mardi 31 août 2010

Alain Corneau, le cinéaste qui aimait les livres

Je n'ai pas vu tous les films d'Alain Corneau, le cinéaste qui vient de mourir à 67 ans. Mais je suis certain d'une chose: cet homme aimait les livres et on peut le remercier d'en avoir adapté quelques-uns, très bons, de fort belle manière.
La preuve en quatre films... et demi.
En 1984 sort Fort Saganne, d'après le roman éponyme de Louis Gardel. Le grand spectacle du désert est mis en scène avec un sens de l'espace qui convient aux scènes spectaculaires.
Cinq ans plus tard, c'est Nocturne indien, d'après Antonio Tabucchi, romancier des demi-teintes et des silences, qui s'était transporté à Bombay. Ville dont le foisonnement avait, dans le film, quelque chose d'étouffant et de fascinant.
Puis, en 1991, dans un genre très différent, car Corneau variait les plaisirs, Tous les matins du monde, de Pascal Quignard, lui fournit l'occasion d'aborder la vie de Marin Marais, qui jouait de la viole de gambe, dans une atmosphère poétique au charme duquel il était difficile de ne pas succomber.
Encore un grand écart, en 2003, avec l'adaptation de Stupeur et tremblements, d'Amélie Nothomb - toujours pour moi son meilleur roman à ce jour -, où une jeune Européenne se frotte assez douloureusement au monde du travail japonais.
Cela fait quatre. Le cinquième, je ne l'ai pas vu: Les mots bleus (2004) est basé sur un roman de Dominique Mainard, Leur histoire. Que j'aime beaucoup. Avec Anna, la petite fille qui ne parle pas, Nadèdja, sa mère, qui ne sait pas lire, et Merlin, un enseignant qui s'attache à elles... Je ne manquerai pas la prochaine rediffusion.
Il y a, bien entendu, d'autres adaptations de romans dans sa filmographie. Rien que celles-là prouvent au moins qu'il était bon lecteur, et dans des genres variés puisque, on le sait, le polar a occupé une bonne partie de son temps.

dimanche 29 août 2010

Entre les romans de la rentrée, un "challenge Maigret"

Je n'ai jamais participé à ces "challenges" qui fleurissent ici et là dans les blogs. Je voyais récemment apparaître un challenge consistant à lire 1% de la rentrée littéraire - en se regroupant à plusieurs. Bof, j'espère bien lire au moins 70 romans de la rentrée à moi tout seul. (Je n'y aurai aucun mérite particulier, je ne fais que ça: lire.)
Mais je viens de découvrir un "challenge Maigret" qui me botte. C'est ici et je commence tout de suite. Il y aura douze autres romans au fil des semaines (soit 13 sur 75), dans l'ordre chronologique de parution.

Le goût de l'enfance
L'affaire Saint-Fiacre (1932)

Maigret se livre, dans L'affaire Saint-Fiacre, à une enquête très privée: il est né à Saint-Fiacre, son père a été régisseur du château pendant trente ans.
En retournant là-bas après avoir reçu un billet qui annonce un crime pendant la première messe du Jour des Morts, il retrouve les lieux de son enfance et des visages... qui ont vieilli comme le sien. Tout lui est à la fois familier et lointain, comme cette Marie Tatin qui tient l'unique auberge: La petite fille qui louchait, comme on l'appelait jadis! Une petite fille malingre qui était devenue une vieille fille encore plus maigre. Et qui ne parvient plus à le tutoyer comme autrefois...
Il assiste à la messe parmi une assemblée clairsemée: rien ne se passe. Puis, tout le monde s'en va, sauf la comtesse de Saint-Fiacre... qui est morte. Sans violence apparente, d'un arrêt cardiaque, affirme le médecin, qui la savait fragile. Il ne peut donc y avoir ni crime, ni assassin. Malgré le nombre de ceux qui auraient eu de bonnes raisons de précipiter la disparition de la châtelaine.
D'ailleurs, Maigret retrouve, dans le missel de la paroissienne décédée, une fausse coupure de presse relatant un scandale et dont la lecture a dû être fatale. Est-ce suffisant pour inculper le coupable de cette farce macabre? A l'évidence, le commissaire ne le pense pas.
Mais - c'est chez lui une seconde nature dès lors qu'un grain de sable a enrayé la machine sociale - il fouine, interroge, cherche à comprendre. Entre le décès et l'enterrement de la comtesse, il aura le temps de se faire une idée précise du rôle de chacun dans les événements. Sans mandat, sans réelle intention de coincer le responsable. Plutôt pour remettre de l'ordre dans ce fouillis, au risque de déranger tout le monde - ce dont il se moque bien.
Lors d'une scène peu banale sous la plume de Simenon, tous les suspects se trouvent réunis, à manger et à boire (d'abondance) au château où repose, à l'étage, le corps de la «victime». Maurice de Saint-Fiacre, son fils, pose un revolver au milieu de la table ronde et annonce que l'«assassin» mourra à minuit. Le décor est spectral, l'atmosphère lourde. Minuit sonne... un coup de feu ! On n'est pas habitué à ce type de réunion en présence de Maigret qui, néanmoins, y assiste avec placidité.
C'est assez artificiel. Si l'auteur y a mis une intention parodique, elle est sans effet. Et le goût de l'enfance, qui avait donné son charme à la première partie du roman, nous est complètement passé.

