mercredi 3 octobre 2012

Les prix de la Fondation Prince Pierre de Monaco : Jean-Paul Kauffmann et Philippe Lançon

Monaco, principauté coupée du monde? Les prix de la Fondation Prince Pierre de Monaco ont été remis hier. Je ne trouve les noms des lauréats que ce soir. Peut-être que tout le monde s'en moque? Tout le monde aurait bien tort. Les deux écrivains que je voudrais vous présenter - mais vous les connaissez déjà - méritent bien l'attention de cette récompense certes peu influente sur le grand public mais néanmoins prestigieuse. Et peut-être même le troisième (la troisième, en fait), Hélène Gestern, coup de cœur des lycéens pour Eux, sur la photo, que je n'ai malheureusement pas lu. Voici les deux autres, chacun à travers un livre dont ils m'avaient parlé. Jean-Paul Kauffmann en 1997, Philippe Lançon l'année dernière. Coïncidence (ou pas), tous les deux évoquent des îles...

Prix littéraire : Jean-Paul Kauffmann

A quoi tiennent les choses : Jean-Paul Kauffmann avait publié un livre sur les îles Kerguelen et devait passer pour un spécialiste des îles. Assez, en tout cas, pour que le magazine Géo lui commande un reportage sur Sainte-Hélène, là où Napoléon finit sa vie en captivité. C’est où, Sainte-Hélène ? A deux mille kilomètres des côtes angolaises et à trois mille des côtes brésiliennes. « Pour tous les Français, Sainte-Hélène est évidemment un nom évocateur. Mais, comme beaucoup d’autres personnes, j’ai longtemps été incapable de situer l’île sur une carte. » Il en fallait plus pour l’arrêter. En fait, le journaliste qui dirige aujourd’hui une publication intitulée L’amateur de cigares (après avoir dirigé L’amateur de bordeaux) aime vraiment les îles.
Il est donc allé à Sainte-Hélène, armé de toute une documentation et avec pour mission d’en ramener un texte de douze feuillets. « Le temps de rappeler les faits historiques, j’étais presque à la fin de mon article et je n’avais plus de place pour parler de Sainte-Hélène aujourd’hui. Je me suis senti très frustré. »
Du coup, il a écrit trois cent cinquante pages, La chambre noire deLongwood, un singulier récit de voyage qui mêle sa propre expérience à tout ce qu’ont rapporté les contemporains de Napoléon, et en particulier ceux qu’on appelle « les quatre évangélistes » : Las Cases, Montholon, Gourgaud et Bertrand, chargés par l’empereur prisonnier de transcrire et d’organiser ses souvenirs.
Pourtant, Jean-Paul Kauffmann est longtemps resté au bord de ce livre sans oser s’y lancer vraiment. On s’en souvient, il a lui-même vécu en otage au Liban : « Il s’agissait de raconter la captivité de Napoléon. Et l’interférence qui pouvait se produire avec la mienne me gênait. » S’il y a interférence, c’est seulement pour affiner les sensations de celui qui connaît le poids du temps quand on ne le maîtrise pas : « Tous les prisonniers du monde se battent contre la massue du temps. Pendant ma détention, j’ai mené un combat contre l’érosion provoquée par l’attente et l’ennui. »
Napoléon étant, d’autre part, un personnage fort éloigné de lui, c’est ailleurs que Kauffmann est allé chercher un intérêt pour son sujet : « Je suis obsédé par les traces, les empreintes. Est-ce qu’un lieu où s’est produit quelque chose d’important en garde une trace ? » Il a trouvé, ou cru trouver, des traces olfactives. La maison de Longwood, où résida Napoléon, lui a d’abord parlé par l’odeur particulière qui y régnait. Et, à la fin de son séjour, il a ouvert, au même endroit, une bouteille du parfum – reconstitué – dont l’empereur déchu s’aspergeait. Mais, comme il le dit, « je casse tous mes coups. Dans la maison, c’est un produit contre les termites qui engendrait l’odeur. » Et le parfum lui parut très banal…
Il n’empêche : son voyage ne l’a pas déçu. Il y a rencontré quelques personnages étonnants, d’autres prisonniers sans autre horizon que l’océan et, surtout, des fantômes du passé. Les images le fascinent encore, « quand je pense à la maison avec les murs rouges, sanglants, avec les nuages qui arrivent. C’est très tourmenté. Il y a quelque chose de très bizarre dans cette maison et dans ce paysage. Pour moi, c’est Les Hauts de Hurlevent sous les tropiques. »
C’est, en tout cas, le prétexte à un récit magique, tissé entre passé et présent, entre sérieux et ludique. La chambre noire de Longwood est un voyage dans lequel on accompagne Jean-Paul Kauffmann en partageant sa fascination – parce que son écriture, déliée et précise, nous la fait partager.

