ailleurs, que sait-il de sa propre vie? Il donne l'impression de n'avoir aucune prise sur les événements et de les subir plutôt que de les vivre intensément. Il n'empêche que l'intensité est présente, et de quelle manière! C'est tout l'art d'Alessandro Baricco, de nous placer au cœur même des choses, quitte à répéter les mêmes pages, de loin en loin, quand des événements se reproduisent - il en est ainsi des voyages vers le Japon, à quelques mots près -, ce qui produit un effet de «re-connaissance», comme si le lecteur lui-même avait mis ses pieds dans les traces d'Hervé Joncour.
Il est beaucoup question, dans ce livre, de blancheur et de légèreté - la soie, n'est-ce pas. La matière elle-même induit une fluidité parfaitement rendue par l'écriture, jusque dans la traduction. Mais aussi par les images et les gestes qui paraissent tendre le livre d'un tissu... soyeux dans lequel on se sent bien, au point de n'avoir pas envie de le quitter.
C'est d'ailleurs le seul reproche que je peux faire à Alessandro Baricco à propos de son roman: il ne nous laisse pas assez longtemps dans le bonheur de cette lecture. On aurait aimé que cela dure bien davantage... En même temps, la raison nous dit que, peut-être, la perfection eût été moins grande. Il fallait choisir et, à l'évidence, Alessandro Baricco a fait les bons choix.

jeudi 10 septembre 2009

Pause musicale: les Beatles remastérisés

Je relis les épreuves d'un livre à paraître en janvier (déjà la prochaine rentrée littéraire, en somme), qu'un ami a écrit et auquel j'avais déjà mis la main, autant pour la mise au net que pour la recherche d'un éditeur.
Ce travail ardu mais qui laisse un morceau du cerveau disponible pour autre chose me permet d'ouvrir les oreilles et de les remplir avec quelques morceaux des seize albums du coffret The Beatles, version nouvelle, nettoyée, "remastérisée", comme il semble que l'on dise.
Je ne suis pas connaisseur au point de vous expliquer les différences (et les éventuels avantages) par rapport à la version précédente. Mais l'occasion de cette sortie, hier, est trop belle. Et vous savez comment on est (moi compris): c'est comme une nouveauté qui n'en serait pas une, qu'on prend à la manière d'une musique jamais entendue alors qu'elle est imprimée dans la tête depuis si longtemps.
En revanche, découvrant qu'il en existe aussi une version mono, je m'interroge sur le bénéfice qu'il pourrait y avoir à écouter celle-ci plutôt que la version stéréo, quand même plus agréable. Peut-on être puriste au point de préférer un son de moins bonne qualité? Si c'est le cas, je ne suis pas puriste. Mais chacun son truc, n'est-ce pas?
En tout cas, je me fais du bien avec I Will, extrait de ce que j'ai toujours appelé l'album blanc et dont je redécouvre qu'il s'appelle en réalité The Beatles. Tout simplement. Evidemment. Et je passe à Birthday comme on enchaîne deux plaisirs successifs, sachant qu'il y en a encore des heures à venir...

mardi 8 septembre 2009

Qu'est-ce qu'un grand livre?

Je vais vous avouer une chose: je ne sais pas ce qu'est un grand livre. Et encore moins si on veut en parler dans l'absolu. Chaque lecteur cherche quelque chose de différent quand il ouvre, par exemple, un roman de la rentrée - l'exemple est de saison. Il n'y a guère de règles pour mesurer la réussite d'un auteur.
Sinon peut-être une, et je vais me tenir à celle-là: quand je me sens emporté par une écriture et une vision à tel point que j'entre immédiatement de plain-pied dans l'univers d'une fiction, je sais qu'un plaisir intense a toutes les chances de me tenir éveillé jusqu'à la dernière page. Un ravissement à nul autre pareil me prend, il ne faut plus me parler d'autre chose que du livre que je suis en train de lire.
Ce ravissement, somme toute assez rare, m'a saisi dès que je suis entré dans Trois femmes puissantes, le nouveau roman de Marie Ndiaye. J'y ai trouvé une étrangeté familière, aussi curieuse que paraisse la proximité des deux mots. J'étais convoqué d'urgence à fréquenter les trois femmes du livre, à partager leurs galères.
A les aimer...

Marie Ndiaye n'est pas une nouvelle venue dans la littérature. Elle a débuté très jeune, et déjà s'était fait remarquer - peut-être en partie en raison de sa jeunesse, mais aussi et surtout parce qu'elle se démarquait de tout ce qui s'écrivait par ailleurs. Un grand écrivain ne ressemble à personne. Il (ou elle, pour le coup) trace un chemin unique, défriche des terres inconnues, impose une voix qu'on entend - au sens le plus fort du mot - au milieu du brouhaha indéchiffrable provoqué par l'abondance de livres qui se ressemblent trop.
Rosie Carpe avait émergé ainsi en 2001, après une demi-douzaine d'autres titres, en étant couronné par le prix Femina. Le roman est aujourd'hui réédité en poche. Il faut le lire aussi, même s'il n'était pas encore tout à fait le grand livre absolu qui vient de paraître.
(Ben, oui, je me contredis. Et alors?)


