lundi 16 janvier 2012

Le chantier de Maylis de Kerangal

Bienvenue à Coca, ville d’Amérique fondée par les colons qui ont fait reculer les Indiens. Ville qui, en ce troisième millénaire, entre dans l’ère moderne. Son maire, John Johnson, dit le Boa, a été ébloui par Dubaï: partout, des grues, des tours. L’effervescence des grands projets et des constructions audacieuses, effervescence qu’il se verrait bien imiter pour laisser sa marque à Coca. Ce sera un pont gigantesque pour relier les deux rives de la cité, un trait jeté entre ciel et terre dont on se souviendra.
En attendant, il faut le construire, ce pont. Transformer le trait de génie d’un architecte en fondations et superstructures, en béton et acier, utiliser les ressources du génie civil et les forces de l’homme.
Maylis de Kerangal utilise les mots à la manière dont Summer Diamantis calcule les proportions des éléments nécessaires à la fabrication du béton dont elle est responsable sur le chantier. Elle mêle les éléments dans des proportions idéales, mouille et touille, attend que ça prenne. Et ça prend.
La romancière envisage la construction dans sa durée, de la conception à l’inauguration, en passant par l’appel d’offre, le recrutement, la gestion des ouvriers, l’opposition de certains, les délais de livraison, les revendications salariales, on vous passe quelques détails. Mais le livre, lui n’en fait pas l’économie. Rien n’y est omis de ce qui fait le quotidien de cette foule agissante sous la direction de Georges Diderot, chef de travaux qui manie l’autorité et la compréhension à doses équivalentes, homme durci sous tous les climats où les travaux publics avaient besoin de ses compétences, et pourtant plus tendre qu’il y paraît.
Naissance d’un pont est un roman formidable, porté par un double projet: celui qu’il relate et celui, littéraire, qui le sous-tend. Il s’agit bien, comme sur le terrain, d’organiser le tâtonnement. Pour un résultat splendide, récompensé par le prix Médicis 2010.

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