samedi 31 octobre 2009

Veillée d'armes pour quatre écrivains


Comment vivent, ce week-end, les quatre écrivains encore sélectionnés pour le prix Goncourt de lundi? A vrai dire, je n'en sais rien. Je ne ne suis pas dans la peau de Laurent Mauvignier, Marie Ndiaye, Jean-Philippe Toussaint ou Delphine de Vigan.
Mais j'ai le souvenir d'avoir rencontré, en 1990, un de ces membres du dernier carré, quelques jours avant la proclamation. Jean Rouaud avait publié son premier roman, Les champs d'honneur (chez Minuit, tiens, tiens, ils sont deux cette année à porter cette casaque). Il jouait à l'homme détaché de ce qui pourrait arriver le lundi suivant. Mais je voyais bien qu'il y pensait beaucoup. Il croyait, me disait-il, avoir une chance sur deux. Pile ou face. La pièce est retombée du bon côté.
Deux ans plus tôt, le vendredi soir précédant ce fameux lundi, Bernard Pivot avait invité les quatre derniers sélectionnés, chez Drouant, pour un Apostrophes assez spécial.
J'y étais.
Récit.

Concevoir un «Apostrophes» chez Drouant, dans le salon même où se réunit l'Académie Goncourt, avec le président de celle-ci et quatre des plus sérieux candidats aux lauriers 1988, est un joli coup pour Bernard Pivot. Une manière d'ouvrir au public une des scènes les plus secrètes et les plus convoitées de la vie littéraire française...
Trois quarts d'heure avant le début de l'émission on se croirait presque, d'ailleurs, un jour de remise de Prix Goncourt. Les photographes tiennent là, il est vrai, un joli cliché: le peut-être futur lauréat déjà dans le salon Goncourt!
Triés sur le volet, les invités qui font habituellement tapisserie derrière les auteurs se réunissent, champagne à la main, dans une pièce annexe où Bernard-Henri Lévy, malgré la courtoise autorité du réalisateur de l'émission, reste plus longtemps que les autres qui se contentent d'une brève apparition avant de rejoindre Bernard Pivot et Hervé Bazin autour de la table. Mais B.H.L. veut tout savoir: «Est-ce que je suis à côté de Bernard? Comment est-ce que je dois me tenir à table?» Puis, maquillé de manière à rendre son visage presque aussi pâle que la chemise ouverte jusqu'au nombril, il se décide à passer au salon.
Dans les coulisses, puisqu'on est entre gens du monde, on se fait des sourires, on s'embrasse. Mais il est des baisers entre éditeurs qui ressemblent à celui de Judas. Même les plus rompus à cet exercice en ressentent un certain malaise: «Ce n'est pas que je sois tout à fait incapable d'hypocrisie, mais quand même...», nous glisse l'un d'eux.
Petit à petit, tout le monde s'installe. Sur les écrans de contrôle, Bernard Pivot prend encore quelques notes, réclame de l'eau pour Patrick Besson. B.H.L. s'ébouriffe les cheveux. Le réalisateur prend ses repères. Deux portraits des Goncourt à montrer au début de l'émission. «Non, lance Bernard Pivot, il manque Jules; c'est deux fois Edmond. On n'en montrera qu'un!». B.H.L. change de micro, s'ébouriffe encore les cheveux. On le voit beaucoup. Peut-être parce que le blanc de sa chemise - deux boutons refermés - permet de régler les caméras. Le feuilleton est terminé. «Combien de temps, pour les publicités?» demande Bernard Pivot, qui vient de régler sa montre.
Dans la salle annexe, le silence s'est fait. Les visiteurs sont tendus. Un des «Apostrophes» les plus importants de la rentrée commence. Conséquence logique de ce trop-plein de tension, des rires éclatent au générique style «Champs-Elysées», au sourire crispé - comme un tic d'un coin des lèvres - de Patrick Besson, puis c'est la franche gaieté pendant les explications d'Hervé Bazin. Sauf de la part de son épouse, qui se contente de sourire doucement...
La suite, elle était sur l'écran. A commencer par les platitudes des quatre goncourables devant Bazin.
Restent, l'émission terminée, les compliments rassurants des éditeurs à leurs poulains: «Tu as été très bien quand tu as dit que...» Et les espoirs de ventes spectaculaires à partir du samedi matin, en attendant de reparler des prix littéraires.

A lundi, tout le monde...

jeudi 29 octobre 2009

Pierre Michon, auteur majuscule, Grand prix du roman de l'Académie française

L'Académie française n'a pas manqué l'occasion de s'approprier, le temps de son Grand prix du roman attribué cet après-midi, un écrivain devenu un de nos classiques contemporains depuis la publication de son premier livre, Vies minuscules, il y a un quart de siècle. Les Onze, paru en avril, ne ressemble à rien d'autre qu'à un autre livre de Pierre Michon. Un écrivain au sens le plus fort du terme, pour qui le travail sur la langue semble précéder le choix d'un sujet, et jusqu'au traitement de celui-ci, dans une perspective où les mots disputent aux images le pouvoir d'évoquer un monde.
Avant d'aller plus loin, je préfère avertir les lecteurs tièdes, ceux qui cherchent dans un livre la distraction apportée par une histoire qui ronronne doucement: Les Onze n'est pas pour vous. Ce soir, regardez plutôt la télévision, vous y trouverez bien un programme qui ne vous empêchera pas de vous assoupir sur le canapé.
En revanche, si vous êtes prêt à la grande aventure de phrases qui vous emportent là où vous ne pensiez jamais aller, parce que le vocabulaire fait une musique inattendue, laissez-vous porter, vous ne le regretterez pas.
Ceci étant dit, de quoi est-il question? D'un tableau sur lequel se trouvent représentés les onze membres du Comité de salut public de l'an II. De la Terreur, avec majuscule, et de la terreur, minuscule, qui aiguise les regards. D'un peintre qui prit la commande, François-Elie Corentin, et de sa famille. Du Limousin. De Michelet, historiographe doté d'une imagination telle qu'elle influence son récit en fonction de ce qu'il croit. De vérité et de mensonge. De littérature et de peinture.
Le tableau des Onze ressemble à une conspiration. L'époque s'y prêtait, à travers des luttes sournoises pour le pouvoir, au nom d'un peuple qui n'en demandait pas tant.
Pierre Michon s'engage, mine de rien, en démontant une mécanique qui permet, au lieu d'une république, "le retour du tyran global".
Un livre à lire lentement, au rythme de phrases parfois interminables mais qui nous mènent, sous l'apostrophe du narrateur, là où veut nous mener l'auteur.
Mais un livre à lire absolument.