vendredi 27 août 2010

Amélie Nothomb, dix-neuvième rentrée

Mais qu'est-ce qu'on lui trouve, à Amélie Nothomb?
Cette question, il y a dix-huit ans que je me la pose, depuis son spectaculaire débarquement dans le monde étroit du best-seller en 1992, quand était sorti Hygiène de l'assassin. J'avais alors été un des rares (pas le seul, mais presque) à mettre en évidence les défauts plutôt que les qualités du livre. Je retrouve, sur Internet, un extrait de mon article qui, si je me souviens bien, était assez bref: «Les premiers romans se suivent et ne se res­semblent pas. Celui d'Amélie Nothomb, pour être ambitieux à plusieurs titres, ne parvient malheureusement à aucun de ses buts (...) Pour tout dire, on ne se prête pas à ce jeu psy­chologique dont l'intérêt littéraire n'apparaît pas vraiment.»
Très honnêtement, les arguments que j'aurais pu avancer alors pour justifier cette note négative me sont aujourd'hui un peu sortis de l'esprit. Mais ils étaient, me semble-t-il, solides, et il faudrait que je relise un jour le roman pour savoir si je les retrouve - ou si, ben oui, cela arrive, je m'étais énervé pour pas grand-chose.
Toujours est-il que, depuis, j'ai lu presque à chaque rentrée l'Amélie Nothomb nouveau qui tombe avec avec autant de régularité que le Beaujolais nouveau, bien que plus tôt dans l'année. Ceux que je manque, je les retrouve au moment de leur parution en poche et, à une ou deux exceptions près, je les ai ainsi tous lus. Avec, chaque fois, beaucoup d'espoir. Car enfin, une romancière qui occupe une telle place dans le cœur de ses lecteurs doit avoir quelque chose pour elle, non? Je n'affirmerai pas le contraire. Mais, le plus souvent, je suis déçu.
Et, malgré le chœur de louanges que je vois s'élever dans la presse à propos d'Une forme de vie, je suis bien incapable de m'y joindre.
Comme d'habitude, le livre repose sur une idée simple, étirée sur 180 (petites) pages et évacuée dans une pirouette finale. Les romans d'Amélie Nothomb doivent être, il faudrait en faire un jour l'expérience, aisément résumés sur Twitter - soit en 140 signes maximum, pour ceux qui ne pratiquent pas. Ici, cela donnerait quelque chose comme:
Amélie Nothomb et l'obésité d'un GI en Irak. Son engraissement est un sabotage (amoureux?). Stupeur de l'écrivaine, tremblement des chairs.
(139 signes.) Une bonne partie du livre est constituée par les lettres de ce militaire, Melvin Mapple. Il dit à Amélie Nothomb son malheur et son bonheur d'avoir pris cent kilos depuis qu'il est en Irak, parle poétiquement (?) de sa graisse. L'écrivaine lui répond, entre fascination et réticence. Lui propose d'envisager les transformations de son corps comme une œuvre d'art. Elle se répand en considérations sur l'obésité, l'anorexie et ses rapports avec ses lecteurs.
Certains de ceux-ci trouveront magnifique la manière dont elle formule ses réflexions. Je n'en suis pas. Elles me semblent aussi vaines que superficielles. Jugez vous-mêmes (et vous n'êtes pas tenus de penser comme moi):
Je vais écrire une chose grave et vraie: je suis cet être poreux à qui les gens font jouer un rôle écrasant dans leur vie. Nous avons tous une dimension narcissique et il serait plaisant de m’expliquer ces phénomènes récurrents par ce qu’il y a en moi d’extraordinaire, mais rien en moi n’est plus extraordinaire que cette malheureuse porosité dont je soupçonne les ravages. Les gens sentent que je suis le terreau idéal pour leurs plantations secrètes.
Une forme de vie est, à mes yeux de lecteur déçu, un roman pesant et qui, paradoxalement (en raison de son sujet) manque de poids.

jeudi 26 août 2010

Les auteurs de la rentrée : Jean-Marie Blas de Roblès

Jean-Marie Blas de Roblès, qui longtemps était resté silencieux, a été (re)découvert en 2008, avec Là où les tigres sont chez eux, qui avait reçu le prix Médicis. Son retour s'est moins fait attendre, avec un roman il est vrai beaucoup plus mince - 600 pages de moins. Mais non moins fascinant...

Vous publiez, dans cette rentrée littéraire, La Montagne de minuit. En même temps que 700 autres romans. Cette abondance ne vous effraie-t-elle pas?

Elle le devrait, puisque ce nombre signifie qu’il est strictement impossible pour qui que ce soit de lire l’intégralité de ce qui paraît en septembre. Libraires, critiques, amoureux de la littérature sont donc obligés de faire un choix drastique, si bien qu’un cinquième seulement de ces ouvrages auront la chance d’être lus et de faire leur chemin. Lorsque j’écris, toutefois, la seule chose qui compte c’est d’aboutir au livre, à l’objet imprimé, au meuble fini, ciré, lustré dans ses moindres recoins. Je ne pense ni à un lecteur particulier, ni à l’ensemble de ceux qui pourraient s’intéresser à ce que je fais, mais au livre que j’aurais moi-même envie de lire; en me disant, certes un peu naïvement, que s’il me plaît à moi, il pourra captiver d’autres lecteurs. Cela s’arrête là. Dans un monde où des milliers de manuscrits sont refusés chaque année, le simple fait d’être publié est un privilège suffisant.

Quel a été le point de départ de votre roman? Une idée, une phrase, une image, que sais-je...?

Je suis parti de deux anecdotes qu’on m’avait racontées en me les donnant pour des histoires vécues; j’en avais noté autrefois le synopsis dans mes carnets. Vérifications faites, l’une, celle de Rose et de sa mère, était authentique; l’autre, celle de Bastien et des brigades tibétaines, s’est révélée fausse. Fausse et pernicieuse... D’où ma réflexion sur les limites de la fiction par rapport à la réalité. Ou une certaine réalité, en tout cas.

Avez-vous été, dans votre travail, influencé par d'autres écrivains? Ou par d'autres artistes?

Très honnêtement, je n’en sais rien. Parmi mes auteurs préférés, on trouve aussi bien Flaubert, Borges, que Huysmans où Malcom Lowry, par exemple, des univers très différents qui me fascinent et m’instruisent sans constituer pour autant des modèles à suivre. Durant mes années d’études, on m’a répété mille et une fois que pour espérer être soi-même, il fallait assimiler plutôt qu’imiter ou emprunter; je crois avoir retenu la leçon et m’efforce de l’appliquer.

« S’il y a quelque chose de pire que la religion, c’est le mythe», écrit Rose à Paul. Est-ce aussi votre opinion ?

Dit rapidement, les mythes sont des fables qui donnent du sens à l’absurdité apparente du monde et proposent les règles de conduite, les valeurs correctes à observer par tel ou tel groupe social pour continuer à exister. Dans le meilleur des cas, ces fables fonctionnent comme des contes philosophiques dont on doit tirer la morale appropriée, dans le pire – c’est le plus courant – comme autant d’illustrations d’une vérité transcendante que les hommes doivent observer sous peine de disparaître.
Rose fait allusion au conspirationisme ambiant, c’est-à-dire aux théories déraisonnables qui prétendent expliquer le malaise du monde contemporain en l’attribuant à un vaste complot ourdi par quelques-uns. Ces fables modernes fonctionnent comme autant de mythes, elles donnent un sens au malaise de notre civilisation en désignant des boucs émissaires, rassurent à bon compte, soudent de larges communautés qui se perçoivent comme victimes d’une minorité arrogante et intouchable. Elles réactivent la croyance en une vérité cachée par des instances pernicieuses, entretiennent le soupçon généralisé, la certitude d’une machination diabolique. En désignant nommément des responsables, elles préparent un nouveau sacrifice expiatoire. «On ne croit plus aux machinations des divinités homériques, auxquelles on imputait les péripéties de la Guerre de Troie, souligne Karl R. Popper. Mais ce sont les Sages de Sion, les monopoles, les capitalistes ou les impérialistes qui ont pris la place des dieux de l’Olympe homérique.»
Nous n’avons nul besoin des dieux pour essayer de construire un monde viable. On a pu espérer que leur disparition, malgré quelques adhérences ici ou là, permettrait de passer à un véritable projet humaniste, mais ce n’est pas le cas. Gagnée de haute lutte sur des siècles de peurs instinctives, la lucidité qui procède de la raison et de l’esprit scientifique reste si difficile à affronter qu’elle laisse le champ libre à toutes les croyances. Là où les religions traditionnelles ont su évoluer, canaliser le besoin de transcendance, libérer la foi du mythe au point que celle-ci fait aujourd’hui bon ménage avec la connaissance scientifique, les mythes modernes se réancrent dans l’irrationnel le plus archaïque: s’ils me semblent «pires que les religions», c’est parce qu’ils sont obtus et guerriers, parce qu’ils ont la puissance aveugle de l’obscurantisme.

