vendredi 30 août 2013

Seamus Heaney, le poète de l'Irlande réinventée

On apprend aujourd'hui la mort de Seamus Heaney, grand poète avant d'être prix Nobel - et après aussi, d'ailleurs. Je n'avais pas lu de traductions récentes, mais j'avais été très impressionné, dans les années 90, par la découverte de son oeuvre, sur laquelle j'avais eu l'occasion d'écrire ceci dans Le Soir, à l'occasion, précisément, du prix Nobel. Depuis 1995 moment où l'article est paru (je ne l'ai pas mis à jour), d'autres livres ont heureusement été traduits...

Né en Irlande du Nord en 1939, Seamus Heaney a participé très tôt à la vie littéraire de son pays en même temps qu'il prenait conscience de la situation politique très particulière où il se trouvait, en tant que catholique. Prenant appui à la fois sur une tradition ancienne et sur la réalité contemporaine, il s'est dessiné un territoire singulier à l'intérieur duquel se déploie une langue à la fois simple et riche, porteuse de sens multiples.
Sa biographie se confond presque avec sa carrière littéraire : des premières publications lorsqu'il était étudiant, puis des recueils immédiatement salués par une critique unanime, Death of a Naturalist (1966), Door into the Dark (1969), North (1972), etc., et parallèlement un parcours universitaire qui l'a mené, en 1989, à la chaire de poésie d'Oxford. Il faut noter aussi qu'il a quitté l'Irlande du Nord en 1972, en raison des troubles politiques, pour s'installer en république d'Irlande - mais il a beaucoup vécu à Londres et aux États-Unis.
L'académie royale suédoise a choisi d'honorer une oeuvre caractérisée par sa beauté lyrique et sa profondeur éthique, qui fait ressortir les miracles du quotidien et le passé vivant, a expliqué le comité du prix.
Seamus Heaney est l'auteur d'une poésie très lisible - mais peu traduite en français, puisque deux ouvrages seulement sont disponibles dans notre langue : Poèmes 1966-1984 (Gallimard, 1988) et Les errances de Sweeney (Le Passeur, 1994). Loin de toutes les expérimentations, il cherche à poser quelques questions fondamentales dont il fait la matière même de ses textes, l'expression la plus fine de ses interrogations puisées dans l'histoire la plus lointaine, mais revivifiée, se confondant avec leur sens.
Levée, montée des sentiments hors de leurs cachettes
Les mots pénètrent presque le sens du toucher
et se dénichent eux-mêmes de leurs sombres clapiers
Perçu comme un écrivain du Nord, il avait l'ambition de devenir un écrivain, tout simplement. Sa réputation toujours plus grande, et qui atteint maintenant les lecteurs les moins sensibles à la poésie, lui a permis d'atteindre ce but.
Poète imprégné d'autres écrivains, de Dante à Joyce, toutes influences qu'il a réussi à intégrer dans une langue propre, Seamus Heaney est aussi un lecteur dont les essais sont devenus rapidement des références dans le genre. Il a aussi publié une pièce de théâtre (The Cure at Troy. A Version of Sophocle's Philoctetes, 1991), revenant ainsi à un de ses premiers centres d'intérêt en littérature.
Mais une ligne de force traverse toute son oeuvre, quel que soit le genre dans lequel il s'exprime : une sorte d'interprétation du présent à travers les grands thèmes de la littérature.
Le sol auquel l'oreille depuis longtemps se colle
Est écorché ou calleux, et ses entrailles
Sondées par un augure impie.
Notre île est pleine de rudes fureurs.

