mardi 13 novembre 2012

Le prix Wepler et sa mention sont servis à deux romancières

L'une, Leslie Kaplan, a publié près de vingt livres, dont le dernier, Millefeuille, a reçu hier le prix Wepler/Fondation La Poste. L'autre, Jakuta Alikavazovic, en est à son quatrième, La blonde et le bunker, mention du même prix. Deux lauréates qui confirment décidément la belle tenue des prix littéraires cet automne.
Leslie Kaplan tourne autour d'un étrange personnage, Jean-Pierre Millefeuille le bien nommé. "Un vieux monsieur, grand, bien mis, portant beau comme on dit dans Balzac, souvent là en train de lire son journal, de rêver. Pas timide, plutôt bavard."
Chez lui, beaucoup de passage. On y parle volontiers littérature. D'ailleurs, il prépare un article sur Shakespeare et les Rois ainsi que, avec des amis, un manuel sur l'art d'enseigner la littérature. Millefeuille est un retraité très occupé. Au point de ne pas trouver le temps de lire le premier chapitre d'un manuscrit que lui avait confié, pour avoir son avis, un de ses jeunes amis. D'où il naît, dans leur relation, un peu de gêne. Et l'on s'aperçoit que, sous ses dehors engageants, Millefeuille n'est au fond pas si commode, pas tout à fait à l'aise avec lui-même.
Peut-être n'était-il si entouré, si requis par ses travaux, que pour essayer d'oublier le vide de son existence, dans lequel Leslie Kaplan plonge après en avoir fait le tour...
A propos de La blonde et le bunker, je vous ai déjà proposé un entretien avec Jakuta Alikavazovic. Je complète avec un article.
Jakuta Alikavazovic joue cartes sur tables : il y a bien une blonde et un bunker dans La blonde et le bunker. Mais pas seulement. La blonde s’appelle Anna, elle vient avec son mari de « consommer leur divorce ». Les italiques sont dans le texte, elles traduisent la surprise de Gray, à qui l’expression semble impropre. Gray est devenu l’amant d’Anna après cinq pages. Bientôt il habite chez elle, dans une maison de la butte Montmartre qui ressemble à un bunker. Elle occupe le rez-de-chaussée, son ex-mari, le rez-de-jardin, en dessous. La situation crée un malaise chez Gray, malgré l’assurance d’Anna : « il n’y avait aucune inquiétude à avoir. » John Volstead, l’ex-mari, ne fréquente pas le rez-de-chaussée et se consacre à l’écriture d’un livre. Du moins le prétend-il. Il a publié vingt ans plus tôt un roman qui a fait sa gloire, Les narcissiques anonymes. Depuis, il vit en face d’une photo qui a fait la couverture de Time Magazine, où il signe le front d’une jeune femme. Cette reproduction est un des mystères dont la romancière parsème son livre, comme autant de mines prêtes à exploser, le moment venu, à la figure du lecteur.
La plus grosse de ces mines est la collection Castiglioni, signalée dès les premières lignes. Elle « est souvent décrite comme éphémère. Le mot est mal choisi ; certainement, elle est fugitive, voire fuyante – si tant est que ces termes puissent s’appliquer à une collection d’art. » Gray devra retrouver cette collection, après la mort de John et l’ouverture de son testament dont une ligne le concerne. C’est assez pour le lancer dans une sorte d’enquête aussi floue que l’objet de sa recherche et pour le placer dans les pas d’un certain professeur Warski, le meilleur (et peut-être le seul) spécialiste mondial de la collection Castiglioni. Il le retrouvera à Venise, en compagnie d’une assistante (dont ce n’est peut-être pas la véritable fonction).
La blonde et le bunker propose quelques certitudes et une quantité bien plus grande de points d’interrogation. Ceux-ci prolongent le roman hors de lui-même. Ils sont pour le lecteur des points d’appui, c’est-à-dire aussi la base solide sur laquelle on prend son élan. Après Le Londres-Louxor dont j'avais déjà salué les qualités, Jakuta Alikavazovic continue à créer une matière romanesque inédite. Elle doit autant à son talent qu’à son goût d’explorer les interstices de la réalité.

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