Extrait

Et que dois-je peindre ? dit-il. Cette fois il regarda Proli franchement, comme si Proli était un laquais. Proli le regardait de même. Celui-ci lâcha d’une voix flûtée et aiguisée, qui ressembla un instant à celle de Robespierre :
— Tu sais peindre les dieux et les héros, citoyen peintre ? C’est une assemblée de héros que nous te demandons. Peins-les comme des dieux ou des monstres, ou même comme des hommes, si le cœur t’en dit. Peins Le Grand Comité de l’an II. Le Comité de salut public. Fais-en ce que tu veux : des saints, des tyrans, des larrons, des princes. Mais mets-les tous ensemble, en bonne séance fraternelle, comme des frères.
Il y eut un silence. Le feu était mort, la lumière seule de la grande lanterne carrée tombait d’aplomb sur l’or répandu à la place exactement où reposaient tout à l’heure les vieux os. Les visages étaient dans l’ombre. Soudain de l’autre côté du mur dans l’église Saint-Nicolas un cheval invisible s’ébroua violemment et s’enleva des quatre fers, on entendit les sabots retomber comme des marteaux sur le pavé vide du vaisseau vide ; il poussait à pleins naseaux un cri de trompette. On aurait dit qu’il riait. Ils rirent aussi tous les quatre. Corentin riant toujours se leva et remit posément les pièces d’or dans le sac, en boucla le lacet, le prit. Il dit que c’était oui.

mercredi 28 octobre 2009

Etonnant : Manuel pratique du terroriste, par... Al-Qaida

André Versaille est un éditeur dont la curiosité a longtemps fait les beaux jours des Éditions Complexe. Après avoir dû abandonner celles-ci, il a remonté une maison sous son propre nom. Il y édite, ces jours-ci, un livre qui devrait faire du bruit: Manuel pratique du terroriste, par Al-Qaida.
On s'étrangle. Et on se dit 1. qu'il a pété les plombs, 2. qu'il ne pouvait, sur le sujet, trouver meilleurs spécialistes.
La démarche, on l'imagine bien, est toute différente.
D'abord, ce Manuel existait préalablement à cette édition. Il a été trouvé en Angleterre, en mai 2000, au domicile d'un membre présumé d'Al-Qaida.
Ensuite, il n'était pas inconnu. Le département de la Justice des États-Unis l'avait rendu public, par l'intermédiaire de son site Internet, en 2005. Il valait mieux, estimait ce département, informer les citoyens des techniques utilisées par les terroristes que les laisser dans l'ignorance. Il ne s'agissait en cela que d'appliquer une sagesse très ancienne: pour mieux combattre ton ennemi, tu dois mieux le connaître... Ou, pour le dire à la manière d'André Versaille, "on ne se défend efficacement contre un péril que si l'on en comprend la nature."
C'est rassurant: l'éditeur n'a ni pété les plombs ni commandé un livre pratique à Al-Qaida. Il a même, avec prudence, caviardé des passages... trop pratiques. Ne cherchez donc pas ici la meilleure méthode pour assassiner votre voisin qui écoute du rap à fond dès le petit matin, ni pour empoisonner votre femme qui sale trop la soupe, ni pour faire sauter la résidence secondaire de votre patron. En revanche, si vous voulez vous glisser dans la peau d'un terroriste le temps d'un cours en 18 leçons, voici l'ouvrage qui vous permettra de saisir la nature d'une organisation comme Al-Qaida.
Un copieux extrait du livre (56 pages sur 192) est téléchargeable sur cette page.

Pour désamorcer définitivement une éventuelle polémique (je gage que certains prendront plaisir à la susciter malgré tout), le même éditeur propose, en même temps, Le terrorisme au nom du Jihad, par Philippe Migaux.
Il s'agit là d'une étude pour mieux comprendre les origines, le fonctionnement et, malheureusement, le possible avenir de ce terrorisme. L'auteur remet les choses à plat en écartant les vagues idées reçues sur le sujet et en précisant ce que sont le Jihad, son utilisation par les terroristes, les évolutions récentes de ce terrorisme particulier et la persistance de trois cercles de menaces dans le monde et en France, pays auquel la dernière partie est consacrée.
On peut également lire d'importants extraits de l'ouvrage (56 pages sur 240) sur cette page.

Par Toutatis, Astérix & Obélix ont 50 ans!


Cinquante ans, ça se fête, surtout quand on est les héros les plus populaires de la Gaule (presque) romaine. En réalité, l'anniversaire, c'est demain - mais je prévois déjà d'avoir d'autres choses à faire pendant cette journée. Donc, j'anticipe d'un jour. Et pourquoi pas, puisque le nouvel album, le trente-quatrième, est déjà sorti depuis presque une semaine?
L'anniversaire d'Astérix & d'Obélix: Le livre d'or, un titre qui n'est pas porté par une imagination débordante (d'accord, mon titre, mais je n'ai jamais prétendu m'appeler Uderzo), donne le "la". Une note un peu poussive, qu'il fallait pousser, l'occasion faisant le larron (écoutez le bruit des tiroirs-caisses dans les librairies et tout ce qui y ressemble, l'album entrant en première place des meilleures ventes de Livres Hebdo dès cette semaine).
On y trouve une, disons deux, bonnes idées. La seconde étant d'ailleurs une fausse bonne idée.
Je m'attarde donc sur la première. Elle tient en quatre planches d'ouverture. Nous sommes cinquante ans après la naissance d'Astérix et Obélix. Bon, et alors? C'est un anniversaire, non? Oui, mais il est de tradition que ce type de héros de bande dessinée ne vieillit jamais. Or, ici, ils portent le poids des cinq décennies passées. La palissade qui protège leur célèbre petit village est en ruines. Le chef recourt à un subterfuge pour quitter le foyer conjugal et aller s'enfiler des cervoises avec ses potes. Quant à Astérix et Obélix, j'ose à peine vous en parler. D'ailleurs, quand le responsable de leur vieillissement vient les trouver, l'air réjoui d'avoir eu cette bonne idée, il se fait tamponner d'allure par un Obélix qui n'a rien oublié de ses talents les plus percutants.
Fin de la première idée. Début de la seconde (la fausse bonne). Que feriez-vous, vous, pour l'anniversaire de deux amis? Organiser une fête? Bien sûr. C'est prévu. Offrir des cadeaux? Évidemment, c'est au programme. Mais encore? Inviter tout le monde, faire la surprise à Astérix et Obélix, et surtout à leurs lecteurs, de retrouver les principaux protagonistes des albums précédents. C'est là où, devant l'ampleur de la tâche, un petit coup de blues, ou de paresse, s'est emparé d'Uderzo. Il reprend des cases d'anciens albums, illustre des pages entières inspirées de tableaux classiques, repique à gauche et à droite pour accumuler une matière très moyenne.
Dommage.
Mais Astérix et Obélix en ont vu d'autres, ils survivront. Et nous aussi.

