mercredi 14 mars 2012

Tom Rachman : vie et mort d'un journal

En 1953, Cyrus Ott, à la tête de multiples affaires, crée à Rome un journal en anglais vendu dans le monde entier. Un quotidien de référence, à capitaux américains mais dont la rédaction s’installe en Europe. Comme beaucoup d’autres organes de presse, celui-ci connaît des hauts et des bas. Le vieillissement du lectorat, les choix personnels des propriétaires successifs, l’évolution d’un monde auquel il aurait fallu s’adapter en créant, au minimum, un site Internet, les conflits internes, autant de facteurs qui, au moment choisi par Tom Rachman, font baisser le tirage et transforment le roman en chronique d’une mort annoncée.
Si l’histoire du journal fait l’objet de courts chapitres intermédiaires, la plus grande partie du récit s’attache successivement à une dizaine de personnages impliqués dans la vie du journal. De la rédactrice en chef à une fidèle lectrice, en passant par le correspondant à Paris et le spécialiste des nécrologies, chacun fait l’objet d’un portrait en situation de crise. Et tous ensemble finissent par dessiner, sinon un organigramme, au moins la carte approximative sur laquelle repose la presse. Pas toute la presse: ce quotidien-là, précisément.
Tom Rachman, lui-même journaliste, sait de quoi il parle. Mais il est loin de défendre une corporation – comme on dit quand l’esprit de corps l’emporte sur l’objectivité professionnelle. Il s’amuse plutôt à montrer l’état dans lequel se trouve une rédaction quand elle subit des pressions contradictoires.
Lloyd Burko, correspondant à Paris, ouvre le bal. A 70 ans, il est l’archétype du journaliste figé dans ses habitudes. Quand la rédaction lui demande d’envoyer un mail, il réplique que son ordinateur est en panne – pour ne pas avouer qu’il n’en utilise pas – et travaille toujours par fax. Une autre époque, aussi révolue que ses idées de papiers. Cette fois-ci, il propose de parler des ortolans, de la manière dont on les gave, du dernier repas de Mitterrand… Comme le sujet ne semble pas passionner le rédacteur en chef adjoint, il se trouve réduit à bidonner une information approximative pour en faire un scoop sans valeur. Burko est fini, et il le sait. Arthur Gopal aurait pu être évincé lui aussi, s’il n’avait joué habilement de l’intérêt de la rédactrice en chef pour une intellectuelle autrichienne proche de la mort. Il la rencontre pour préparer un article assez éloigné de la réalité, qui ne paraîtra jamais, mais qui lui servira de levier pour évincer le chef des pages culture.
Le panoramique de Tom Rachman embrasse neuf autres destins, entre enthousiasme contrarié et résignation prolongée. Mais toujours avec des détails qui frappent, des dialogues qui sonnent juste, des silences éloquents. Selon l’intérêt plus ou moins grand qu’ils éprouvent pour le pouvoir, selon la distance à laquelle ils s’en trouvent, les points de vue varient. En tenant compte du fait que les financiers auront le dernier mot, Les imperfectionnistes raconte une mort plutôt belle. Une mort, cependant.

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