mercredi 25 août 2010

Les auteurs de la rentrée : Xavier Hanotte

Quinze ans se sont passés depuis Manière noire, le premier roman de Xavier Hanotte. Depuis, il explore un univers personnel bâti à mesure que les livres s'ajoutent les uns aux autres. Ce qu'on appelle une œuvre, en somme. Avec, pour le lecteur habitué à la fréquenter, sa part de surprise à chaque fois - en particulier cette fois-ci. Et, pour celui qui découvre, l'occasion d'aborder des rivages inconnus.

Vous publiez, dans cette rentrée littéraire, Des feux fragiles dans la nuit qui vient. En même temps que 700 autres romans. Cette abondance ne vous effraie-t-elle pas?

J'écris par besoin, par pente naturelle, avec l'envie d'en savoir plus sur moi-même et sur le monde dans lequel je trace ma route, vaille que vaille. De mon point de vue, le reste est donc accessoire, une sorte de bonus improbable, et comme je n'ai jamais rêvé de vivre de ma plume et encore moins d'être connu (ça devient une profession, paraît-il), franchement, je me fiche pas mal du nombre de livres qui peuvent sortir en rentrée ou hors rentrée. De plus en plus, je crois qu'un livre sincère rencontre toujours son public, en dehors des battages de tous ordres. Dieu merci, le succès n'a rien d'impératif tant qu'un éditeur vous suit. Et comme je n'en ai jamais changé...

Quel a été le point de départ de votre roman? Une idée, une phrase, une image, que sais-je...?

Le point de départ du roman? Il remonte à si loin que je ne le distingue plus très nettement. La première idée m'en est venue il y a plus de vingt ans, quand je n'imaginais pas encore écrire, tant la chose me paraissait relever de l'arrogance. En fait, j'avais fini par croire qu'il ne sortirait jamais de ma boîte à rêves, ce bouquin. Car Des feux fragiles dans la nuit qui vient, c'est un peu la somme de mes petits mythes personnels. Le livre s'est donc bâti lentement, par strates, géologiquement pour ainsi dire. S'y mêlent - comme d'habitude - quantités de souvenirs personnels, du plus vague au plus précis. Il y a sans doute eu de longues nuits de caserne durant lesquelles, j'imagine, le personnage de Pierre Berthier a commencé à prendre consistance. Le chemin est souvent long...

Avez-vous été, dans votre travail, influencé par d'autres écrivains? Ou par d'autres artistes?

Pour moi, la lecture - comme l'écriture d'ailleurs - n'a jamais été une forme de divertissement, et moins encore une aimable distraction. Bref, lire, écrire - traduire, dans mon cas - c'est vivre plus, vivre mieux. Je suis donc aussi le produit de mes lectures comme d'autant d'expériences vécues. Alors prétendre que Le Rivage des Syrtes, Un balcon en forêt, de Gracq, Le Désert des Tartares de Buzzati ou Retour en Atlantide de Lampo - voire Un soir, un train d'André Delvaux - n'ont rien de commun avec ce roman n'aurait pas beaucoup de sens. La Bruyère l'a dit bien avant moi. «Depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent, etc.» Et pourtant, vraiment, Des feux fragiles, à mon avis, c'est tout autre chose...

L’adjudant Berthier est empli de certitudes autant que de doutes. Est-il, d’une certaine manière, un double de vous-même?

Bien plus de doutes que de certitudes! Les gens qui ne doutent pas, s'ils existent, sont terrifiants. Dans Des feux fragiles, en tout cas, ils le sont! Sans le doute, la création n'a aucun sens. Au contraire, elle s'en nourrit. Donc oui, plus que le reconnaître, je le revendique: Pierre Berthier, s'il n'est pas mon porte-parole (auquel cas il ne vivrait pas), me ressemble assez... En tout cas j'aimerais bien.

mardi 24 août 2010

Les auteurs de la rentrée : Christophe Ghislain

Premier roman pour Christophe Ghislain, lâché d'emblée dans le grand bain (celui de la rentrée littéraire). Une belle occasion, pour tous ceux qui se demandent comment ça se passe, comment on arrive là, d'éclaircir les chemins tortueux de l'édition, quand on n'est ni une vedette de la télévision ni un écrivain déjà confirmé...

Vous publiez, dans cette rentrée littéraire, La colère du rhinocéros. En même temps que 700 autres romans. Cette abondance ne vous effraie-t-elle pas?

Non. Pas vraiment. Vu de l’extérieur, ça peut sembler flippant. Vous, vous découvrez ce texte aujourd’hui, comme s’il venait de naître, comme si tout était encore à faire pour le gentil joli bébé rose – ce qui est le cas, d’une certaine façon. Pour moi, qui vis l’aventure depuis le début, c’est-à-dire depuis la conception du projet, c’est totalement différent. Des combats, ce rhinocéros et moi, on en a mené! Comme tous les auteurs, me direz-vous. Mais au final, peu importe. Moi, je sais juste mon parcours. Les années de doutes et les espoirs qu’on ose à peine formuler, la sueur, l’exaltation du lundi suivie de la déprime du mardi, sans même savoir si cette danse folle mènera quelque part. Je me souviens de ce jour. L’envoi du manuscrit, posté d’un geste ému, sans savoir une fois de plus – sera-t-il seulement lu? L’attente et les réponses, merci d’avoir pensé à nous mais non merci, et je vous passe le reste. Tout ce qui, durant près de quatre ans, a séparé l’écriture de la première ligne de ce coup de fil, un des plus beaux de ma vie: oui! Une femme, à l’autre bout du fil, elle a cet accent parisien et elle dit oui. Je ne connaissais personne. Ni dans le monde de l’édition, ni même pour me dire si j’étais dans le bon, avec ce texte. Je m’étais lancé simplement parce que je voulais écrire ce roman, et que c’était une raison suffisante… et enfin oui. Ça n’a rien de très original. Des paquets d’auteurs ont vécu ces choses-là. Mais pour moi, à partir de là, le reste c’est du bonus. Les ventes et les articles et les salons et je ne sais quoi. Que du bonus. Je ne vais pas vous mentir: si le rhino rencontre le succès, tant mieux! Je suis preneur! Mais de mon point de vue, j’ai déjà gagné. Mon roman est publié. Et il sera lu. (Ne serait-ce que par mes voisins.) Des milliers d’autres personnes n’ont pas eu cette chance. Quant aux 699 autres romans de la rentrée… je ne sais pas… bonne chance, j’imagine.