mardi 27 octobre 2009

Goncourt, le dernier carré; Décembre, le dernier triangle


C'est la fin des espoirs de Goncourt pour Sorj Chalandon, Jean-Michel Guenassia, Justine Lévy et Véronique Ovaldé. L'académie Goncourt ne retient plus que quatre ouvrages pour le prix qui sera attribué lundi:
Il y a au moins la moitié de très bons romans (je n'ai pas lu encore Jean-Philippe Toussaint et Delphine de Vigan).
Une moitié d'hommes, une moitié de femmes.
Il y a aussi, c'est plus étonnant, une moitié de livres publiés chez Minuit. Lattès, rarement présent à ce stade, conserve un titre. Gallimard, un autre.
Grasset, Albin Michel, Stock et l'Olivier (autant dire le Seuil) ne sont plus dans la course. Ce qui pourrait renforcer leurs chances au Renaudot où la cote de Beigbeder, Message et Parisis est, pour des raisons qui échappent aux auteurs mais que les éditeurs connaissent bien, en hausse.
N'oublions quand même pas Blottière et Lafon, dont les romans ne sont peut-être pas là que pour faire de la figuration.
Résultats le 2 novembre, à 12h45. Et toutes les sélections sont toujours ici.

P.S. (du lendemain) Il ne sont plus que trois pour le prix Décembre, attribué... le lendemain (donc c'est logique). Les voici:

lundi 26 octobre 2009

Cinq (et trois) pour le prix Renaudot

Le jury du prix Renaudot, qui proclamera ses lauréats le lundi 2 novembre à 12h45 - en même temps que l'académie Goncourt -, vient de faire connaître sa dernière sélection.
Pour le roman, David Foenkinos, Olivier Sebban et Anne Wiazemsky ont été gommés de la liste précédente. Pour l'essai, Jean-Luc Barré, Pierre-Marc de Biasi et Alain Finkielkraut ont subi le même sort, tandis que Daniel Cordier (qui avait fait une brève apparition sur les tablettes du Goncourt, et reste donc en course pour le Goncourt des Lycéens) surgit au dernier moment.
Un prix Renaudot poche, pour lequel aucune sélection n'a à ma connaissance été communiquée, sera attribué aussi, pour la première fois. Je m'en réjouis, évidemment.
Voici donc la sélection d'où émergeront les lauréats:

Romans
Frédéric Beigbeder, Un roman francais (Grasset)
Alain Blottière, Le tombeau de Tommy (Gallimard)
Marie-Hélène Lafon, L'annonce (Buchet Chastel)
Vincent Message, Les veilleurs (Seuil)
Jean-Marc Parisis, Les aimants (Stock)

Essais
Daniel Cordier, Alias Caracalla (Gallimard)
Jérôme Garcin. Littérature vagabonde (Flammarion)
Gabriel Matzneff, Carnets noirs (Léo Scheer)

Toutes les sélections des pricipaux prix d'automne se trouvent sur cette page.

mardi 20 octobre 2009

La dernière sélection du prix Femina

Le prix Femina vient de livrer le fruit de ses avant-dernières réflexions. Les lauréats qui seront annoncés le 9 novembre appartiennent donc aux listes qui suivent, réduites chacune à cinq titres.
Eric Holder, Marie-Hélène Lafon et Laurent Mauvignier ne sont plus sélectionnés pour le roman français.
Gil Adamson, Nadeem Aslam, Neil Bissondath et Abha Dawesar ont perdu leurs chances pour le roman étranger.
Pour l'essai, René de Ceccaty, Daniel Cohen, Daniel Cordier et Claude Lanzmann ont disparu.
Voici donc les rescapés de ce grand écrémage.

Romans français
Romans étrangers
Essais
Pour respecter la tradition (récente, puisqu'elle a quelques semaines seulement), toutes les sélections sont présentées sur cette page.

Le livre, piraté comme la musique et le cinéma sur Internet?

Non.
(Pardon, j'ai été un peu rapide. Mais, en posant moi-même la question en titre de cette note, je n'ai pas résisté à la réponse la plus évidente. Je m'explique.)
Jusqu'à présent, le livre, malgré une évolution qui sera probablement de plus en plus rapide vers une version électronique, reste essentiellement un objet imprimé sur papier. La numérisation de celui-ci demande un travail important - demandez chez Gallica, par exemple, ce qu'on en pense. Tandis qu'un disque sur CD ou un film sur DVD, c'est déjà du numérique. Il est évidemment beaucoup plus aisé d'en tirer un fichier qui circulera librement (et illégalement) sur Internet, où la tendance forte conduit à se servir sans scrupule.
Mais je sens bien que ma réponse, outre qu'elle était rapide, ne reposait en réalité que sur de vagues impressions et non sur une étude fouillée à partir de laquelle il serait possible d'argumenter vraiment. Bien entendu, je garde un œil (mais un seul) sur le secteur informel du livre piraté, histoire de savoir ce qui se passe. Ce n'est pas suffisant.
Je suis, comme tout le monde, un peu mieux informé depuis hier, grâce à la publication d'un rapport touffu et riche en enseignements. (Le lien vers ce document se trouve dans l'image.)

