lundi 9 avril 2012

La semaine des questions : Daniele Del Giudice, Albert Espinosa, Colin Thubron

On nous annonce des livres qui ne ressemblent à rien de connu - ou au moins, car il ne faut pas exagérer, des livres inhabituels. Et c'est bien. Ne pas trop savoir à quoi s'attendre, malgré les explications des éditeurs. Comment vend-on du temps? Comment lire dans les souvenirs des autres? Comment déterminer le caractère sacré d'une montagne? Si vous connaissez toutes les réponses, c'est que vous avez lu avant leur parution cette semaine, les trois livres que voici.

«Rabat, Maroc, deuxième semaine d’automne.
Hier j’ai assisté, pour la première fois, à une transaction commerciale concernant le temps. Ou plutôt, j’ai perçu, je crois, un échange de ce genre dans une petite boutique, une échoppe sur le versant occidental de la Médina où l’on arrive par la rue des Consuls; je fais allusion par là à ma sensation personnelle d’avoir assisté à un événement simple, celui d’un homme qui vendait du temps à un autre homme.»
Le narrateur reste hanté par cette scène, et, de Rabat à Stavanger, en Norvège, il part à la recherche d’une explication. Y-a-t-il réellement un commerce du temps et quelles sont les personnes qui le pratiquent?
Daniele Del Giudice vit à Venise. Ses livres sont traduits en une quinzaine de langues. Ont été publiés en France: Le Stade de Wimbledon («Points», n°1050, porté à l’écran par Mathieu Amalric, avec Jeanne Balibar), Atlas occidental (Seuil, «Cadre vert», 1987). Et dans «La Librairie du XXIe siècle»: Quand l’ombre se détache du sol (1996), L’Oreille absolue (1998), Dans le musée de Reims (2003) et Horizon mobile (2010).

Albert Espinosa est né à Barcelone en 1973. Atteint d'un cancer, il perd une jambe, un poumon et un morceau du foie, et passe une grande partie de sa jeunesse à l'hôpital. Puis, il connaît le succès en tant que scénariste et acteur. Voici son premier roman, inclassable. Et dont le titre, interminable, est en lice pour un nouveau record: Tout ce que nous aurions pu être, toi et moi, si nous n'avions pas été toi et moi.
La mère de Marcos, célèbre chorégraphe, est morte la veille et pour lui, rien ne peut plus être comme avant. Marcos attend le médicament qui lui permettra de perdre le sommeil et de ne plus rêver.
A ce tournant de sa vie, un appel téléphonique va tout changer: le chef de la police lui demande de le rejoindre sur le champ: le premier extraterrestre serait arrivé sur Terre.
Car Marcos a un don: celui de lire les souvenirs les plus forts des gens qu'il regarde, il doit déterminer si «l'étranger» est bien celui qu'il prétend être… 

Le Mont Kailash est la plus sacrée des montagnes du monde, puisqu’un cinquième de l’humanité le tient pour un lieu saint. Isolé derrière l’Himalaya central, il serait - selon le mythe - la source de l’univers créé à partir des eaux cosmiques et de l’esprit de Brahma.
Ce pic n’a jamais été escaladé - son caractère sacré l’interdit - mais il y a des siècles que pèlerins hindous et bouddhistes marchent en cercles rituels autour du Kailash. Colin Thubron leur emboîte le pas, arrivé par le Népal au terme d’un trek périlleux qui lui fait franchir de hauts cols tibétains pour l’amener finalement aux lacs magiques miroitant au pied du Kailash.
La finesse d’intuition et l’empathie naturelle de Colin Thubron s’allient à la puissance d’évocation et au lyrisme de son écriture dans ce livre de voyage d’une beauté incantatoire. Son rare talent d’impressionniste donne à voir et à ressentir gens et paysages, qui se dessinent en trois dimensions dans ses pages. Il discute avec des villageois installés dans des coins déserts, avec des moines vivant dans des monastères délabrés. Il raconte les histoires des exilés et des explorateurs excentriques venus d’Occident.
Mais Destination Kailash, montagne sacrée du Tibet recèle aussi une autre dimension. Colin Thubron entreprend ce voyage peu de temps après le décès du dernier membre de sa famille, sa mère, qu’il a accompagnée dans ses dernières heures: c’est une sorte de «pèlerinage profane», une façon de laisser un signe du passage des êtres chers. Tout un paysage intérieur de solitude, d’amour et de chagrin se révèle à la faveur de sa longue marche autour du Kailash, géant de pierre et de glace révéré des foules qu’il rencontre - un paysage qui lui restitue de précieux fragments de ses propres origines. De vieilles photos aperçues dans les  albums familiaux prennent une subtile réalité dans ces lieux évocateurs de ces jeunes gens qu’étaient ses parents du temps des Indes britanniques.
On est là en présence d’un summum absolu de la littérature de voyage, sous la plume d’un auteur incomparable par la richesse de son expérience, et de sa sensibilité.

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