Quel a été le point de départ de votre roman? Une idée, une phrase, une image, que sais-je...?

L’accident de voiture. La bagnole à l’arrêt, déglinguée, après avoir percuté un rhinocéros endormi sur la route. C’était ça, mon point de départ. La première image. Le premier plan, à vrai dire. A l’époque, j’étais étudiant dans une école de cinéma. Il fallait avoir des idées, sans cesse, pour un scénario, un film, une pub, une émission de télé, une pièce de théâtre, un autre scénario ou un autre film. Ce plan m’est venu, et autour de lui quelques bribes. Gibraltar. Son père. La vieille et ses putes. Ça tenait en une page. Les prémisses de ce qui allait devenir La Colère du rhinocéros. Je n’avais jamais écrit de texte littéraire à proprement parler, mais quelques ateliers scénarios s’approchaient de la nouvelle, et je me suis dit «c’est ça!». J’ai vite pensé à écrire. Je ne savais pas quand. Je ne savais pas quoi. Mais ce plan et ces bribes, je les ai gardées pour moi, pendant deux ans, sans trop savoir dans quel but, et à la fin de mes études je les ai déterrés et j’ai tout repris à zéro.

Avez-vous été, dans votre travail, influencé par d'autres écrivains? Ou par d'autres artistes?

Impossible de faire autrement, à moins de vivre sur Mars. Avant d’être écrivain, je suis lecteur. Et forcément je suis influencé. Mais non, je n’essaye en aucun cas de pomper ceux que j’admire. Au contraire! (Ces gens, je les trouve tellement bons, je me sentirais bien ridicule d’aller jouer sur leur terrain.)
Si vous voulez des noms, en voilà :
John Irving. Le monde selon Garp. La première fois – je devais avoir dix-huit ans –, j’en ai lu cinquante pages, puis j’ai refermé le bouquin pour l’oublier une année entière, avant de l’ouvrir à nouveau. Et je ne l’ai plus lâché. Depuis, d’autres ont pris le relais : McCarthy, Harrison, Steinbeck, Bukowski, Dickens, Easton Ellis, Garcia Marquez, McCann, Cervantès, Rimbaud, Vian, Salinger, Capote, Baricco, Fante, Süskind et j’en oublie… (J’ai une mémoire de poisson rouge.) Sinon, j’ai beaucoup aimé Les aventures de Oui Oui.
Pourtant, quand j’écris, je ne lis presque plus. Mon propre texte occupe toute la place dans la case littérature de mon cerveau. Donc quand j’arrête, en fin de journée ou de matinée ou de soirée, j’ai envie de tout, sauf d’un bouquin. Quitter une page pour en retrouver une autre, au secours! Il y a le monde, autour! La vie, quoi! J’ai surtout envie de sortir de chez moi et de prendre l’air, de voir des amis, de respirer, de prendre ma corde et d’aller grimper. Un peu de vent dans les cheveux, bon sang! Et puis, s’il m’arrivait de lire un roman trop secouant, il pourrait avoir un impact sur mon travail en cours. Il y a déjà assez de doutes et de remises en question. Et, pour écrire, j’ai besoin d’être à 120% dans l’histoire, avec les personnages. Alors durant ces périodes, d’un point de vue littéraire, je vis dans une bulle. Aucune autre histoire, aucun autre personnage! Je me colle un panneau sens interdit sur le front, et ne veux plus rien savoir! Par contre, en-dehors de ces périodes, je lis beaucoup. Je me nourris.

Le projet du père de Gibraltar, «amener la mer à Trois-Plaines», est-il celui d’un fou ou d’un doux rêveur?

Je ne sais pas. Au lecteur de choisir. Si certains vous répondront ceci ou cela, d’autres y verront un peu des deux. En ce qui me concerne, je serais plutôt d’accord avec ces derniers. Se contenter de dire qu’Arthur est un fou, ou un rêveur, me semble assez réducteur. Il est tout ça, et d’autres choses encore. Quant à son projet… je le trouve d’une grande beauté, et terrible à la fois.

lundi 23 août 2010

"Zone", de Mathias Enard, en poche

On l’a beaucoup dit à sa sortie: Zone, le troisième roman de Mathias Enard, présente une particularité typographique inhabituelle. Pas de points pour finir les phrases dans un texte pourtant volumineux et découpé en chapitres. Ceux-ci s’ouvrent sans majuscules et ne se ferment pas. Le procédé n’est pas inédit, d’autres l’ont employé à plus ou moins bon escient. Est-ce une pose gratuite ou une nécessité? Une envie de dérouter le lecteur? On penche pour la nécessité: le long monologue intérieur ruminé par le narrateur se déroule pendant un trajet en train entre Milan et Rome. La phrase presque unique suit un rythme ferroviaire, avance au fil des kilomètres sans rompre le fil de la pensée – pensée soumise, bien entendu, aux digressions qui amènent d’un sujet à un autre.
Avant d’en venir à la matière même du livre, matière dense, liée à l’histoire récente de l’Europe et du Proche-Orient (celui-ci étant la Zone, au sens géographique), il faut quand même préciser que le temps du voyage est aboli à trois reprises, quand le personnage principal lit un livre de Rafaël Kahla, un Libanais qui raconte un épisode de combats à Beyrouth. Kahla fait des phrases «normales», avec des points et des paragraphes. Et son texte fait écho au récit principal.
Celui-ci, en effet, retrace une part de la vie de Francis Servain Mirković, l’homme qui est dans ce train et auquel le passeport donne une autre identité, Yvan Deroy, empruntée à un fou. Francis-Yvan a été combattant en Bosnie, une guerre pas toujours propre, puis il s’est mis à utiliser d’autres armes, non moins meurtrières, celles qu’on met à la disposition des espions. Il a accumulé des renseignements discréditant bien des acteurs de la politique et des guerres de la fin du 20e siècle. Aujourd’hui, après avoir pris beaucoup d’autres trains dans sa vie, après avoir aimé (peut-être) trois femmes dont il se souvient, il transporte une mallette où sont enfermés des secrets destinés à être vendus au Vatican qui, on l’imagine, les fera ensuite disparaître, s’ils arrivent à destination.
Les épisodes du passé se mêlent sans se confondre. Les nombreux personnages qui ont accompagné les années d’activité, et dont certains ont fait l’actualité, surgissent sans prévenir. On les suit dans les méandres d’une mémoire à laquelle aucun détail n’a échappé.
Plusieurs fois déjà le narrateur a failli disparaître à ses propres yeux, basculer dans l’absence: «j’étais un fantôme enfermé au royaume des Morts, condamné à errer sans jamais imprimer une pellicule photographique ou me refléter dans un miroir jusqu’à ce que je brise le sort», se disait-il déjà à Salonique. Pour en arriver à ce train: «je suis un fiancé de la Moire implacable alliée d’Hadès dans mon train grondant vers le néant, affublé du masque mortuaire d’Yvan Deroy le Fou, filant vers Rome et la fin du monde au milieu des collines toscanes invisibles en compagnie de voyageurs fantômes et de souvenirs de massacres dans ma valise».
Ces massacres débordent de la valise et de la mémoire. Ils remontent aussi plus loin dans le temps. Ce sont des dizaines de milliers de cadavres accumulés au cours de guerres interminables, des violences auxquelles renvoient des destins d’écrivains, des images de films – et l’implacable réalité historique. Assis dans le train, ou en route vers le bar pour y boire encore un gin, Francis ou Yvan parcourt des champs infinis jonchés de corps mutilés.
Un tour de force saisissant.