C'est du lourd: plus de soixante pages bourrées de chiffres et de considérations tirées, cette fois, d'une analyse poussée de cette offre numérique illégale. Les différents réseaux ont été explorés, les titres, les éditeurs, les auteurs ont droit à leur tableau d'honneur. Le document n'est pas alarmiste mais il établit le constat suivant: le piratage existe (on le savait), dans une proportion qui n'est pas encore alarmante (on en était moins sûr) et dont l'évolution mérite d'être observée dans l'avenir.
A lire et à analyser dans le détail par tous les acteurs du livre...

lundi 19 octobre 2009

José Saramago, génial emmerdeur

Il n'est pas de grand écrivain qui soit confortable. Dès qu'un livre commence à ronronner, à aligner les lieux communs (à moins que ce soit pour les détourner), on sait qu'on peut le refermer. En revanche, quel plaisir de se faire bousculer, de se trouver face à l'inattendu, l'inespéré!

José Saramago est de ces véritables créateurs. Et, comme souvent avec ceux qui bousculent les convenances, il provoque parfois la polémique. Elle avait fleuri autour de L'Evangile selon Jésus-Christ. Elle renaît avec Caïn, où le romancier donne une version très personnelle de l'Ancien Testament, ou au moins d'un de ses épisodes. Sorti aujourd'hui au Portugal, le livre s'est déjà attiré les foudres des bien-pensants. Oserai-je dire que c'est bon signe? Oui.

Son dernier ouvrage traduit en français, Le voyage de l'éléphant, n'attaque aucun dogme - du moins pas frontalement. Car on y trouve quand même une utilisation pour le moins douteuse de l'animal en question, au service d'une cause religieuse. Quand il s'agit de le faire s'agenouiller à Padoue pour crier au miracle, Saramago déploie une ironie qu'il a parfois féroce. C'est un régal.

J'avais rencontré Saramago à Paris, en 1997, au moment où y paraissait L'aveuglement. Il n'était pas encore lauréat du prix Nobel (ce serait pour l'année suivante). Il était déjà très impressionnant. Je vous restitue l'article qui avait suivi la rencontre.

José Saramago est un homme long et mince dont les yeux pétillent derrière les grosses lunettes. L'éditeur de L'aveuglement précise que l'écrivain, né en 1922, est entré tard en littérature, à l'âge de 58 ans. Ce n'est pas tout à fait exact: A 25 ans, j'ai publié un roman, puis j'en ai écrit un autre, qui est resté inédit. Je m'étais rendu compte de ce que je n'avais rien à dire. Ensuite, longtemps, je suis resté sans publier et même sans presque écrire.
Il n'a donc jamais éprouvé le besoin d'occuper le terrain à tout prix. Je n'ai jamais poursuivi une carrière d'écrivain, dit-il aussi. Neuf auteurs sur dix expliqueraient, à ce moment, qu'ils ont pris le temps de nourrir des écrits futurs. Pas lui: Ce serait faire preuve d'une grande confiance dans la vie que de vous dire: je suis resté à regarder le monde, à réfléchir pour écrire. Ce que j'ai fait pendant ma vie, c'était la vivre, tout simplement. Puis, je ne sais pas pourquoi, les choses ont changé.
Le succès l'arrange bien mais ne lui monte pas à la tête. Il lui donne toute liberté pour écrire ce qu'il veut mais il est prêt à tout arrêter demain s'il n'a plus d'idées qui l'intéressent vraiment: Il y a beaucoup de livres dans le monde et je ne voudrais pas y ajouter des choses sans importance pour moi. Ecrire pour écrire, ou pour le compte en banque, non!
Du coup, quand il a écrit un roman, il ne s'inquiète absolument pas de ce qui va suivre. J'ai fini un livre, et je reste là à attendre que le suivant arrive. Jusqu'à présent, chaque fois, deux ou trois mois après, une idée arrive, parfois un peu floue. Normalement, c'est le titre. Alors, il faut trouver quelque chose à mettre derrière.
Exemple de naissance d'un roman: celui qui vient d'être traduit en français. J'étais dans un restaurant, seul, à attendre mon repas. Et tout à coup, sans avoir pensé au préalable aux aveugles, comme tombé du plafond - ou du ciel, comme vous préférez -, se présente le titre: «Essai sur la cécité». C'est un titre horrible, mais je l'ai gardé, et plusieurs traductions l'ont conservé aussi.
Voilà pour le point de départ. Nécessaire mais pas suffisant, bien sûr. Il faut encore que les choses se précisent. Dans le cas qui nous occupe, l'essentiel était là: une épidémie. Restait à transformer l'idée en roman. C'est comme si j'avais trouvé une omoplate de dinosaure. A partir de là, tout un squelette est à inventer. Pour ça, il faut s'assoir et écrire. Et aussi se promener dans le jardin où les idées se trouvent quelquefois.
Il possède point de départ et point d'arrivée - José Saramago pose deux doigts dans des coins opposés de la table, et dessine le parcours à tracer entre le début et la fin. Parfois, le trajet est loin d'être rectiligne: L'histoire a ses propres raisons, ce qui ne veut pas dire que je n'en suis pas le maître. Je guide et je me laisse guider. La richesse se trouve dans les associations d'idées qui proposent d'autres choses - je les accepte ou non.
De l'allégorie constituée par L'aveuglement, certains lecteurs sortent effrayés. Comment avez-vous pu écrire un livre si dur? lui demande-t-on parfois. Et comment pouvez-vous supporter la réalité? répond-il. Mon livre, à côté de la réalité, c'est de l'eau de rose.