Bourse de la découverte : Philippe Lançon


La première fois, Philippe Lançon, s’était avancé masqué : en 2004, son roman Je ne sais pas écrire et je suis un innocent était paru sous le pseudonyme de Gabriel Lindero. Comme dans Les îles, il y était question de Cuba. « C’est lié à beaucoup de choses dans ma vie, professionnelle et privée », explique-t-il. On s’en doutait un peu : le narrateur des Iles s’appelle… Philippe Lançon. « En fait, c’est surtout moi dans le prologue. Pour le reste, je lui prête beaucoup de choses que j’ai pu vivre ou croiser, mais je ne dirais pas que sa manière de penser est systématiquement la mienne. Le narrateur est une conscience molle et un peu dépressive, dont la dépression lui permet, par association de souvenirs, d’idées et de choses concrètes, d’accueillir un tas de personnages et l’histoire dont il est question. »
L’histoire envoie à Cuba, pour des vacances, une avocate de Hong-Kong (une autre île). Jad, pendant ces vacances où elle est accompagnée par Jun, une amie londonienne, devient folle. Rien ne semblait l’y prédisposer. Rien non plus n’aurait dû conduire le narrateur, épris de normalité, à écrire sur la folie de Jad si Marylin, originaire de Cuba et qui a été sa femme, ne l’y avait poussé.
Philippe Lançon imagine bien les îles capables de rendre fou. Ou plutôt, précise-t-il, « au sens où elles permettraient d’aller vers quelque chose qui ressemble à une vérité. L’insularité, c’est banal de le dire, renvoie à la solitude. On finit toujours par se cogner à cette mer qui est autour. Comme ce sont des îles tropicales, s’y ajoute la chaleur suffocante et saturante qui enveloppe les personnages. Cela renvoie à des états de solitude qui, à mon sens, sont les seuls dans lesquels on peut accéder à certains aspects d’une vérité sur soi. »
Le romancier transporte avec lui les îles qui lui sont chères. « A force d’avoir été arpentées, imaginées, rêvées, fictionnées, étudiées sous l’angle du reportage, aimées sous forme de femmes et autres, elles deviennent des appendices de la manière dont je peux vivre les choses, aborder à la fois les gens, les paysages et les événements. »
Philippe Lançon semble transporter aussi avec lui la littérature qu’il aime, et dont il parle dans Libération. Les îles est un roman farci de ses lectures. « J’espère que c’est sous forme très concrète. Les livres, dans l’esprit du narrateur, ne sont absolument pas des références. Ils sont tombés de leur bibliothèque et ils sont présents concrètement, sensuellement dans la vie. Par exemple, quand Jun, paniquée par ce qui arrive à son amie, s’obstine à lire Wittgenstein, elle le fait par chagrin, parce que son mari mort s’y intéressait, et pour trouver des solutions. Mais Wittgenstein en soi n’a aucune importance, et d’ailleurs elle n’y comprend rien. »
Si Les îles nous raconte une histoire, c’est surtout un roman dans lequel la mélancolie du narrateur incite à une sorte de méditation lente. La lenteur convient d’ailleurs à sa lecture, puisque celle-ci engage une réflexion sur l’existence, sans esprit de système mais en utilisant au mieux les événements pour rebondir d’une direction vers une autre. « Est-ce que c’est une bonne histoire ? On s’en fout, des bonnes histoires, il y en a partout. Mais à partir de là, le narrateur procède, à sa façon, à un véritable examen de conscience. » Et c’est le cœur du livre.

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