dimanche 22 août 2010

Les auteurs de la rentrée : Claro

Le roman dont j'espérais le plus de bonheur dans cette rentrée ne m'a pas déçu. Claro donne une gifle dont l'effet dure longtemps. Si vous ne vous souvenez pas du Magicien d'Oz, c'est le moment d'y retourner, par le biais de cette version prolongée, approfondie, délirante, trop riche pour qu'il soit possible de la circonscrire en un article. (Et dire que j'en ai un à écrire, d'article, Claro, tu ne me simplifies pas la vie - merci.)

Vous publiez, dans cette rentrée littéraire, CosmoZ. En même temps que 700 autres romans. Cette abondance ne vous effraie-t-elle pas?

Ça fait vingt-quatre que j’écris, traduis et publie des livres, donc cette abondance m’est pour ainsi dire familière, même si c’est la première fois que je sors un livre en rentrée. Je pars du principe qu’il ne s’agit pas d’une compétition, qu’un livre met du temps à trouver, voire «fabriquer» son lectorat. L’effet de concurrence est un problème qui concerne avant tout l’éditeur et le service de presse; j’ai fait mon boulot, et à part «accompagner» mon livre, je ne vois aucune raison saine de penser que les autres livres menacent le mien. La rentrée littéraire, aussi massive soit-elle, ne se réduit pas à un marathon. Balzac disait que «la gloire est le soleil des morts» – un peu d’ombre me semble donc un sort enviable.

Quel a été le point de départ de votre roman? Une idée, une phrase, une image, que sais-je…?

Au départ, il y des images du film Le Magicien d’Oz – le corps rouillé du Bonhomme en fer blanc, le corps désarticulé de l’Epouvantail, la Tornade qui progresse –, et ces images sont venues s’articuler sur le projet d’écrire une histoire chahutée de la première moitié du vingtième siècle, suite logique à un précédent ouvrage publié en 1997, Livre XIX, qui tentait d’embrasser le dix-neuvième siècle dans ses motifs et ses styles.

Avez-vous été, dans votre travail, influencé par d’autres écrivains? Ou par d’autres artistes?

Quand on en est à son treizième livre, la question des influences est forcément plus diffuse, car les grandes écritures qu’on a aimées et pratiquées par la lecture ont eu le temps de décanter. La principale influence, je crois, c’est son propre style, dont il faut se méfier comme de la peste afin de ne pas se plagier de livre en livre.

Over the rainbow (la chanson la plus connue du film Le Magicien d’Oz, pour ceux qui n’auraient pas compris tout de suite): l’interprétation originale de Judy Garland, celle d’Amanda Lear ou une autre?

Il existe d’innombrables reprises de cette chanson qui, par ailleurs, a failli ne pas figurer dans la bande-son du film, les producteurs trouvant qu’elle ralentissait l’action et pouvait choquer (une jeune fille chantant dans une ferme au milieu des poules et des cochons…), mais ma version préférée reste une des premières prises faites par Judy Garland, dans laquelle elle doit s’interrompre parce qu’elle a mal posé sa voix et s’étrangle un peu au bout de quelques mesures. Elle demande alors si elle doit reprendre sur un tempo plus rapide. Sinon, j’aime beaucoup la version live de Rufus Wainwright, très glamour et désespérée.

samedi 21 août 2010

Les auteurs de la rentrée : Bernard Quiriny

Bernard Quiriny était l'auteur de deux recueils de nouvelles, L'angoisse de la première phrase (2005) et Contes carnivores (2008, réédition en poche dans quelques jours). Les magazines Chronic'art et le Magazine littéraire publient ses articles. Il passe au roman, avec un thème politique. Les femmes ont pris le pouvoir dans le Benelux et exercent une véritable dictature sur un territoire qu'une délégation française est invitée à visiter...

Vous publiez, dans cette rentrée littéraire, Les assoiffées. En même temps que 700 autres romans. Cette abondance ne vous effraie-t-elle pas?

Même au milieu de 700 livres, on est si content d’avoir la confiance d’un éditeur qu’on se croit seul au monde. Et peu importe le moment, en fait: le livre est là, qui veut le lire le pourra, maintenant ou plus tard.

Quel a été le point de départ de votre roman? Une idée, une phrase, une image, que sais-je...?

Pour autant que je me souvienne, un reportage du magazine «Strip-tease» sur une délégation d’élus belges en voyage officiel en Corée du Nord. Cela s’intitulait, je crois, Une délégation de très haut-niveau. Plus lointainement, diverses lectures sur l’URSS sous Staline, ainsi qu’un essai de François Hourmant sur les voyages d’intellectuels dans les pays communistes. Et l’arrivée de Haddock et Tournesol au San Theodoros dans Tintin chez les Picaros.

Avez-vous été, dans votre travail, influencé par d'autres écrivains? Ou par d'autres artistes?

Oui pour les nouvelles, pas vraiment pour ce roman. Même si j’aimerais pouvoir me réclamer de Will Self pour l’idée et de Philippe Muray pour, disons, l’ironie.

J’imagine bien que vous vous en prenez au pouvoir plutôt qu’aux femmes. Mais quand même, pourquoi avoir choisi les femmes pour conduire cette révolution?