Ainsi parle Saramago...

vendredi 16 octobre 2009

Nelly Arcan, à suivre au paradis... ou en enfer

Nelly Arcan, qui s'est suicidée à Montréal le 24 septembre, avait 35 ans et avait publié trois romans dont les deux premiers, surtout, avaient attiré l'attention. Quelques sélections de prix littéraires français avaient retenu Putain et Folle dans leurs premières sélections. Des titres chocs et, derrière, des textes forts, déchirés et déchirants.
On n'en restera pas là. Elle avait terminé un nouveau roman, Paradis, clef en main, qui paraîtra le mois prochain au Canada.
Toujours aussi rageuse, Nelly Arcan y parle du... suicide. D'un suicide organisé par Monsieur Paradis, impossible à rater. Antoinette Beauchamp, que sa mère appelle Toinette (et cela lui fait chaque fois penser aux toilettes), est paraplégique. Elle en a marre. Elle ne veut plus vivre.
Je vous raconte cela parce qu'une trentaine de pages, les premières, sont disponibles sur le site de l'éditeur, Coups de tête. Elles méritent d'être lues. Et il faut espérer que les Éditions du Seuil penseront à publier ce livre en France. Sans attendre, voici les premières lignes. Elles font froid dans le dos, maintenant qu'on connaît la fin de leur auteur.
On a tous déjà pensé se tuer. Au moins une fois, au moins une seconde, le temps d'une nuit d'insomnie ou sans arrêt, le temps de toute une vie. On s'est tous imaginé, une fois au moins, s'enfourner une arme à feu dans la bouche, fermer les yeux, décompter les secondes et tirer. On y a tous pensé, à s'expédier dans l'au-delà, ou à s'envoyer six pieds sous terre, ce qui revient au même, d'un coup de feu, bang. Ou encore à en finir sec dans le crac d'une pendaison. La vie est parfois insupportable.

jeudi 15 octobre 2009

L'Académie française et le prix de Flore en cure d'amaigrissement, le prix Jean Giono à Brigitte Giraud

Deux jurys français, pas moins - ni des moindres -, fournissaient aujourd'hui un peu de matière aux scrutateurs du monde littéraire attentifs à la manière dont des livres (et, du même coup, des auteurs en même temps que des éditeurs) sont gommés au fur et à mesure des sélections. Les entonnoirs ne laissent pas passer tout le monde...

A l'Académie française, pour le Grand prix du roman, ils ne sont plus que trois prétendants au titre: Renaud Camus, Bruno de Cessole et Pierre Michon. Gwenaëlle Aubry, Isabelle Autissier, Elisabeth Barillé, Yannick Haenel, Hervé Le Tellier et Jean-Pierre Milovanoff ont été priés de faire leurs valises. Un sacré ménage!

Du coté du prix de Flore, il manque désormais Gwenaëlle Aubry (pas de chance aujourd'hui), Aurélia Aurita, François Beaune, Frédéric Shiffter et Sacha Sperling. Seuls Michka Assayas, Samuel Corto, Simon Liberati, Giulio Minghini et Jean-Marc Parisis sont encore en grâce.

Quant au prix Jean Giono, attribué aujourd'hui, il couronne Brigitte Giraud (Une année étrangère, Stock) avec son Prix du jury et, avec son Grand Prix, Dominique Fernandez avec Ramon (Grasset).

National Book Awards 2009

La France n'est pas le seul pays où les prix littéraires ont une certaine importance. Je vous ai d'ailleurs dit un mot, il y a peu, du Man Booker Prize, très important en Grande-Bretagne. Et voici que les National Book Awards, pour les États-Unis, viennent de donner eux aussi leurs sélections dans les différentes catégories: fiction, non fiction, poésie et jeunesse.
Je ne vais pas vous infliger toutes les listes ici. Pour les curieux, je l'ai intégrée à ma page consacrée aux prix littéraires 2009.

Mais je note quand même avec plaisir qu'un des plus beaux romans de cette rentrée (en France) appartient à la sélection pour la fiction. Je vous en ai parlé déjà, et il est encore temps, si vous ne l'avez pas fait, de vous précipiter sur Et que le vaste monde poursuive sa course folle, de Colum McCann.
Je voudrais aussi attirer votre attention sur un prix exceptionnel, qui sera attribué, comme les autres, le 18 novembre, et qui, à l'occasion de la soixantière édition du prix, récompensera le meilleur du meilleur de la fiction. Parmi tous les ouvrages primés dans cette catégorie par le National Book Award, le jury en a retenu cinq qui sont tous (au moins partiellement) traduits en français.
Il s'agit, pour quatre des six livres retenus, de nouvelles: celles de John Cheever, de William Faulkner, de Flannery O'Connor et d'Eudora Welty. Les deux autres sont des romans: Homme invisible, pour qui chantes-tu?, de Ralph Ellison, et L'arc-en-ciel de la gravité, de Thomas Pynchon.
Que du beau, que du grand...

La deuxième sélection du prix Interallié

La deuxième sélection du prix Interallié est maintenant connue.
Jean-Louis Ezine, Jean-Pierre Milovanoff, Minh Tran Huy et Gérard Pussey n'apparaissent plus dans cette deuxième sélection. Etienne de Montety y entre avec L'article de la mort (Gallimard), son premier roman.
Une troisième et dernière sélection est annoncée pour le 5 novembre. Le prix sera attribué le 17.
Je donne ici l'intégralité de la deuxième sélection. Et je rappelle que toutes les listes des principaux prix de la saison se trouvent sur cette page.

vendredi 9 octobre 2009

Objets inanimés, avez-vous donc une âme?

C'est Lamartine, je crois, qui posait la question. Mais les bonnes questions gagnent à revenir de temps à autre au premier plan, par le jeu de ces coïncidences de lectures comme je les aime.
Quitte à modifier légèrement l'énoncé si la notion d'âme vous est étrangère - ce qui m'arrange, dans la mesure où en outre cela "collera" mieux avec les deux passages qui m'ont frappé.
Je reformule donc la question: "Objets inanimés, avez-vous donc une histoire?" Il est évidemment plus facile de répondre oui...

Franz Bartelt le fait dans son dernier livre, Petit éloge de la vie de tous les jours, un inédit dans une collection peu coûteuse. Une suite de textes qui s'attachent aux détails, et que je rapprocherais volontiers de la fameuse Première gorgée de bière de Philipe Delerm si Franz Bartelt ne pratiquait, outre l'observation du quotidien, un humour bien plus ravageur.
Dans les dernières pages, il parle des objets qui se trouvent sur son bureau, juste devant le clavier.
Tous ces objets ne sont pas là par hasard. Certains viennent de loin. Ils ont parcouru des centaines de kilomètres. Le stylo a peut-être été fabriqué en Chine. L'enveloppe contenait une lettre qu'on m'adressait d'Allemagne ou d'Italie. Aucun de ces objets n'est seulement un objet. Ce sont des histoires, des parcours, des intentions, des volontés.
[...]
Mais si je les observe bien, si j'essaie d'établir des relations entre eux, si j'imagine de quelles manières et pour quelles raisons ils sont venus jusqu'à moi, alors je suis obligé d'écrire un roman. Ce roman sera d'autant plus extraordinaire que ce qui se trouve à son origine est insignifiant à première vue. C'est que derrière rien, il y a quelque chose. Ce quelque chose est une histoire.
Je vous l'avais bien dit...