samedi 5 septembre 2009

Simone Veil: une étrange bouffée de vanité

Je n'avais pas eu l'occasion, il y a deux ans, d'ouvrir Une vie, les mémoires de Simone Veil dont le succès a été énorme. Je viens de combler cette lacune grâce à la réédition en poche.
Entendons-nous bien: c'est un livre remarquable, d'une grande liberté de ton, où une femme exceptionnelle retrace un parcours qui ne l'est pas moins. Elle ne dit que des choses intelligentes, et les dit remarquablement.
Comme je la connaissais en fait assez peu, j'ai appris beaucoup dans cet ouvrage.
Mais j'ai été effaré par le cahier de photographies, au moins par sa seconde partie. On y voit Simone Veil en compagnie de quelques grands de ce monde: Raymond Barre, Margaret Thatcher, Juan Carlos, Ronald Reagan, George Bush, Hillary Clinton, Shumon Peres, Hussein de Jordanie, Abdou Diouf, Nelson Mandela, Jean-Paul II et l'abbé Pierre.
Cela ressemble aux portraits affichés dans le salon ou le bureau d'un parvenu, fier de montrer à ses visiteurs qu'il a fréquenté la crème du pouvoir. Et c'est d'un parfait mauvais goût.
Je ne sais pas qui a eu l'idée de cette collection ostentatoire. J'espère que ce n'est pas elle-même, dans une étrange bouffée de vanité. Quoi qu'il en soit, l'idée n'était pas bonne. Simone Veil méritait mieux.

vendredi 4 septembre 2009

Tout a un prix, mais lequel?

Le jeune Robert Clark ne s’est jamais préoccupé de moralité ni de légalité pour faire de l’argent. Capable de vendre l’alliance de sa mère comme les chevalières des diplômés de son lycée, il manque cependant d’habileté et se fait prendre un peu trop souvent. Mieux vaut l’éloigner du Canada et l’envoyer au Texas. Son frère Jim y travaille dans une bijouterie où il gagne des fortunes. Sans se préoccuper de moralité ni de légalité.
Fort Worth Deluxe Diamond Exchange, grande surface du bling-bling à la portée de tous, est un temple de l’arnaque. Les fausses Rolex arborent des certificats d’authenticité plus crédibles que les originaux. Les vraies Rolex se commandent avec un gros acompte dont le client ne reverra jamais la couleur, pas plus qu’il ne mettra la montre à son poignet. Les pierres précieuses s’achètent en vrac et sont revendues avec une plus-value qui ferait pâlir n’importe quel commerçant à moitié honnête. Mais l’affaire, portée par d’habiles et mensongères campagnes de publicité, tourne.
Jim, que la vertu n’étouffe pas, est dans son élément. Robert ne tarde pas à s’y trouver aussi bien, malgré quelques bouffées épisodiques de remords. Rapidement noyées dans les plaisirs auxquels l’argent donne accès. La boisson, le sexe et la drogue forment une trilogie magique devant laquelle tout le reste semble secondaire.
Clancy Martin lève le voile sur l’envers, voire l’enfer de la vente à tout prix. Et si Tout a un prix, le pouvoir est du côté de celui qui le fixe. Tandis que l’acheteur est un nigaud. Les meilleurs clients sont d’ailleurs appelés des pies. Ils fixent l’éclat de la marchandise convoitée jusqu’à être éblouis et perdre toute capacité de raisonnement. Sans imaginer ce qui se trame dans les coulisses d’un théâtre monté exclusivement en vue d’accroître leur appétit.
Le roman est féroce et d’une drôlerie grinçante basée sur une caricature qui fonctionne au mieux.
On en sort effrayé et apaisé.
Mais pas prêt à entrer dans une bijouterie de sitôt.

mercredi 2 septembre 2009

Pause dans la rentrée: Damon Runyon

Damon Runyon (1884-1946) était journaliste sportif. Excellente introduction aux coulisses de la boxe ou du turf, avec transition vers les parieurs et les bookmakers, pour finir au petit matin dans les vapeurs d’alcool et les bras d’une pépée.
Broadway dans les années 30, c’est une population singulière aux règles rigides – mais pas les règles de la police. Des individus qui passent, aussi longtemps que possible, entre les mailles du filet. Règlent leurs comptes en famille. Font les jolis cœurs entre deux meurtres. Et s’obstinent à penser que le monde est à leur botte, même quand ils sont au bout du rouleau.
Damon Runyon a été traduit en français dès 1940 (Nocturnes dans Broadway). Il semble pourtant encore à découvrir, à travers des rééditions en poche ou des inédits comme Un job pour le Macaroni. Dix nouvelles qui empestent la fumée et l’haleine lourde, témoignage de mœurs qu’on retrouve dans les grands polars contemporains. La tragédie au quotidien, quand on joue sa vie sur un cheval alors que le tuyau est percé. Jusqu’à laisser une petite fille en gage au bookmaker qui aura avancé deux dollars au mépris de sa rigueur. Jusqu’à faire venir d’Italie un vieux tueur pour se débarrasser d’un gêneur selon la tradition. Jusqu’à tenter – et manquer – le premier hold-up d’un chargement de bière légale après la prohibition.
Les anecdotes sont savoureuses. Le ton aussi, entre l’urgence et le détachement. Damon Runyon est un grand auteur mineur, qui s’efface derrière ses personnages malgré un «je» qui lui ressemble. Un de ceux qui donnent à voir l’ambition démesurée de pauvres types qui s’imaginent posséder une envergure bien supérieure à la leur. Des grandes gueules, en somme, qui lâchent leurs mots comme des balles et leurs balles comme des missiles. Dans leur vie, cela passe parfois à côté. Dans ces nouvelles, jamais. L’épopée ne s’écrit pas avec de hauts faits d’armes, mais à travers le talent d’un écrivain. Damon Runyon fait mouche à chaque reprise et gagne le match par K.O.