En effet, j’aurais pu écrire le même roman avec des fondamentalistes religieux, une secte millénariste, des écologistes fanatiques, des néo-bolcheviques quelconques, etc. Sur le principe, ça aurait fonctionné. Mais, allez savoir pourquoi, les féministes radicales m’inspiraient davantage, de même que le Benelux était à mon sens un meilleur décor que la Suisse ou Monaco. Pourquoi? Je n’en sais rien: bizarreries de l’imagination, mystères du sens de l’humour. J’ai découvert récemment que dans un registre vaguement similaire, Robert Merle avait déjà imaginé une dictature féministe dans un roman de 1974, Les hommes protégés. Chez lui, c’était en Amérique. S’il avait été belge…

vendredi 20 août 2010

"Mais le fleuve tuera l'homme blanc", de Patrick Besson, en poche

Mais le fleuve tuera l'homme blanc est un roman qui a du corps. Patrick Besson lorgne du côté du roman d’espionnage et place, au cœur d' une intrigue complexe, le Rwanda et son histoire récente. La gravité de celle-ci n’empêche pas l’écrivain de céder parfois à son goût pour les bons mots. «Trois morts et deux enlèvements: on aurait dit le titre d’une comédie policière anglaise.» Heureusement: certains chapitres ressemblent davantage, et sans humour cette fois, à des leçons de géopolitique assénées avec conviction par ceux qui les prononcent. Comme il y en a plusieurs dans le livre, et de différentes sources, elles pourront se révéler contradictoires. Mais, sans contradictions, y aurait-il encore des conflits puisque tout le monde serait d’accord?
En classe affaires d’un vol Paris-Brazzaville, assis à côté d’un conseiller de présidents africains, un homme du pétrole observe une femme qu’il a reconnue avant même d’embarquer: Blandine de Kergalec, dont le nom a fait la une des journaux en 1985 pour des raisons que nous découvrirons plus tard. A son arrivée dans la capitale africaine, l’ancienne espionne est prise en filature par le narrateur des premières pages. Par désœuvrement ou dans un but précis? Patrick Besson ne joue pas cartes sur table. Dans la nuit de Brazzaville, il se contente de pousser paresseusement quelques pièces, enjeu encore dérisoire d’une partie qui prendra de l’ampleur.
Il en profite au passage pour égrener avec légèreté quelques réflexions générales. «La nuit, en Afrique équatoriale, manque de délicatesse. Elle s’affale sur les habitants comme un cheval, avec le pet de la coupure d’électricité.» Ou, sur les Européens qui arrivent en Afrique: «De blancs, ils deviennent blafards. Ils ont les yeux perdus. Leurs cheveux pointent comme des cornes de diable. Leur dos se courbe sous le poids de la misère environnante que les politiques internationales successives de développement n’ont fait que développer.»
Ne nous attardons pas plus longtemps que le romancier. Quelques pages plus loin, le pétrolier pénètre aux Rapides, un restaurant-dancing au bord du fleuve, sur les pas de Blandine de Kergalec, non sans avoir pris soin d’embarquer une jeune femme qui attendait près de l’entrée. Quelle meilleure couverture, pour un «moundélé» (un Blanc), qu’une probable prostituée?
Aux Rapides, deux nouveaux personnages entrent en scène: Tessy, l’Africaine à qui le narrateur a demandé de l’accompagner, et Joshua, un Tutsi selon toute apparence, avec lequel l’ancienne espionne semblait avoir rendez-vous. Quelques éléments sont en place. Pas tous. La partie continue.
Patrick Besson marche sur les traces de John Le Carré – plutôt que sur celles de Gérard de Villiers. Son pétrolier a lu les deux, il y repense en retrouvant Bernard Lemaire, le conseiller de l’avion, quand celui-ci lui présente Elena Petrova, une Russe qui est restée au Congo pendant toutes les guerres. Il n’est pas certain que John Le Carré aurait gardé, s’il avait écrit ce livre, la litanie de dates qui ponctuent d’épisodes violents les années récentes du pays.
Mais le fleuve tuera l’homme blanc souffre parfois – et même souvent – d’un excès de documentation. Certes, il s’inscrit dans le cadre d’événements précis, dont beaucoup sont authentiques. Était-il pour autant indispensable de les exposer dans tous leurs détails? En avions-nous besoin? Patrick Besson s’est laissé déborder par ce qu’il avait envie de dire et n’a pas vraiment dominé le matériau, très riche il est vrai, dont il disposait.
Ce n’est pourtant là qu’un reproche mineur. Car il a aussi accompli d’énormes efforts pour ne jamais lâcher le fil de son récit. On ne le lâche pas non plus. Ou plutôt: on s’accroche à tous les bouts de fil qui dépassent. Ils sont nombreux, dans une pelote qui semble longtemps inextricable. L’intrigue se démultiplie au fur et à mesure que nous apprenons à mieux connaître les personnages qui se croisent et dont le passé expliquera toujours, mais pas tout de suite, le présent.
Mais le fleuve tuera l’homme blanc aurait pu être un très grand livre. Il s’agit quand même d’un excellent roman, et ce n’est pas rien.

mardi 17 août 2010

Le prix du roman de la Fnac à Sofi Oksanen

Je vous avais donné, la semaine dernière, la sélection de la Fnac pour son prix du roman 2010. Voilà, le verdict est tombé: il s'agit de Purge, premier roman traduit en français de Sofi Oksanen, qui écrit en finnois.
Ce n'aurait pas été mon choix, mais il est mieux que respectable. J'ai lu ce livre, excellent. Il possède, outre ses qualités littéraires, la particularité de nous faire découvrir une région que nous sommes probablement peu nombreux à connaître (et que pour ma part je ne connaissais pas du tout), l'Estonie occidentale, à travers un récit qui traverse quelques décennies particulièrement complexes sur le plan politique - et complexes, surtout, pour les personnages qui ont vécu l'époque.
Comme Purge sort seulement le 25 août, je n'en dis pas plus pour l'instant, j'y reviendrai le moment venu.
Mais la saison des prix n'est pas encore vraiment ouverte qu'elle commence déjà bien. Chic!

lundi 16 août 2010

Rentrée littéraire : ma règle du jeu

La semaine dernière, l'avant-garde des romans de la rentrée se pointait en librairie. Mais c'est surtout à partir de cette semaine que débarque le gros de la troupe. Et les semaines suivantes, jusque fin et septembre et début octobre, au moment où déjà le milieu parisien grouillera de rumeurs à propos des prix littéraires. (En fait, cela grouille probablement déjà, mais je n'ai rien entendu...)
Cette année, je vais tenter d'obtenir, des auteurs qui publient dans la rentrée, des réponses aux questions que je me pose - et que vous vous posez aussi, je l'espère. Romanciers français ou de langue française, romanciers traduits, ils auront tous la parole.
Du moins - première règle - ceux que j'ai lu. Je me refuse à aborder un roman que j'aurais seulement survolé, ou sur lequel je me serais contenté de lire des articles. Il n'y aura donc pas tout le monde, mais un choix.
Deuxième règle: les premières questions seront les mêmes pour chaque écrivain interrogé, seule la dernière sera adaptée au contenu du roman.
Comme il n'y a pas de troisième règle, voici les questions communes.