Pour renforcer mon propos, j'appelle R.N. Morris, dont L'âme détournée vient de paraître en français. Il s'agit d'un de ces polars historiques comme on en trouve dans la série "Grands détectives", souvent excellents - celui-ci l'est. A Saint-Pétersbourg, quelques personnages de Crime et châtiment sont à nouveau convoqués, pour une tout autre affaire. Porphiri, le juge d'instruction imaginé par Dostoïevski, est donc à nouveau en scène. Et, pour les besoins de l'enquête autant que par goût personnel, il fouine chez un prêteur sur gages.
Il plongea la main dans des tonneaux de chaussures et dans des cageots de lunettes, caressa les boîtes à tabac et les dés à coudre sur leurs plateaux. On aurait dit que ces objets, livrés à eux-mêmes, faisaient la preuve d'une loi d'affinité naturelle: le magnétisme qui réunit les abandonnés. Et, bien sûr, il fallait aussi tenir compte du fait qu'un jour chacun d'eux avait joué un rôle dans la vie de quelqu'un; derrière chaque objet cependant, aussi banal fût-il, se dessinait une histoire désespérée, une tragédie parfois.
Alors? Et quantité d'autres écrivains confirmeraient cette impression...

jeudi 8 octobre 2009

Herta Müller, prix Nobel, donc...

Je viens de passer trois heures en compagnie de Herta Müller, lauréate du prix Nobel de littérature. En sa compagnie, c'est probablement beaucoup dire. Mais, pendant ce temps, je n'ai pensé qu'à elle, j'ai essayé de la comprendre, j'ai voulu ne pas la trahir dans l'article que j'écrivais et que je viens d'envoyer au Soir - il paraîtra demain matin.
C'était assez... particulier. A l'heure de l'annonce, j'étais devant la page Internet où la proclamation se faisait en direct. Pour rien: la lenteur de ma connexion m'a empêché d'apprendre tout de suite le nom de la lauréate et il m'a fallu attendre quelques minutes pour dénicher l'information ailleurs. A peine l'avais-je trouvée que j'avais deviné la suite. En effet, très vite, coup de téléphone du journal: "Tu t'en occupes?"
Pouvais-je dire non? En 2006, je m'étais occupé d'Orhan Pamuk, dont j'avais lu et chroniqué quelques livres. En 2007, de Doris Lessing, pour les mêmes raisons. En 2008, de Le Clézio - et, là, je dois bien le reconnaître, c'était évident. Donc, en 2009, pourquoi pas Herta Müller?
Seul problème, mais de taille: je ne connaissais d'elle, à peu près, que son nom...
J'ai donc cherché des biographies, et tous les renseignements sur lesquels je pouvais tomber. De quoi me faire une première idée de la personne, envisager les grandes lignes de sa vie - de sa vie plutôt que de son œuvre puisque, d'une part, la première a nourri la seconde et que, d'autre part, trois livres seulement ont été traduits en français (ce qui, si on y pense bien, est à la limite du scandale).
J'ai eu un peu de chance. J'ai lu la traduction anglaise d'un long article que Herta Müller a publié dans Die Zeit en juillet dernier. Dans Securitate in all but name, dont je conseille vivement la lecture, elle raconte ses démêlés avec les services secrets roumains, et ce qu'elle a trouvé dans le gros dossier qui avait été rassemblé sur elle. C'est édifiant.
C'est aussi troublant. Cette femme qui a, à très peu de choses près, mon âge, écrivait déjà alors qu'elle était encore sous la dictature. En Europe. Je me demande comment je me serais comporté à sa place. Je n'aurais pas eu le Nobel, c'est sûr...
Je suis incapable de juger ses romans. Je ne les ai pas lus. Mais je me dis maintenant qu'ils doivent valoir, au moins, le détour. Et, faute de mieux, je vous donne ici les textes brefs que l'on trouve en quatrième de couverture des livres traduits.

Le renard était déjà le chasseur
Dans la Roumanie de Ceausescu, Adina s'aperçoit que des inconnus découpent jour après jour, en son absence, la fourrure de renard qui décore son appartement. A cause de cette menace, la jeune enseignante proche d'auteurs-compositeurs dissidents se sait espionnée par les services secrets et découvre qu'une de ses amies fréquente justement un officier de la securitate. Le renard est le chasseur. Les victimes se rapprochent de leurs bourreaux, les amis disparaissent ou se trahissent, et la chute du dictateur n'y changera pas grand-chose. Herta Müller réussit magistralement à nous faire vivre les difficultés matérielles et existentielles qu'elle a bien connues dans un contexte totalitaire où l'expression ne pouvait guère échapper à l'oppression. Rarement l'expérience de la dictature a atteint une telle intensité poétique. Où commence la liberté? Où finit le compromis? Rythmée comme un coeur qui bat, sa prose aux métaphores concises évoque la grandeur et la misère d'un être humain dont les choix, au positif comme au négatif, sont dictés par la peur et l'humiliation.

L'homme est un grand faisan sur terre
Roumanie. Depuis que le meunier Windisch veut émigrer, il voit la fin partout dans le village. Peut-être n'a-t-il pas tort. Les chants sont tristes, on voit la mort au fond des tasses, et chacun doit faire la putain pour vivre, a fortiori pour émigrer. Windisch a beau livrer des sacs de farine, et payer, le passeport promis se fait toujours attendre. Sa fille Amélie se donne au milicien et au pasteur, dans le même but. Un jour, ils partiront par l'ornière grise et lézardée que Windisch empruntait pour rentrer du moulin. Plus tard, ils reviendront, un jour d'été, en visite, revêtus des vêtements qu'on porte à l'Ouest, de chaussures qui les mettent en déséquilibre dans l'ornière de leur village, avec des objets de l'Ouest, signe de leur réussite sociale, et, «sur la joue de Windisch, une larme de verre».