Le retour à la civilisation d’un homme ensauvagé

Prix Goncourt du premier roman, François Garde s’est inspiré de faits authentiques dans Ce qu’il advint du sauvage blanc : le mousse Nicolas Pelletier a, semble-t-il (un doute subsistait à l’époque chez certains commentateurs), vécu dix-sept ans chez les Aborigènes d’Australie au 19e siècle après avoir été abandonné par ses compagnons de navigation. Le romancier a pris quelques libertés avec la biographie du marin et a surtout dédoublé la narration en alternant deux voix.
Celle du héros de cette aventure est la première. L’homme blanc recueilli par une peuplade à laquelle il ne comprend rien. Ni la langue, bien sûr, ni les coutumes, ni son propre statut qui n’est pas tout à fait celui d’un prisonnier, mais y ressemble par certains aspects.
Celle d’Octave de Vallombrun lui répond, dans les lettres qu’il adresse au président de la Société de Géographie. Après avoir résumé son ambition de découvreur et ses premiers échecs, il relate sa découverte du sauvage blanc et son éducation. Ou plutôt sa rééducation : Nicolas Pelletier, dont il mettra d’ailleurs un certain temps à découvrir le nom, a perdu l’usage du langage et du comportement en société. Ses travaux emplissent une correspondance qui tourne à l’aigre : la séance au cours de laquelle Vallombrun a présenté l’objet de ses recherches s’est mal passée. Des savants plus préoccupés de leur propre gloire que de géographie ont porté moins d’intérêt à Pelletier que ne l’a fait l’impératrice Eugénie quand elle a souhaité le rencontrer – lui obtenant, dans la foulée, un poste de fonctionnaire au phare des Baleines, sur l’île de Ré.
Le parallèle entre les deux récits est saisissant : Pelletier qui s’habitue peu à peu à sa nouvelle vie contraste avec Vallombrun qui tente de le ramener à sa vie d’avant. Et les questions que se pose celui-ci font tout l’intérêt du roman.

jeudi 29 août 2013

Le prix Fnac du roman à Julie Bonnie


Beaucoup de premiers romans sont proposés en cette rentrée, et c'est un premier roman qui reçoit le premier prix littéraire de la saison. Il y a une certaine logique dans cette affaire. Chambre 2, de Julie Bonnie, a déjà fait l'objet d'une présentation dans ce blog (la présentation de l'éditeur) mais je ne l'avais pas encore lu à ce moment et, depuis, les choses ont changé.

J'ai lu, j'ai plutôt aimé - pas à la folie, raisonnablement, comme on apprécie une cuisine où le chef a mis tout son savoir-faire et un peu de son âme.
Béatrice travaille dans une maternité, ce qui lui va bien et lui va mal. Côté positif, sa proximité avec les corps, en raison de son passé de danseuse nue avec un groupe de musique d'avant-garde. Côté négatif, l'accumulation des souffrances, les morceaux d'âmes qui s'échappent un peu partout dans les salles de travail ou même dans les chambres - quand il en reste un peu, de l'âme... Tout cela rendu avec une sensibilité un peu écorchée qui correspond parfaitement à l'esprit du roman.
Cette récompense est aussi une manière - involontaire, j'imagine - de saluer la présence de la littérature française dans une maison où elle peine à s'imposer malgré plusieurs tentatives louables. (Il faut dire que le secteur étranger y est particulièrement riche.) Sur les trois romans que proposait Juliette Joste, l'éditrice de ce domaine dans la rentrée, deux étaient sélectionnés parmi les quatre finalistes du prix Fnac du roman. De beaux débuts...

La solitude d’une femme de cosmonaute

La vie de Léna ressemble à celle des femmes de marins. Comme elles, Léna connaît l’absence, les longues périodes pendant lesquelles Vassili est à la Base. Mais Vassili n’est pas marin. Il est aviateur au moment où l’URSS est sur le point de se défaire, ce que personne ne prévoit encore. Léna ne maîtrise rien de son calendrier, dicté par la hiérarchie. Il rentre quand il peut, parfois au milieu de la nuit. Elle préfère, d’ailleurs, puisqu’il n’est pas alors accaparé par les enfants des cohabitants, désireux d’entendre Vassili raconter ses vols.
Léna devient femme de cosmonaute quand Vassili est choisi pour une mission de plusieurs mois sur la station Mir. Avant le départ, le rythme devient plus régulier, ensuite, il faudra attendre le retour pendant des mois…
La solitude d’une femme est au cœur du premier roman de Virginie Deloffre, qui traduit ce sentiment dans les lettres que Léna envoie à sa famille d’adoption. Elle y apparaît de plus en plus fragile, minée par les incertitudes liées à la carrière de son mari. De son côté, celui-ci transmet au livre la vibration d’une exaltation venue de loin, des intuitions géniales d’un savant méconnu du dix-neuvième siècle et prolongée dans une course à l’espace menée contre les Etats-Unis, l’adversaire de la Guerre froide. Chaque succès est un moment de fierté nationale, et le récit qu’en fait la romancière transcende la documentation pour devenir le pilier central de la construction.
Ajoutons que la vie quotidienne dans le Grand Nord sibérien est restituée avec talent. Il y a bien des raisons de découvrir Virginie Deloffre. Les libraires ne s'y sont pas trompé: ils ont donné leur prix à ce roman.