- Vous publiez, dans cette rentrée littéraire, [titre du livre]. En même temps que 700 autres romans. Cette abondance ne vous effraie-t-elle pas?

- Quel a été le point de départ de votre roman? Une idée, une phrase, une image, que sais-je...?

- Avez-vous été, dans votre travail, influencé par d'autres écrivains? Ou par d'autres artistes?

J'espère recevoir les premières réponses cette semaine. Et vous serez, bien entendu, les premiers avertis.

jeudi 12 août 2010

Traduit du norvégien, pour ouvrir la rentrée

Dans la grande série des auteurs noirs venus du Nord (on aura compris que je ne parle pas de la couleur de leur peau), dont Stieg Larsson est depuis quatre ans l'incontestable vedette (attention: Millenium 1: Les hommes qui n'aimaient pas les femmes sort en poche le 1er septembre, ruée prévisible), voici un nom nouveau, Levi Henriksen, par ailleurs parolier et musicien rock populaire dans son pays, la Norvège. Son premier roman, Du sang sur la neige, qui nous arrive (aujourd'hui) en français, a reçu le prix des Libraires. Il n'est pas tout frais, puisqu'il date de 2004 en langue originale - mais le froid conserve, c'est bien connu.
Dommage que le titre soit si banal, comme si l'éditeur avait voulu gommer toute la poésie de la version norvégienne: Snø vil falle over snø som har falt, avouez que ça sonne autrement, avec ses répétitions. En traduction Google (une fois les fautes d'orthographes corrigées), cela donne: La neige va tomber sur la neige qui est tombée. Moins banal, non? A modifier pour une version intelligible, mais on voit l'idée - pour le reste, ce n'est pas mon boulot!
Heureusement, toute cette neige et le froid entêtant qui l'accompagne sont le décor d'un roman épatant - je n'aurais pas voulu ouvrir la rentrée avec un livre insignifiant, je veille à ma réputation!
Dan Kaspersen, récemment sorti de prison où il a été enfermé pour un trafic de drogue dont il ne semble pas être le principal responsable, est de retour chez lui. Où tout se défait. Son frère s'est suicidé. Un vieil homme riche a été cambriolé et tabassé. La police lui tourne autour. Il a le profil idéal du coupable. Et, dans la tête, de multiples questions sans réponses. Il aurait mieux fait de suivre sa première impulsion: ne repasser à Skogli que pour faire ses valises et partir loin. Au lieu de quoi il s'incruste dans une sorte d'immobilité - immobilité coupable, forcément coupable, aux yeux de tous. Ou presque.
Oui, il y a Du sang sur la neige. Mais il y a surtout la neige qui recouvre les traces et empêche de comprendre tout de suite ce qui se passe. On avance donc dans une sorte de brouillard presque solide, on se fraie un chemin vers, peut-être, la lumière.

mercredi 11 août 2010

Demain, c'est la rentrée ! 701 romans, et moi et moi et moi...

Oui, c'est déjà demain. Les premiers romans de la rentrée sont en partance vers vos librairies préférées - s'ils n'y sont pas déjà arrivés. Je lis, je lis, avec l'impression d'avoir à peine commencé et d'être en route pour nulle part. 701 romans, et moi et moi et moi...
Je n'ai pas encore les moyens de vous proposer une sélection de mes livres préférés, il y en a trop qui me tentent et que je n'ai pas encore eu le temps d'ouvrir.
A défaut, et en guise d'amuse-bouche, voici donc la sélection opérée par les libraires et les adhérents de la Fnac - 500 libraires et 400 adhérents, cela fait du monde. Ils choisiront, aux environs du 20 août, leur prix du roman - que Yannick Haenel avait reçu l'an dernier pour son très controversé Jan Karski.

Sélection commune aux adhérents et aux libraires
Savoir perdre, David Trueba (Flammarion)
Où j’ai laissé mon âme, Jérôme Ferrari (Actes Sud)
Jours d’enfance, Michel Heyns (Philippe Rey)
Purge, Sofi Oksanen (Stock)

Sélection des libraires
L’art du contresens, Vincent Eggericx (Verdier)
Le sel, Jean-Baptiste Del Amo (Gallimard)
Que font les rennes après noël ?, Olivia Rosenthal (Verticale)
Soufi mon amour, Elif Shafak (Phébus)
La malédiction des colombes, Louise Erdrich (Albin Michel)
De lait et de miel, Jean Mattern (Sabine Wespieser)
Les jardins statuaires, Jacques Abeilles (Attila)
La fortune de Sila, Fabrice Humbert (Le Passage)
Rosa Candida, Audur Ava Olafsdottir (Zulma)
Cosmoz, Claro (Actes sud)
Sanctuaires ardents, Katherine Mosby (La Table ronde)
Les trois saisons de la rage, Victor Cohen Hadria (Albin Michel)
Ouragan, Laurent Gaudé (Actes Sud)
Nagasaki, Eric Faye (Stock)
Requiem pour Lola rouge, Pierre Ducrozet (Grasset)

Sélection des adhérents
Vivement l’avenir, Marie-Sabine Roger (Rouergue)
Qu’as-tu fait de tes frères ?, Claude Arnaud (Grasset)
Le troisième jour, Chochana Boukhobza (Denoël)
Ta mère, Bernardo Carvhalo (Métaillé)
Salaam la France, Bernard du Boucheron (Gallimard)
Celles qui attendent, Fatou Diome (Flammarion)
Le cœur régulier, Olivier Adam (L’Olivier)
Dans la nuit brune, Agnès Desarthe (L’Olivier)
Le wagon, Arnaud Rykner (Rouergue)
Fils d’Héliopolis, James Scudamore (10/18)
Parle leur de batailles, de roi et d’éléphants, Mathias Enard (Actes sud)

jeudi 5 août 2010

En été, les BD de l'automne

Pour patienter avant la rentrée romanesque, dont des magazines (comme Lire) ont publié des extraits comme des quotidiens s'apprêtent à le faire, retrouvons la vieille habitude du feuilleton avec la bande dessinée, dont quelques pépites à paraître plus tard dans l'année sont déjà présentes dans la presse. J'en retiens trois, d'un très haut niveau de qualité. La plupart du temps, il faut acheter la version papier pour bénéficier de ces avant-premières, mais cela en vaut la peine.

D'abord, dans Libération, la nouvelle œuvre de Jacques Tardi, La position du tireur couché, d'après le roman éponyme de Jean-Patrick Manchette. Celui-ci avait été le scénariste de Griffu, une bande dessinée parue aussi en feuilleton, dans le magazine grand format BD - titre simple, titre idéal. Je me souviens de l'avoir acheté chaque semaine en le guettant avec impatience, de peur de rater une livraison. Manchette n'est plus là, bien que ses Romans noirs se lisent avec autant de plaisir qu'autrefois. Tardi ne l'a pas oublié et, après avoir adapté Le petit bleu de la côte ouest, reprend donc cette histoire d'un tueur à gages où Martin Terrier est un formidable personnage cynique et inquiétant, au destin tracé dans un monde violent.
L'album paraîtra le 9 novembre et, comme je n'en ai pas encore trouvé la couverture, je vous en propose une case en illustration.

