jeudi 6 juin 2013

Les angoisses dérisoires d’un contemporain

De livre en livre, Nicolas Fargues pose son regard aigu sur des personnages auxquels il paraît craindre de ressembler. Il les traite donc avec une ironie souriante au lieu de leur enfoncer la tête sous l’eau définitivement, comme on le sent parfois sur le point de le faire. Il leur gratte les plaies comme s’il les soignait, alors qu’il les entretient.
Le nouveau triste héros avec lequel il compte nous amuser cette fois est un écrivain de quarante-trois ans. Outre qu’il prend conscience, parfois, de son âge, il n’est plus l’auteur à succès qu’il a été – et n’envisage pas vraiment, faute de sujet, de le redevenir. Son père ne trouve plus son nom quand il le cherche dans les actualités de Google, son éditeur annule un dîner sous un prétexte qui pue la mauvaise foi.
A propos de puer, signalons l’importance capitale des odeurs dans La ligne de courtoisie. L’écrivain achète « des bougies odoriférantes », il se contraint à « tolérer dans le métro les exhalaisons dermiques et autres remugles intestinaux de mes congénères anonymes ». Dorothée, rentrant de son cours de yoga sans avoir pris le temps de prendre une douche, exacerbe « par tous les pores de son derme cette odeur apocrine naturellement soufrée qui, jadis, m’avait fait tant hésiter à partager de nouveau son lit au terme de notre première copulation. » Et autres notations du même genre, pendant les quatre-vingts premières pages soumises aux réflexes d’un homme occidental respectueux des codes sociaux. Parmi lesquels la courtoisie, qu’il a développée comme un art de l’esquive peu convaincant dans la pratique, n’est pas le moindre. D’autres conduisent à évaluer les qualités respectives des produits proposés à la convoitise de celui qui peut les acquérir, soupesées en fonction des regards des autres…
Mais tout va changer. Il s’installe à Pondichéry. Du moins, tout changerait peut-être si les contraintes ne lui retombaient pas d’emblée dessus. La maison qu’il a louée n’est pas libre, c’est lui qui finit par se faire engueuler. Et son éventuel avenir d’écrivain ne se dessine qu’à l’ombre de Stephen King, auprès duquel il se sent tout petit… Malgré un séjour bourré d’inconvénients qu’il glisse sous le tapis, au contraire de la crasse contre laquelle il s’acharne, cela pourrait n’être pas si mal. Sinon qu’il faut rentrer en France, pour d’autres aventures dérisoires.
Et c’est ainsi, sans trop se prendre au sérieux, que Nicolas Fargues fait le tour des angoisses contemporaines.


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