mercredi 28 août 2013

Linda Lê et la voix d’outre-tombe

Van n’a jamais été bavard, dit-il d’emblée. Mais c’était avant de mourir. « Maintenant que je suis dans un cercueil, j’ai toute latitude de soliloquer. » Et il a bien des choses à raconter. Il ne sera pas le seul à parler dans Lame de fond. Chacune des parties qui découpent une journée en quatre est aussi occupée par trois autres personnages, trois femmes qui ont eu une grande importance dans sa vie : Lou, son épouse, Laure, leur fille, et la plus mystérieuse Ulma dont le statut dans le roman en est une des clés. Puisque Linda Lê ne la fournit pas d’emblée, laissons-la nous aussi de côté, tout en gardant son importance à l’esprit.
Van est né au Vietnam mais, une fois installé en France, il est devenu un émigré modèle, du genre qui ne fait pas de vagues. Du genre, aussi, qui a appris la langue en lisant les classiques et, devenu correcteur, a été un travailleur scrupuleux. Jusqu’au moment où il s’est relâché, pour des raisons extérieures aux livres sur lesquels il se penchait. Pour des raisons qui tenaient à des changements importants dans sa vie. Pour des raisons liées à Ulma. Mais beaucoup moins simples que ne le sont les premières idées qui viennent à l’esprit.
La voix d’outre-tombe qui ouvre le roman puis revient se glisser entre les autres est aussi la voix de la vérité, puisque Van n’a plus rien à perdre. Cela n’empêche pas les doutes. Au volant de la voiture qui l’a renversé, Lou savait-elle ce qu’elle faisait ? Crime ou accident ? Nous le saurons peut-être.

mardi 27 août 2013

P.D. James sur les traces de Jane Austen

Lectrice, comme tout le monde en Grande-Bretagne, de Jane Austen, P.D. James a eu l’audace de prolonger son roman le plus célèbre, Orgueil et préjugés, sans modifier les relations entre les personnages mais en faisant intervenir un meurtre qui les révèle, si possible, un peu mieux à eux-mêmes. Cela donne La mort s'invite à Pemberley...
Chez Jane Austen, Elizabeth Bennett, devenue épouse de Mr Darcy, est au premier plan de la narration. P.D. James a choisi d’insister en creux, tel qu’il est perçu par les autres protagonistes, sur George Wickham, le plus ambigu de tous. Charmeur, menteur, peu fiable en tout cas, il est soupçonné du meurtre d’un ami de régiment qu’il a suivi dans les bois après une dispute. Il fait un coupable idéal, sinon qu’il ne possède aucune prédisposition à la violence et que ses liens familiaux avec les Darcy, même s’il n’est pas le bienvenu chez eux, en font aussi un coupable encombrant. Dans la bonne société du début du 19e siècle, tout ce qui sort de la norme est une faute. Wickham est une faute à lui tout seul et sa culpabilité salirait la famille entière.
P.D. James joue avec l’idée d’écrire un roman « à la manière de » sans abandonner ses propres obsessions. Le résultat n’est pas totalement convaincant. Corsetée dans l’esprit d’une époque qui n’est pas la sienne, l’écrivaine anoblie depuis 1990 manque d’aisance. Et, si la résolution d’une énigme criminelle n’a jamais été le premier de ses soucis, celle-ci est quand même traitée avec un excès de légèreté.

