jeudi 19 janvier 2012

Charif Majdalani réinvente la caravane qui passe

Charif Majdalani a le goût des entreprises démesurées, dans lesquelles l’homme est amené à se surpasser, au risque de se casser la figure. Il l’avait montré dès son premier roman, Histoire de la Grande Maison. Il a renouvelé l’expérience dans un Caravansérail qu’on traverse avec autant d’exaltation que de crainte. Puis, très récemment, dans son troisième ouvrage, Nos si brèves années de gloire.
Dans Caravansérail, le danger guette à chaque instant mais l’intention est magnifique – et parfaitement inutile, ce qui la rend bien entendu beaucoup plus convaincante. Le ton est donné dès la première phrase, dont voici le début (car elle est longue): «C’est une histoire pleine de chevauchées sous de grandes bannières jetées dans le vent, d’errances et de sanglantes anabases, se dit-il en songeant que cela pourrait être la première phrase de ce livre sur sa vie qu’il n’écrira jamais»
Tout un programme. Tenu en grande partie grâce à un retournement étymologique du mot choisi comme titre: ici, le caravansérail n’est plus le logement des caravaniers, mais une caravane qui transporte un palais en pièces détachées. Une idée folle qui vient à l’esprit de Chafic Abyad au début du 20e siècle, quand il est séduit par un petit palais dans la ville arabe de Tripoli. Le bâtiment est invendable sur place. Il aurait pourtant belle allure, ailleurs. «Toujours est-il qu’un matin Chafic Abyad organise le démontage de son petit sérail, pierre par pierre. Après quoi il affrète une immense caravane sur laquelle il le charge intégralement, murs peints, miroirs, cheminées, bassin orné à la mauresque, toit ouvré découpé en trois pans, escalier soigneusement désenchâssé.»
Commence alors un très long voyage, semé d’images fortes, de reflets des miroirs, d’abandons provisoires, de pertes inévitables… La traversée d’un désert derrière chaque dune duquel peuvent se cacher des pillards. Ou des habitants furieux de voir leur eau pillée. Ou un train transportant des Autrichiens, tombé en panne au milieu de nulle part. On croisera Lawrence d’Arabie. Les temps ne sont pas sûrs, la région est disputée entre des nations et des tribus. La route est longue, incertaine, pleine de détours subits. L’aventure est extraordinaire. Charif Majdalani n’en fait pourtant pas une véritable épopée. Les ressorts de son récit ne sont pas des hauts faits d’armes spectaculaires. Il utilise plutôt les intentions secrètes des uns et des autres, les alliances provisoires et les trahisons mineures, l’appât du gain et le rêve d’une fortune reposant davantage sur une réputation que sur une véritable richesse.
Il ne donne pas non plus à Chafic Abyad le rôle de celui qui tire les ficelles. Il a trouvé en Samuel Ayyad un personnage beaucoup plus riche de facettes plus ou moins secrètes. Un agent des Britanniques qui agit surtout pour son propre compte, brouille les cartes et prend la main chaque fois qu’il le peut. Sauf à la fin, quand il rencontre une jeune fille qui deviendra la grand-mère du narrateur.
Caravansérail tente, en apparence, de perdre le lecteur, de l’égarer sur des chemins qui ne conduisent nulle part. Mais Charif Majdalani est bien trop habile pour abandonner dans les sables le fil de son récit. Et on le suit avec un appétit renouvelé à chaque péripétie.

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