dimanche 18 novembre 2012

Les prix littéraires, c'est du sport

Une saison se termine, les feuilles mortes et les livres non primés se ramassent à la pelle. Je n'ai pas cherché l'exhaustivité des prix littéraires dans ce blog, je me suis contenté de dire (ou de rappeler, selon les cas) ce que je pensais des livres couronnés. Pour clore la longue série de notes sur ce sujet, voici le premier prix Jules Rimet, qui consacre un ouvrage de littérature sportive, deux mots qui s'accordent parfois (pas toujours) à la perfection quand un véritable écrivain est à l'oeuvre. Ainsi Paul Fournel, qui inaugure le palmarès avec Anquetil tout seul, un livre que j'ai déjà évoqué après avoir rencontré l'auteur en mai, le jour de l'investiture de François Hollande - il tombait des cordes, et le temps était glacial. Retour sur cette actualité revenue dans la course (ben oui, c'est du sport).
Paul Fournel est un véritable marathonien des mots. A plusieurs titres : il était programmé au Marathon des mots quelques jours après notre rencontre ; il venait de sortir, après La liseuse, son deuxième livre cette année ; et le sport est pour lui un matériau habituel, utilisé déjà dans d’autres ouvrages – ne citons que Les athlètes dans leur tête, prix Goncourt de la nouvelle et dont André Dussolier fit une pièce de théâtre. En juin, alors le Tour de France s’annonçait, Paul Fournel revenait sur la figure d’Anquetil tout seul, portrait personnel d’un champion contesté autant qu’incontestable.
La passion pour le vélo de Paul Fournel, qui continue à pédaler chaque fois qu’il en a la possibilité, est, à l’origine, une histoire familiale : « C’est très clairement la relation avec mon père. Il a toujours été cycliste – aujourd’hui moins, il est très âgé – et il reste un passionné de vélo. La vieillesse lui enlèvera tout de la mémoire, sauf la liste des vainqueurs du Tour de France. » Une histoire d’enfance, aussi, quand le gamin qu’il était rêvait d’être Jacques Anquetil : « J’aurais voulu, mais il me manquait l’essentiel. C’est le champion qui m’a tenu sur le vélo. D’abord, c’était le champion de mon petit âge, de mes dix ans, et ce sont des moments qui comptent dans une vie. Ensuite, il y avait quelque chose en lui de gracieux et de mystérieux, ce que je n’étais pas. Il me fascinait par ce que je percevais de sa liberté. Une liberté énorme que sa force lui donnait, mais aussi son incroyable tempérament. Aujourd’hui, avec cinquante ans de recul, je vois bien qu’il n’y a pas d’équivalent dans l’histoire du cyclisme. »
Jacques Anquetil n’était pas le héros de tous et, même dans son milieu, il lui est arrivé d’être mal perçu. Ce qui redouble l’intérêt de Paul Fournel : « Il me semble qu’en tant qu’écrivain, c’est vraiment celui dont on a envie de tirer le portrait. Il ne me viendrait pas à l’idée de tirer le portrait d’un Poulidor ou d’un Merckx. Le personnage est infiniment plus complexe. Il est beaucoup plus provocateur, son destin est beaucoup plus affirmé. Il est moins lisse que Poulidor dans la personnalité, moins lisse que Merckx dans la victoire. Et puis, ce qui m’a toujours intrigué et fasciné chez lui, c’est que, peut-être, il n’aimait pas le vélo. »
Dans un des chapitres avec lesquels l’auteur découpe en tranches thématiques l’homme et le sportif Anquetil, il se demande à quoi il marche. L’exploit ? L’amour du vélo ? L’argent ? La douleur ? La drogue ? La générosité ? La réponse n’est pas vraiment donnée, et la conclusion consiste à dire qu’Anquetil est énervant. Une impression plutôt qu’un travail s’appuyant sur les faits : « Je n’ai pas voulu faire un travail d’historien. Je m’en fiche, de savoir s’il a gagné le 22 mars 1963 ou 1964. En fait, j’ai toujours suivi son actualité, j’ai toujours lu ce qu’on a publié sur lui. Au moment d’écrire, je me suis fié à ma mémoire, et aux mensonges éventuels ainsi qu’aux erreurs qu’elle allait me dicter plutôt qu’à la vérité historique qui, aujourd’hui, n’a pas vraiment d’importance. Le temps est venu de la légende. Si Anquetil doit survivre dans la mémoire des hommes, ce sera autant pour ce qu’il n’a pas fait que pour ce qu’il a fait. »
D’où la place donnée à une image dont Paul Fournel a été imprégné, à partir d’un souvenir reconstitué. Une des rares fois où il croit avoir vu courir Jacques Anquetil, celui-ci n’était pas présent. On aborde, par ce biais, la dimension romanesque d’un ouvrage où la littérature intervient deux fois, par la présence d’Antoine Blondin et par celle de Maupassant, dont une maison est devenue celle d’Anquetil. Paul Fournel considère d’ailleurs son ouvrage de manière littéraire : « Ce qui m’a intéressé, c’est de voir à partir de quoi, à partir de quelle relation à soi-même se construit un personnage. Et puis, comme je le dis à un moment, parlant de Blondin, de Chany et de Goddet, Anquetil est le dernier cycliste de tradition écrite. Après lui viennent les champions de la radio et de la télévision. Le personnage a été servi par les plus belles plumes de son temps. En lisant les journaux, j’apprenais le style, le facétieux de Bondin, le sérieux de Chany, le lyrique de Goddet… Il y a pour moi, autour du personnage d’Anquetil, tout ce texte qui rôde dans les parages, jusqu’au livre de sa fille Sophie, qui est venu révéler l’histoire familiale. »
Jacques Anquetil a arrêté sa carrière en 1969, il est mort en 1987. Pourquoi avoir attendu 2012 pour écrire ce livre ? Paul Fournel a la réponse : « C’est une affaire de vieillissement – le mien. Il s’agissait de revisiter des souvenirs, de se rendre compte que le temps passe. Anquetil faisait partie de mon présent et, tout à coup, j’ai pris conscience qu’il était dans le passé. Si je l’avais fait plus tôt, j’aurais fait un livre de journaliste. »

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