lundi 26 mars 2012

Antonio Tabucchi, au fil de quelques lectures

La mort d’Antonio Tabucchi, à 68 ans, est celle d’un écrivain certes italien mais qui semble, en décédant à Lisbonne, s’être mis jusqu’au bout dans les pas de Fernando Pessoa, écrivain portugais qui n’était pas seulement son modèle. Il avait d’abord découvert l’œuvre de Pessoa en français, avant d’épouser, comme une langue choisie, celle de son auteur fétiche, de le traduire en italien, de faire du pays de Pessoa sa seconde patrie. J'avais brièvement rencontré l'homme, élégant et cultivé. J'avais été frappé par Nocturne indien - le livre d'abord, le film ensuite. Dans une œuvre abondante et qui a toutes les chances de survivre à son auteur, voici quelques souvenirs de lecture éparpillés sur une vingtaine d'années.

Piazza d'Italia
Avec son premier roman, Antonio Tabucchi devenait écrivain sans vraiment s'en rendre compte, mais on est heureux qu'il le soit devenu, pour les bonheurs de lecture qu'il nous a donnés depuis.Ce «conte populaire en trois temps, un épilogue et un appendice» commence par... l'épilogue. Garibaldo tombe, abattu d'une balle en plein front, sur la place, en croyant injurier le roi, et a à peine le temps de réaliser, avant de mourir, qu'il est en république depuis longtemps.Les surprises ne manquent pas dans ce roman ludique à souhait, qui porte déjà la marque de ce que deviendra Tabucchi: comme le dit Cesare Segre, il fait apparaître des origines toscanes, terriennes, que l'auteur n'a pas reniées dans son indéniable internationalité.

Rêves de rêves
Vingt récits brefs pour entrer dans le plus secret de l'imaginaire, celui des rêves d'artistes. Quand ils ne les ont pas notés, c'est une gageure. Gageure à laquelle s'est pourtant frotté Antonio Tabucchi, avec bonheur. Car sa connaissance des personnages qu'il met en scène dans la face nocturne de leur vie lui permet de mettre en évidence quelques-unes de leurs caractéristiques intimes. Connaissant Tabucchi, on est tenté de courir vers le rêve de Pessoa. Il rêve qu'il s'éveille, ça commence bien. Le voici en route pour Santarem, et arrivé en Afrique du Sud, chez Alberto Caeiro qui veut lui dire la vérité: «Sachez seulement une chose, c'est que moi je suis vous.» En demandant au cocher, un peu plus tard, de le conduire vers la fin du rêve, ce 8 mars 1914, Pessoa affirme: «C'est aujourd'hui le jour triomphal de ma vie.» Faut-il rappeler qu'Alberto Caeiro est un des noms sous lesquels Pessoa a écrit?

Il se fait tard, de plus en plus tard
La nostalgie de l'amour est encore de l'amour. Entretenu par des lettres, celui-ci traverse le temps. Et lui survit. Plusieurs fois, Antonio Tabucchi fait allusion à ce qui guide les choses: un rien, parfois. Mais un «rien» qui entraîne loin, entre le présent et le souvenir du passé. Les échos construisent des rêves éveillés où les corps palpitent... C'est un roman, affirme l'auteur. Mais on peut aussi y voir des nouvelles articulées par l'esprit et les sens, des nouvelles dont le personnage serait toujours le même, saisi à différents moments de son désespoir amoureux. Une vibration unique traverse toutes ces situations, dont l'accumulation ne fait jamais naître la lassitude.

Petites équivoques sans importance
De petits dérapages. La trajectoire que l’on voulait suivre s’infléchit d’un coup. Rien de grave, un instant de trouble. Antonio Tabucchi désigne d’un coup d’œil la scène à ne pas manquer. Il faut être attentif. Entrer dans une situation où tout semble normal. Une littérature du questionnement quotidien. De l’attention la plus extrême aux détails et à leur sens. Une fine dentelle pour amateurs éclairés et complices.

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