jeudi 3 mars 2011

L'année littéraire (16) - Le retour de Frédéric Berthet

Pourquoi suis-je, de son vivant, passé à côté de Frédéric Berthet sans le voir? Nous avions le même âge - le mien continue de croître tandis que le sien s'est arrêté à 49 ans, quand il s'est suicidé en 2003. Nous lisions souvent les mêmes livres, avions beaucoup d'admirations en commun. Je ne découvre tout cela qu'aujourd'hui - hier, en réalité - grâce à la réédition d'un roman, Daimler s'en va (son seul roman, paru en 1988), et à la publications de ses Correspondances 1973-2003.
Allons, puisque les livres sont là, il n'est pas trop tard pour être ébloui.
Car Daimler s'en va est un texte éblouissant, pétillant comme le champagne qu'on boirait en attendant la fin du monde. Daimler, détective privé, s'est suicidé avant son créateur. Sans gravité: il a franchi une porte par ennui, ne trouvant plus d'intérêt dans ce monde, malgré la manière fantaisiste dont il le considérait.
Avec ce roman, on est résolument ailleurs, grâce au point de vue détaché d'un écrivain pour qui chaque observation, chaque réflexion est l'occasion d'une pirouette. Daimler s'en va donc en dansant, et on danse avec lui comme avec son ami Bonneval, dans les deuxième et troisième parties.
Olivier Frébourg avait aimé, à sa parution, ce "roman cynique, bref, alcoolisé, désespéré au bout du compte..." Michel Déon aussi, qui l'avait écrit à Philippe Solllers: "C'est excellent. J'aime ce ton. Très curieux: il y a une nouvelle vague (Lambron, Sureau, Berthet, etc.) qui, sans vraiment innover, apporte un peu d'air dans la littérature, de la gaieté, de la désinvolture. Le lecteur en sort rafraîchi."
Deux extraits d'un copieux volume de Correspondances dans lequel on voit Frédéric Berthet se construire comme écrivain, tout entier tendu vers ce but. Il se lie d'amitié avec Roland Barthes, fréquente Jean Thibaudeau, rencontre Francis Ponge. Mais il cherche aussi à s'assurer des revenus suffisants, et c'est pourquoi il entre au Quai d'Orsay, pour obtenir un poste aux services culturels à New York où il restera trois ans, de 1984 à 1987. A ce moment, l'écrivain en lui n'a pas encore réussi à percer vraiment. A trente ans, il n'a publié, et il s'en désole, qu'un recueil de nouvelles - pour lequel il a reçu une avance de 2.859 FF...
Il n'ira, au fond, jamais très loin. Cinq livres publiés de son vivant, un succès d'estime resté ignoré du grand public, des projets plein la tête cependant et la volonté de travailler, jusqu'à mener le projet de six livres à la fois... Michel Déon, qui lui écrit beaucoup, tente de le tempérer pour qu'il se concentre sur un manuscrit au lieu de s'éparpiller. La leçon ne porte pas vraiment.
Le volume de ce qui a été publié, même si l'on ajoute l'œuvre posthume, est assez mince par rapport aux ambitions de départ. Du moins, à en juger par Daimler, l'exigence était-elle au rendez-vous, pour une belle réussite. Peut-être parce que Frédéric Berthet avait la tête théorique et le pied léger. Il s'est frotté, surtout quand il était jeune, aux grands théoriciens de la littérature qui occupaient le terrain à son époque. Mais, en ce qui concerne ses propres textes, il a appliqué cette loi qu'il exprimait dès 1980 dans une lettre (non envoyée) à Jean Thibeaudeau: "Est vrai ce qui me fait sourire." Puisque cela nous fait sourire aussi, c'est gagné!
Un seul regret à propos des Correspondances de Frédéric Berthet: quelques notes auraient été bienvenues pour situer certaines personnes, puisque toutes ne sont pas aussi connues que Patrick Besson ou Jean Echenoz.

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