mercredi 11 avril 2012

Les romans durs de Simenon, 1934-1937

Suite du parcours dans les premiers volumes des "romans durs" de Georges Simenon. Aujourd'hui, le tome 2.

Les clients d’Avrenos
Une saison de langueur entre Ankara et Stamboul, villes cosmopolites qui invitent à traîner de bar en restaurant, de boîte de nuit en bar... Et rebelote le lendemain, selon un cycle immuable au cours duquel se rencontrent les mêmes personnes plus ou moins inactives - et plutôt plus que moins. La légèreté trompeuse avec laquelle évoluent ces Clients d'Avrenos les place au bord d'un précipice qu'ils ne voient même pas...
Au sein de cette faune interlope, Simenon distingue Bernard de Jonsac, personnage sans réelle épaisseur qui se laisse aller au gré de distractions prévisibles. Et qui nous paraît aujourd'hui délicieusement suranné. A dire vrai, il l'était peut-être déjà dès la première publication: Jonsac, en effet, est «drogman» à l'ambassade de France. La fonction n'a rien d'anglo-saxon, contrairement à ce qu'on pourrait penser (le mot est d'origine grecque ou arabe). Il s'agit simplement d'un interprète dans les pays du Levant - mais le titre a été supprimé en... 1902.
De toute manière, Bernard de Jonsac fait passer le travail bien après ses plaisirs, au point de se faire réprimander par l'ambassadeur. Dissipé, le drogman épouse Nouchi, qui est peut-être hongroise d'origine mais dont la profession ne fait aucun doute: elle est entraîneuse au Chat noir, un cabaret d'Ankara. Jonsac aime bien Nouchi, qui longtemps ne lui donne pourtant pas grand-chose d'elle-même, mais pas au point de lui proposer le mariage. En fait, la belle de nuit est sur le point de se faire expulser de Turquie et il lui a offert cette solution.
Forcément, elle rencontre les amis de Jonsac. Dans un premier temps, elle ne les trouve pas intéressants. Mais, bientôt, elle ne peut plus se passer d'eux, qui lui tournent autour comme des insectes autour d'une flamme. L'oisiveté porte au badinage, ou plus si affinités - ce sera longtemps un mystère...
Pendant que sa femme papillonne, Jonsac repère une jeune fille qui est tout le contraire de Nouchi. Lelia, en contraste avec le monde perverti où il vit, lui paraît le comble de la pureté. Qu'il faut corrompre, d'une certaine manière, pour établir un semblant d'équilibre entre les choses...

Les demoiselles de Concarneau
Jules Guérec est resté un petit garçon, bien qu'il ait la quarantaine et qu'il dirige la petite exploitation de pêche familiale. Ses sœurs, ses aînées, sont les véritables patronnes, surtout Françoise et Céline, qui passent leurs journées à tenir l'épicerie et les livres de comptes. Marthe est sortie du cercle en épousant Emile Gloaguen, le secrétaire du commissaire de police de Concarneau.
Mais elle a en quelque sorte délégué son pouvoir à son mari, considéré comme le seul homme sensé dans l'histoire. Puisque Jules garde la marque d'une faute passée: un enfant illégitime qu'il a fallu faire oublier de peur du scandale. Et voilà que Jules, décidément incapable d'autre chose, fait une nouvelle bêtise, que son inquiétude double d'une véritable catastrophe. A Quimper où il représentait les thoniers de Concarneau à la réunion du syndicat, ses pas l'ont mené vers la rue où traînent les femmes faciles et il y a laissé cinquante francs dont il ne sait comment justifier la disparition.
Tout à ses pensées sombres, au volant de sa nouvelle voiture qu'il maîtrise encore mal, dans la nuit qu'il traverse pour la première fois à la lueur des phares, il n'a pas le temps de voir surgir un gamin devant ses roues qu'il l'a déjà écrasé. Paniqué, il ne s'arrête pas tout de suite, revient sur ses pas après un moment, voit un attroupement, rentre finalement chez lui et choisit de régler le problème des cinquante francs manquants en annonçant qu'il a perdu son portefeuille jeté dans des cabinets.
Entre la peur de ses sœurs et de la police, dont son beau-frère est un digne représentant, Jules mûrit un remords croissant avec ce qu'il apprend de la mère célibataire dont il a tué un des deux enfants. Marie Papin est pauvre, il entreprend de l'aider en engageant son frère, à demi simplet, sur un bateau. Sans demander l'avis de ses sœurs qui le prennent mal et y voient une manœuvre destinée à leur cacher quelque chose. On ne peut pas leur donner tort, d'autant moins que Jules, dans son désir de racheter sa faute jusqu'au bout, s'imagine déjà marié avec Marie Papin dont il se croit amoureux. Françoise et Céline, toujours soucieuses de préserver la cohérence de leur famille, ne peuvent laisser faire cela.
La tension monte, le scandale éclate, le pauvre Jules ne sait plus où il en est de sa vie ni de ce qu'il veut en faire...
Le drame familial est intense, le point de basculement est évident et Simenon a traité ici un de ces dérapages qu'il affectionnait.

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