lundi 1 octobre 2012

Jonathan Dee, un couple plein de promesses

Encore une longue et éreintante histoire de couple, pense-t-on pendant les premières pages du roman de Jonathan Dee, Les privilèges. Privilégiés, Cynthia et Adam le sont à coup sûr. A 22 ans, tout le monde les envie déjà. Brillants, promis à un avenir qui leur ressemble, leur amour et leur humour annoncent une belle complicité, moteur du succès. A la fin du premier chapitre, on est comblé par le récit d’une journée où tous les excès d’un mariage réussi étaient présents, avant l’apaisement des jeunes époux fatigués. On est, en même temps, inquiet de ce qui va suivre.
Aucune raison d’être inquiet : Jonathan Dee possède assez d’arguments pour convaincre, et ne se contente pas de retracer, comme tant d’autres avant lui, le parcours du combattant de chaque protagoniste. Il a mieux à faire : inscrire Cynthia et Adam dans leur époque, leur donner à ressentir – et au lecteur en même temps – les secousses parfois bénéfiques qui bousculent les choses en apparence les mieux établies et obligent à rebondir.
Mieux, il réussit cela dans une écriture qui ne semble pas souffrir de la traduction : « Le temps avançait sur deux axes parallèles : tandis que le passage des années se révélait prodigue et mystérieux, écrasant leur jeunesse derrière eux avec autant d’insensibilité qu’une immense roue de feu, ces années, pourtant, se composaient aussi de journées qui pouvaient sembler interminables, s’écouler goutte à goutte, selon leur bon vouloir, comme pour un supplice de damné. »
Doué pour la finance, Adam travaille dans un fond d’investissement où il y a beaucoup d’argent et peu de personnel. Son patron ne tarde pas à l’élire comme son futur successeur. Mais Adam a monté entretemps sa propre affaire souterraine, hors des limites de la légalité, et il a besoin de rester employé par une société qui sert de couverture à des activités très lucratives. L’évolution de la famille, qui s’est élargie avec la naissance de deux enfants, correspond aux promesses. Le confort est de plus en plus grand, une banque située dans une île où vacances paradisiaques riment avec paradis fiscal gère une petite fortune. Tout va bien. Tout irait bien s’il ne planait, malgré tout, une menace sur des pratiques trop rentables pour être honnêtes.
Zut ! pense-t-on à ce moment : les clichés du couple n’ont été abandonnés que pour être remplacés par ceux du trader hors des rails. Non. Ou plutôt oui, mais pas seulement. Le roman n’en finit pas d’aborder des zones actives de la société, toutes différentes, avec un regard acéré qui les rend comme neuves. Parmi ces approches, celle d’April, jeune fille particulièrement privilégiée qui tente toutes les expériences, effraie. Celle de son frère Jonas, qui cache la fortune de ses parents pour étudier l’art brut, rassure, avant de devenir effrayante aussi.
En réalité, l’histoire de ces quatre personnages dessine des lignes entrecroisées, plus ou moins éloignées les unes des autres selon les moments. Chacune possède sa dynamique propre, aucune n’est étrangère aux trois qui l’accompagnent. Le résultat est fascinant. Du chemin qui semblait tracé le jour du mariage, il reste des traces profondément marquées dans l’épaisseur du temps. Et d’autres, plus imprévisibles, formant une sorte de squelette sur lequel la chair palpite.

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