lundi 26 août 2013

Emmanuelle Pireyre : le monde comme vous ne l'aviez jamais lu

Nous avions oublié de nous poser sept questions fondamentales. Puis vint Emmanuelle Pireyre. Après y avoir longuement réfléchi, avoir envisagé les conséquences imprévisibles de réponses trop simples pour être honnêtes, trop aisément vérifiables pour nous convaincre, elle a mis toutes les chances de son côté avec un casting extraordinaire : Claude Lévi-Strauss, Umberto Eco, Christine Angot, Russel Banks, Léon Tolstoï, C.G. Jung, Friedrich Nietzsche, Louis de Funès, etc., y ajoutant des échantillons représentatifs de la population mondiale – française et italienne, groupes d’enfants, personnel de l’usine, propriétaires français, espagnols, danois, américains, etc., artistes genevois, traders français… Elle n’a pas ménagé sa peine pour tordre ces fameuses questions jusqu’à leur faire rendre l’ultime goutte de vérité.
Au fait, sur quelles interrogations se penche-t-elle ? Une liste n’est pas superflue : « Comment laisser flotter les fillettes ? », « Comment habiter le paramilitaire ? », « Comment faire le lit de l’homme non schizoïde et non aliéné ? », « Le tourisme représente-t-il un danger pour nos filles faciles ? », « Friedrich Nietzsche est-il halal ? », « Comment planter sa fourchette ? », « Comment être là ce soir avec les couilles et le moral ? » Si, après cela, on n’a pas fait le tour complet de la condition humaine, si vous n’avez toujours pas compris comment on passe par la fourchette pour en arriver à la fourche révolutionnaire, c’est à désespérer de tout.
Ce petit traité de philosophie pratique et amusante met aussi en scène des personnages moins connus. Par exemple Roxane, petite fille de neuf ans qui peint sans cesse un cheval sans jamais s’intéresser à ce qui mobilise l’attention des autres enfants, les spéculations financières ou l’anticipation des marchés. Ou l’homme qui disait toujours « C’est joyeux » sans jamais donner l’impression de le penser – il arrive qu’on lui réplique : « Arrête de dire tout le temps C’est joyeux. On dirait que tu vas mal, on dirait que tu vas faire une dépression. » Ou encore la personne, on ne sait pas très bien qui elle est, collectionneuse de baisers.
Présenté ainsi, Féerie générale a l’air d’un sacré foutoir. Après tout, disons-le : Féerie générale est un sacré foutoir. Mais un joyeux foutoir qui, malgré le titre, contourne les idées générales pour plonger au cœur de situations particulières proposées sur un ton primesautier et avec, contre toute attente, un certain esprit de suite. Emmanuelle Pireyre n’oublie rien en cours de route, même pas ce qu’on pensait qu’elle avait jeté là pour ne jamais le reprendre plus tard. Les articulations sont discrètes mais elles sont présentes. Et si, à la fin, on hésite à se dire certain des réponses à donner aux sept questions fondamentales, une certitude nous habite : ce fut un moment d’enchantement comme il s’en rencontre peu, un festival de petits bonheurs qui, ajoutés les uns aux autres, en forment un grand.

dimanche 25 août 2013

L’histoire vraie d’Addi Bâ, « Le terroriste noir »