La convocation
Herta Müller est née en Roumanie. Elle déclare: «Dans le village où j'ai grandi il n'y avait pas de Roumains. Je n'ai appris le roumain qu'à l'école comme une langue étrangère... A Timisoara, la langue de l'écriture coexiste avec le dialecte (souabe) et la langue véhiculaire (roumain). A cela s'ajoutait la langue de bois du régime qui a détourné le langage à son profit. D'où notre vigilance pour éviter les mots ou les concepts violés ou souillés par la politique... Pour écrire notre réalité, nous devions sans cesse chercher un langage innocent.» Cette exigence donne aux textes de Herta Müller une saveur et une atmosphère très particulières, la force des images contrastant avec la sobriété et la concision du propos. La narratrice, ouvrière dans une usine de confection qui travaille pour l'Italie, a été convoquée par la Securitate. Elle est dans le tramway et lutte pour ne pas se laisser entraîner par son angoisse et le sentiment d'humiliation que son interrogateur va s'ingénier à provoquer dès son entrée. Elle porte la blouse de son amie disparue, elle veut résister. Pendant le trajet, elle voit en flash-back les principaux épisodes de sa vie, elle regarde aussi les passagers autour d'elle. Le tramway ne s'arrête pas à la station où elle doit descendre et elle décide de ne pas se rendre à la convocation.

Et le prix Nobel de littérature est attribué à...

... Herta Müller.
Je vous en dis un peu plus tout à l'heure.

Prix Renaudot : huit romans seulement

Le jury du prix Renaudot calque sa sélection sur celle de l'académie Goncourt. Pour le nombre de livres retenus, du moins, pas pour les titres encore en lice. (Je rappelle que les deux prix sont attribués le même jour, le 2 novembre à 12h45.) C'est assez rare pour être noté: les sélections de ces deux prix n'ont actuellement plus aucun ouvrage en commun.

Pour le Renaudot du roman, donc, Eliette Abecassis, Bruno de Cessole, Jean-Pierre Milovanoff, Véronique Ovaldé, Patrick Poivre d'Arvor et Gérard Pussey ont disparu de la liste.
En revanche, Frédéric Beigbeder, Alain Blottière, David Foenkinos, Marie-Hélène Lafon, Vincent Message, Jean-Marc Parisis, Olivier Sebban et Anne Wiazemsky font de la résistance avant la dernière sélection qui sera annoncée le 26 octobre.

Pour le Renaudot de l'essai, Claude Lanzmann n'est plus là tandis que Pierre-Marc de Biasi et Jérôme Garcin font leur apparition aux côtés de Jean-Luc Barré, Alain Finkielkraut et Gabriel Matzneff.

Tout cela est à suivre sur la page que je consacre aux prix littéraires 2009.

mercredi 7 octobre 2009

Le Man Booker Prize pour Hilary Mantel

Hier soir, le jury du Man Booker Prize a livré le dernier secret de ses délibérations: Hilary Mantel, la favorite de tous les pronostics, est la lauréate pour Wolf Hall, un roman historique dont le héros est Thomas Cromwell, conseiller du roi d'Angleterre Henry VIII.
Hilary Mantel a créé "un roman contemporain, un roman moderne, qui se déroule au XVIe siècle", a souligné le président du jury James Naughtie, également journaliste à la BBC. Le jury a voulu consacrer un "extraordinaire" talent de conteuse, a-t-il ajouté.
L'écrivaine n'était pas une inconnue. Elle a publié une douzaine de livres depuis 1985, essentiellement des romans. Plusieurs d'entre eux ont été traduits et édités en français, d'abord par Gaïa, petite maison riche en découvertes (Changement de climat et Fludd), puis par Rivages (C'est tous les jours la fête des mères) et Joëlle Losfeld (La locataire, paru en février).
Pour celui-ci, il faudra attendre un peu... ou le lire en anglais. C'est une expérience que j'ai parfois faite et qui fut à la source de nombreuses satisfactions...

mardi 6 octobre 2009

Ils sont encore huit pour le Goncourt

L'académie Goncourt tire un trait sur six des quatorze titres sélectionnés la première fois. Et, le 27 octobre, il n'en restera probablement plus que quatre pour se disputer le prix le plus convoité, attribué le 2 novembre.

Edem Awumey, Daniel Cordier, David Foenkinos, Eric Fottorino, Yannick Haenel et Serge Mestre font les frais de ce dégraissage.

Notons que Minuit, sans être l'éditeur le plus puissant de la place de Paris, tire son épingle du jeu avec deux auteurs présents (Laurent Mauvignier et Jean-Philippe Toussaint), presque trois même si l'on considère que Marie Ndiaye (Gallimard) est bien présente dans son catalogue. Grasset (Sorj Chalandon), Albin Michel (Jean-Michel Guenassia), Stock (Justine Lévy), L'Olivier (Véronique Ovaldé) et Lattès (Delphine de Vigan) sont les autres éditeurs dont les chances sont préservées...

Le jury du prix Médicis fait le ménage

Ainsi vont les semaines précédant les prix littéraires. Chaque jury rétrécit ses sélections, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'un seul - le lauréat. Le prix Médicis vient donc, avec sa deuxième sélection, d'effacer un certain nombre d'ouvrages de sa première liste.

Les romans français perdent, du coup, Philippe Carrese, David Foenkinos, Eric Holder, Laurent Mauvignier, Jean-Pierre Milovanoff, Bruno Tessarech et Camille de Villeneuve. Il ne reste plus que neuf romans en lice sur seize dans la première sélection.

La sélection est moins sévère pour les romans étrangers, puisque neuf (aussi) des treize ouvrages retenus dans la première sélection ont disparu. Manquent à l'appel Abha Dawesar, Robert Littell, Sara Stridsberg et Tarun J. Tejpal.

La sélection des essais se restreint à cinq titres, tous présents dans la première liste dont disparaissent Yannick Haenel et Allen S. Weiss.

Comme vous en avez pris l'habitude si vous fréquentez ce blog, toutes les listes sont disponibles ici.

vendredi 2 octobre 2009

Prix Femina, deuxième

La sélection se resserre déjà. Le jury du prix Femina, en publiant sa deuxième liste, a éliminé quelques titres. Mais en a aussi ajouté...

