dimanche 6 mai 2012

Ma semaine avec Umberto Eco, Dave Eggers et les autres

Je viens encore de passer de belles journées de lecture, il n'y a vraiment aucune raison de se plaindre.
Je le dois en partie à Umberto Eco, dont je n'avais pas lu Le cimetière de Prague à sa parution. Le manque a été comblé grâce à une réédition au format de poche. N'ayant jamais eu la tête très théorique, et bien qu'ayant cru à une époque (à tort) que je pourrais la plier aux exercices de la sémiologie ou du structuralisme, c'est par le roman que j'ai approché l'universitaire devenu auteur de fictions.
Le nom de la rose, donc, pour commencer, et j'avais été fasciné par l'art de la construction avec lequel Eco jouait en maître - suffit-il d'avoir beaucoup lu pour dominer d'emblée le roman? Si c'était vrai, je serais un romancier célèbre... Puis Le pendule de Foucault, que j'avais même commencé en anglais parce que la traduction était parue avant que Jean-Noël Schifano ait terminé la sienne. Curieusement, j'ai en revanche manqué L'île du jour d'avant et Baudolino.
Mais je ne voulais pas passer à côté du Cimetière de Prague, où rien du roman ne se passe, sinon un roman dans le roman, un montage intellectuel réalisé par un faussaire de profession et qui sera à l'origine du Protocole des Sages de Sion, un des livres antisémites les plus populaires de tous les temps. A l'ombre d'Alexandre Dumas, Umberto Eco écrit un ambitieux roman romanesque, qui se déroule sur plusieurs plans de narration - le narrateur principal est dédoublé, mais c'est une autre personne qui rapporte le récit en y ajoutant ses commentaires. Brillant et intelligent, Le cimetière de Prague m'a apporté tout ce que je pouvais en espérer.

Dave Eggers est lui aussi une grande figure de la littérature contemporaine. Moins il est romancier, plus il est écrivain. Car Zeitoun est le récit authentique d'une dramatique mésaventure survenue à un Américain d'origine syrienne après le passage de l'ouragan Katrina à La Nouvelle-Orléans. Il semblait que la nature n'avait pas fait assez de dégâts. Il fallait aussi que les hommes s'en mêlent, dans un semblant de justice plus injuste que jamais, avec une mise en accusation pour terrorisme dans une zone de non-droit qui se fait passer pour le droit...
Le récit de la catastrophe occupe à peu près la moitié du livre, et aurait pu à lui seul justifier son écriture. Mais le plus terrible commence ensuite, quand Zeitoun disparaît de la circulation et que son épouse, réfugiée avec leurs enfants hors de la ville sinistrée, ne parvient plus à l'appeler, ni à savoir ce qu'il est devenu.

Après Zeitoun, on se prend à douter de tout, y compris des mécanismes apparemment les mieux huilés de la société.
De toute manière, même avec beaucoup d'huile dans les rouages, il est toujours possible de les gripper. La preuve par Bartleby, de Melville, une fois encore de retour au rayon des nouveautés. Impossible de s'en lasser. Je ne le lis pas chaque fois que paraît une nouvelle édition, mais chaque nouvelle édition est une occasion, et je la saisis parfois. Cette fois-ci, par exemple, toujours séduit par la résistance absolue qu'oppose le scribe aux ordres qu'il reçoit. Bartleby, ou l'exemple du révolutionnaire tranquille et radical...
Ce n'est pas la catégorie dans laquelle je rangerais François Mitterrand, que je retrouve dans ses entretiens avec Marguerite Duras avec Le bureau de poste de la rue Dupin, allusion à un épisode de la Seconde Guerre mondiale pendant laquelle les deux interlocuteurs appartenaient à la Résistance. Les cinq conversations sont d'une absolue liberté - comment en serait-il autrement avec Marguerite Duras, dont l'esprit aimait à vagabonder d'un sujet à l'autre?
Vagabonds dans l'âme, les personnages de L'échappée belle, d'Anna Gavalda, le sont aussi. Ils ont beau être adultes, ils ne font pas vraiment ce qu'on attend d'eux lors du mariage auquel ils ont été invités. Un des frères n'est pas venu, l'autre et leurs deux sœurs vont le rejoindre pour une journée pleine de fantaisie au cours de laquelle ils retrouvent leur complicité d'enfants, parenthèse provisoire dans des vies plus responsables.
Quoi d'autre? Oui, un bon polar historique, Le royaume des Voleurs, de William Ryan, où l'inspecteur Korolev est partagé entre une enquête criminelle et la surveillance qu'il doit exercer en permanence sur ses moindres actes, sur ses paroles les plus anodines. Nous sommes à Moscou, en 1936, et l'atmosphère est lourde, très lourde.
J'ai gardé pour la fin un petit bijou, Noces de sel. Maxence Fermine nous transporte à Aigues-Mortes, dans une journée à la fin de laquelle un homme doit mourir. Il est jeune, il n'a pas mérité ça. Mais c'est, d'une certaine manière, sa décision. Je dis: d'une certaine manière, parce qu'il n'est pas responsable de ce qui a précédé et de quoi découlent les événements de ce roman bref en forme de coup de poing. On en sort sonné.

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