Autre album très attendu, la vingtième aventure de Blake et Mortimer, ce classique de la ligne claire. Jean Van Hamme, au scénario, et Antoine Aubin, au dessin, prolongent la vie des héros d'Edgar P. Jacobs, comme l'avait déjà fait Bob de Moor avant de passer la main à différents dessinateurs qui se sont succédé en tentant de ne pas altérer l'esprit si particulier et so british de la série.
La malédiction des trente deniers, tome 2: La porte d'Orphée, replace donc le célèbre duo face à leur ennemi de toujours, Olrik. Celui-ci se prépare, au quatrième jour et à la huitième planche en prépublication dans Le Monde, à leur jouer un tour à sa façon.
Selon l'expression consacrée, vous en saurez davantage avec l'épisode suivant...
L'ouvrage sera disponible le 26 novembre seulement, pourquoi attendre jusque-là alors que vous pouvez découvrir la bande dessinée dès maintenant?

Enfin, le quatrième volume de Blacksad: L'enfer, le silence est aussi en vue (parution le 17 septembre). Juanjo Guardino a trouvé, avec le scénariste Juan Diaz Canales, une occasion de relancer, cinq ans après, son chat détective sur une piste inédite, du côté de la Nouvelle-Orléans. Comme je n'en ai encore lu que quelques pages, voici un extrait de l'article de L'Express où paraît cette bande dessinée.
Jusqu'à présent, le décor de Blacksad était une métropole américaine vague, même si sa skyline ressemblait à s'y méprendre à celle de New York. "Canales tenait à ce que l'enquête se déroule dans le milieu du jazz à La Nouvelle-Orléans. Sans verser dans le fantastique, il avait envie d'y mettre une pincée de magie vaudoue. Au départ, j'étais un peu réticent à l'idée de devoir faire des recherches. Mais, entre gens têtus, on arrive à s'entendre." Février 2009, le casanier Guarnido part donc en repérage à La Nouvelle-Orléans. Il débarque en plein Mardi gras. "L'ambiance était incroyable, joyeuse et fêtarde. Je sais que les touristes ont plutôt une vision glauque de la ville, surtout depuis l'ouragan Katrina. La criminalité est élevée et les bandes sévissent dans certains quartiers, mais moi j'ai été happé par le carnaval. Et le style Hara Kiri du défilé m'a fait halluciner. Oncle Sam qui se fait défoncer sur la voie publique, c'est un aspect de l'Amérique que je ne connaissais pas."
Le même album, un régal si on aime le travail à l'aquarelle de Guardino, est publié jour après jour dans Le Soir. Un bel été de BD...

mardi 3 août 2010

Une semaine avec Françoise Sagan sur France Culture

Êtes-vous podcast ou n'êtes-vous pas podcast? Moi, c'est par périodes. J'avais tout annulé de ceux auxquels je m'étais abonné, non par manque d'intérêt mais par manque de temps. Vous avez essayé, vous, de lire et d'écouter en même temps? Lire et écouter sérieusement, je veux dire, sans rien perdre du livre ni de l'émission de radio? Je n'y arrive pas.
Mais je viens de rouvrir iTunes pour la série d'émissions sur Françoise Sagan qui a commencé hier sur France Culture et durera jusqu'à vendredi. Trois heures et demie chaque jour, soit... bon, faites le calcul. Soit, en tout cas, un bel ensemble de documents d'après ce dont je peux juger après avoir écouté la première journée.


Françoise Sagan, plus grave que prévu rend en effet justice à l'écrivain sans négliger le personnage - comment le pourrait-on? Le scandale (quel scandale?), l'alcool, la drogue, le jeu, la vitesse, ont fait de Françoise Sagan une icône négative et pourtant fascinante, une image derrière laquelle l'essentiel - ses livres, l'écriture, son monde de fiction - a souvent presque disparu. Ce n'est pas le cas ici, et je m'en réjouis.
Hier, j'ai donc retrouvé Françoise Sagan à travers des archives souvent émouvantes. Sa voix, son débit précipité (et de plus en plus au fil des années), sa modestie. Oui, sa modestie. Elle raconte la curieuse impression que lui faisaient ses conversations avec René Julliard, avant la parution de Bonjour tristesse. Il lui parlait comme à une grande personne - ce que j'étais, précise-t-elle. Après tout, elle avait 17 ans! Et elle possédait une belle lucidité. Pour preuve: ce qu'elle raconte dans les premiers entretiens ne varie guère avec le temps. D'où je conclus que la légende Sagan n'a pas été créée par elle-même, mais forgée de l'extérieur.
Il est vrai que son éditeur avait, au contraire d'elle-même, habilement joué sur la jeunesse de l'écrivaine. Il avait, de la même manière, "lancé" un peu plus tôt Françoise Mallet-Joris à 21 ans et, un peu plus tard, Minou Drouet, 7 ans! (J'espère qu'on ne va pas s'attarder sur le sujet, dit en substance et avec raison Jean-Marc Roberts dans la deuxième partie de l'édition.)
Archives dans la première heure, débat dans la deuxième, documentaire prolongé par une lecture commentée dans la dernière heure et demie, le menu est copieux. Et très digeste. Analyses et anecdotes sont mis en onde avec un goût très sûr où l'information n'interdit pas le plaisir. Jean-Claude Loiseau, qui a réalisé cette "Grande traversée" produite par Matthieu Garrigou-Lagrange, peut être salué comme il se doit. Si Françoise Sagan est un jour rééditée dans la Bibliothèque de la Pléiade, comme le souhaitent quelques intervenants, ce sera peut-être en partie grâce à lui.
C'est grâce à lui, en tout cas, que j'ai appris que Françoise Sagan avait écrit une chanson pour Johnny Hallyday. Et que j'ai entendu François-Marie Banier (oui, celui dont on parle beaucoup ces temps-ci) affirmer: "Les photos de Françoise Sagan sont d'immenses chefs-d'œuvre." Meilleures que les siennes, ajoute-t-il - ce qui, dans sa bouche, n'est pas un mince compliment.
Je termine en revenant au titre de la série d'émissions: Françoise Sagan, plus grave que prévu. Je l'avais compris, avant d'écouter, comme on dit: elle est vraiment grave, la Françoise! Peut-être y a-t-il de ça. Mais il y a surtout la gravité de son propos sous la légèreté des phrases. On parle bien, en effet, de littérature...