Pour le roman français, David Foenkinos, seul auteur retenu dans toutes les premières sélections des grands prix traditionnels, disparaît. C'est aussi le sort de Francine de Martinoir, Catherine Mavrikakis, Laurence Plazenet et Lydie Salvayre. Cinq disparitions (dont quatre femmes). Et une apparition, avec Marie-Hélène Lafon pour L'annonce (Buchet-Chastel). Restent huit ouvrages.

Aucune entrée en revanche parmi les romans étrangers. Mais Carol Ann Lee et Anna Luisa Pignatelli n'ont plus été retenues. (Tiens! encore deux femmes!) Restent neuf.

La sélection des essais, quant à elle, en est à sa première version. Avec neuf titres:
Pour retrouver toutes les sélections et leurs mises à jour, c'est ici.

jeudi 1 octobre 2009

L'Académie française a aussi donné sa première sélection

Giscard s'occupe de son roman. Mais les autres académiciens, au moins ceux qui appartiennent à la Commission du Grand Prix du Roman, ont établi leur première sélection pour l'attribution du prix qui sera décerné le 29 octobre. Une étrange pudeur de vieille dame empêche, comme chaque année, l'Académie française d'indiquer les noms des éditeurs. Je les rétablis ici. Nous avons donc:

Gwenaëlle Aubry, Personne (Mercure de France)
Isabelle Autissier, Seule la mer s'en souviendra (Grasset)
Elisabeth Barillé, Heureux parmi les morts (Gallimard)
Renaud Camus, Loin (POL)
Bruno de Cessole, Le moins aimé (La Différence)
Yannick Haenel, Jan Karski (Gallimard)
Hervé Le Tellier, Assez parlé d'amour (Lattès)
Pierre Michon, Les onze (Verdier)
Jean-Pierre Milovanoff, L'Amour est un long fleuve de Sibérie (Grasset)

Rendez-vous dans deux semaines pour la short list, comme on ne dit pas quai Conti. (Et merci, Lucie.)
Et rendez-vous tout de suite sur la page de tous les prix littéraires 2009.



Que faisiez-vous le 16 janvier 1991?

En ce qui me concerne, je me souviens très bien. Bien avant le lever du jour, je m'étais installé devant la télé. Il n'y avait pas longtemps que CNN était diffusé par le câble à Bruxelles, et ce n'était pas sans rapport avec l'actualité de ce matin-là: l'ultimatum posé à l'Irak par le Conseil de sécurité de l'ONU, fortement inspiré par les États-Unis, avait expiré dans la nuit. Pour vivre la guerre en direct, il faudrait encore attendre quelques heures. Pour vivre la guerre en images, les limites de la médiatisation allaient très vite se faire sentir.
J'allais écrire, le 17, cet article paru le lendemain:
On avait annoncé une médiatisation maximale de la crise du Golfe et une intensification de la couverture des télévisions dès le déclenchement des hostilités. Elle s'est produite en effet, et personne ne peut donc se montrer surpris du nombre de journaux spéciaux qui ont éclos hier matin sur toutes les chaînes. Mais, au moins dans les premières heures du conflit, pas d'images! Les informations généreusement données par les forces alliées qui avaient attaqué l'Irak ne pouvaient donc être vérifiées que par les journalistes encore présents à Bagdad - ils devaient cependant se fier davantage au bruit des tirs et des bombes qu'à des observations directes.
La chaîne américaine CNN, visiblement la mieux équipée parmi toutes celles que reçoit notre pays parcouru par les câbles, avait quand même filmé les avions au décollage. (Ouverte à l'actualité vingt-quatre heures sur vingt-quatre, elle avait été la première, dans la nuit de mercredi à jeudi, à annoncer l'attaque sur Bagdad.) Quant à savoir de manière précise ce qui s'était passé sur le territoire irakien, c'était une autre histoire...
Si on pouvait avoir l'impression d'une surinformation en passant d'une chaîne à l'autre, hier matin, il fallait en réalité se contenter généralement de commentaires, de pronostics, de déclarations officielles et... d'images d'archives montrant, par exemple, les chars dans le désert. Il est permis de penser que l'évolution des combats sur le terrain aura, depuis, provoqué une modification des sources d'information, mais telle était cependant la situation jeudi matin.
De près, de loin, c'est ainsi que Jérôme Tonnerre ressent les événements dans L'Atlantique Sud. Un roman autobiographique où la guerre du Golfe n'est pas au premier plan. Mais c'est un décor, quelque chose qui se trouve là sans qu'on ait demandé à le voir, et qu'on ne peut s'empêcher de trouver envahissant.
En réalité, il est question de la mort de sa mère et de ses dernières volontés: que ses cendres soient dispersées dans l'Atlantique Sud. C'est où, ça? L'indication est vague et Jérôme est scrupuleux. D'autant que, sans avoir jamais osé voyager, il connaît tout sur le monde. Il a longtemps rêvé de partir, il est resté scotché dans son appartement. Irréductible sédentaire, le voici aux prises avec une mission impossible.
Et avec une guerre qui ne fait rien pour arranger son angoisse du départ.

La situation est très différente pour Constance, dans En retard pour la guerre, de Valérie Zenatti - devenu Ultimatum au cinéma. Bien que française, elle est à Jérusalem, où elle travaille sur des textes de Flavius Josèphe. La fin de l'année 1990 et les premiers jours de 1991 sont pour elle, comme pour tous les habitants d'Israël, un temps de préparation aux attaques chimiques que l'on craint de la part de l'Irak. Les consignes sont précises. Les alertes, le jour venu, se multiplieront. Mais, comme le monde de l'information est paradoxal, ce sont souvent ses parents, qui de France s'inquiètent pour elle, qui lui diront ce qui se passe exactement.
D'avoir le nez sur les événements ne permet pas toujours de les comprendre mieux. tandis que, de loin, on croit les comprendre et souvent on se trompe, parce qu'on est trompé par la présentation des faits...

Une chose est sûre: quelques semaines plus tard, le 2 mars, Serge Gainsbourg mourait. Et les deux romans, parfaitement synchrones, y font aussi allusion... Sensuelle et sans suite, comme il disait dans la chanson que j'écoute.