Les tirailleurs sénégalais, qui n’étaient pas tous sénégalais, ne sont peut-être pas entrés assez dans l’Histoire, pour paraphraser un président français. Ce n’est pas faute d’avoir payé de leur chair et de leur sang. En revanche, les historiens européens les ont longtemps considérés comme quantité négligeable – la chair à canon sur les premières lignes des combats. Une étape a été franchie quand leurs mérites collectifs ont été reconnus. Tierno Monénembo ne s’en contente pas. Il cite Léopold Sédar Senghor : « On fleurit les tombes, on réchauffe le Soldat inconnu, / Vous, mes frères obscurs, personne ne vous nomme. » Dans Le terroriste noir, il redonne vie à l’un d’eux et, précisément, le nomme : Addi Bâ. Il retrace son parcours en partant de ce qu’on sait vraiment de lui. Car l’homme a existé avant de devenir personnage de roman.
Un beau roman, d’ailleurs, construit sur des fondations réelles avec des détails, des regards, des percées vers un imaginaire susceptible de mieux éclairer le destin d’Addi Bâ. Quand il arrive à Romaincourt, « personne n’avait jamais vu de nègre ». Nègre : vous avez bien lu. L’écrivain, guinéen comme son héros, ne choisit pas le mot au hasard. Ce mot chargé de connotations racistes que l’on n’ose plus utiliser. Mais qui, à l’époque, appartenait au langage courant. Et s’apparentait à une description de la couleur de peau plutôt qu’à un rejet de l’autre. « On l’appelait “le nègre”, quand il n’était pas là, et simplement “monsieur” quand on se trouvait en face de lui. C’était commode, c’était pratique, et cela nous arrangeait tous. Cela ne semblait pas le gêner. Un nègre parmi nous : on ne prenait même pas la peine de s’en étonner. »
Nous sommes en 1940. Addi Bâ a été fait prisonnier, s’est enfui et s’est caché dans les bois où il a été découvert et aidé par des habitants du village. Sans quoi il serait mort de faim ou de froid. Il s’intègre à la population et séduit des femmes malgré une présence discrète en raison des dangers qu’elle fait courir à lui-même et aux autres. Germaine, adolescente, le rencontre dans le même mouvement de fascination qui la poussera, plus tard, à le raconter : elle est la narratrice. Bien placée pour situer l’arrivée de cet homme dans les relations parfois complexes, voire conflictuelles, entre les familles villageoises, elle dit ce qu’elle savait alors et le complète de ce qu’elle a appris plus tard.
Addi Bâ entre en effet dans la Résistance, devient pour les Allemands Le terroriste noir du titre. Chef de guerre un peu malgré lui, il dirige des hommes qui n’acceptent pas tous son commandement. Il s’impose à force de conviction et de compétence. Et s’imposera davantage encore quand, dénoncé, il sera repris, condamné à mort, exécuté…
Lilian Thuram avait déjà fait le portrait d’Addi Bâ dans Mes étoiles noires (Philippe Rey, 2010). Le roman de Tierno Monénembo, en recréant non seulement l’homme mais aussi la vie du village et celle d’un groupe de résistants, va plus loin. Il ne s’agit pas que de mémoire. Il s’agit aussi de retrouver une voix, une présence. Le moyen d’y parvenir s’appelle littérature. Elle se glisse dans un récit sinueux. Germaine clôt son récit par l’exécution. Mais, entretemps, elle a remonté le temps sans trop s’occuper de l’organiser, expliquant par exemple quand elle le juge bon comment Addi Bâ est arrivé en France, bien avant la guerre, ce qu’il y a fait et quels liens il gardait avec sa Guinée natale. Les éléments se mettent en place selon une logique affective plutôt que selon la chronologie. Et nous y adhérons.

vendredi 23 août 2013

Judith Perrignon, les silences d’une mère

Helena a été condamnée après un cambriolage. Au cours du procès, elle n’a jamais donné le nom de son complice. Celui-ci l’a malgré tout abandonnée pendant qu’elle était enfermée, sans savoir qu’une fille était née de leur liaison. A présent qu’Helena est morte, que la prison de la Roquette a été détruite, sa fille Angèle découvre qu’elle y est née à l’infirmerie, quinze minutes avant l’extinction des feux, là où maintenant se trouvent des balançoires…
Elle ne parlait plus à sa mère depuis quinze ans. Mais ce qu’elle vient d’apprendre la pousse à rechercher un journaliste qui a suivi le procès, et dont le nom semble lié à la vie d’Helena. Quelle était la nature de ce lien ? C’est une des nombreuses choses qu’ignore encore Angèle, comme elle ignore les difficultés à venir sur le chemin qu’elle emprunte. Au terme duquel, si tout va bien, elle trouvera un père qui lui-même se trouvera une fille.
Judith Perrignon, journaliste, mène Les chagrins comme une enquête, autour des informations manquantes. Le genre d’enquête qui change la vie. Angèle, en effet, doit compléter un puzzle dont des pièces ont été perdues – et ces pièces appartiennent à son propre passé. Grâce à celles-ci, en particulier grâce aux lettres que la mère d’Helena lui adressait en prison, nous percevons petit à petit les raisons d’un silence très lourd dont les conséquences, quarante ans plus tard, pèsent encore sur Angèle. Des relations complexes dans un nœud familial si serré qu’il faudra le trancher.

jeudi 22 août 2013

Claro et sa bombe à retardement

Un bon siècle après la publication d’un best-seller absolu de la littérature de jeunesse, soit le temps qu’il fallait le laisser reposer pour lui donner une dimension nouvelle, Claro s’empare du Magicien d’Oz. Le roman de L. Frank Baum sorti en 1900 puis, en 1939, le film de Victor Fleming ont fait des aventures de Dorothy un classique, aux Etats-Unis comme dans le monde. Dorothy vit dans la grisaille du Kansas. Est emportée par une tornade. Suit un chemin de briques jaunes pour arriver au pays d’Oz, dans la cité d’Emeraude dirigée par le fameux magicien sur les pouvoirs duquel elle compte pour trouver un moyen de rentrer chez elle…
Il vaut mieux avoir à l’esprit ces éléments, et quelques autres, avant d’entrer dans CosmoZ. Claro les utilise en effet comme une trame sur laquelle il tisse un tout autre genre de tapis. Où la féerie renvoie à un monde contemporain des années écoulées entre le livre et le film, et au-delà. Où la fantaisie laisse sa marque jusque dans la typographie, quand Baum, le nom, devient Baum-Baum, le bruit, aussi explosif que les Dupont-Dupond dont le cœur et la voiture font boum dans Tintin au pays de l’or noir
On ne résumera pas CosmoZ, quand bien même on le voudrait. C’est tout bonnement impossible. Les personnages courent à travers le temps et basculent d’Oz en ChaoZ – les titres des deux parties – en même temps que le monde s’affranchit du fantastique pour entrer de plain-pied dans l’ère du réalisme. Ou peut-être est-ce le cinéma qui s’affranchit du noir et blanc pour en arriver à Blanche-Neige et les sept nains, de Walt Disney, concurrencé deux ans plus tard par ce Magicien d’Oz qui se veut plus spectaculaire et où des nains apparus dans CosmoZ jouent leurs propres rôles. A moins que la radioactivité, la meilleure amie de l’homme, change de fonction quand les ouvrières qui peignent au radium les aiguilles des montres se décorent aussi les ongles avec le même produit, et se demandent de quel mal elles souffrent. Avant de manifester sa force à Los Alamoz – oui, avec « z », tout est contaminé.
C’est tout cela à la fois, et beaucoup d’autres choses. Le tourbillon qui a emporté Dorothy correspondait à un appel d’air beaucoup plus puissant, dans lequel Claro s’engouffre comme un seul homme – alors qu’il est multiple, comme chacun sait ou devrait le savoir.
A propos de ce livre, il nous disait avoir eu « le projet d’écrire une histoire chahutée de la première moitié du vingtième siècle, suite logique à un précédent ouvrage publié en 1997, Livre XIX, qui tentait d’embrasser le dix-neuvième siècle dans ses motifs et ses styles. » Vaste programme. Mené à bien avec une énergie dévastatrice, dont quelques personnages font les frais.
Il en va ainsi du Bonhomme en fer blanc et de l’Epouvantail, tous deux présents dans Le magicien d’Oz. Nick Chopper et Oscar Crow, présents dans les tranchées de 14-18, en sont les doubles parfaits, sinon qu’ils ont à subir les effets de bombes dévastatrices. Le premier, devenu la Charpie après qu’il a été ramassé en morceaux, est réparé par un chirurgien aussi génial que fou qui fait de lui un homme-machine. Le second a désormais de la paille dans la tête et dispose d’une mémoire limitée à quelques instants. Il ne se souviendra jamais, par exemple, qu’il a ramassé la montre de Nick sur le champ de bataille.
Tous les deux sont soignés par une infirmière de qualité. Dorothy en personne, en quête d’un hypothétique retour au Kansas, par cet étonnant séjour en Europe. Où l’on rencontre aussi les nains jumeaux Avram et Eizik, auxquels la plume de l’écrivain prête des monologues, ou plutôt des duologues assez embrouillés pour que ni l’un ni l’autre ne sache plus qui parle, et nous pas davantage.
CosmoZ est un cirque digne de Barnum – ôtez le « r » et le « n », il reste Baum. Une succession de numéros vertigineux inscrits dans une vision globale pour le moins déstabilisante. Drôle et tragique. Bref, un chef-d’œuvre.

mercredi 21 août 2013

Le premier premier roman : Romain Puértolas

Dans la chasse aux premiers romans, sport traditionnel qui se pratique à l'ouverture de la rentrée littéraire, j'épingle L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea, de Romain Puértolas. Une petite bombe bourré d'humour, dont je parlais la semaine dernière avec lui - trois heures et demie avant que, comme il me l'écrivait le lendemain matin, "ma petite fille sortait du ventre de sa maman pour découvrir notre monde"... Un événement digne de ceux qui sont racontés sur un rythme irrésistible dans son livre.
Une partie de cet entretien est paru dans un article du Soir, publié samedi. Mais en voici l'intégralité, rien que pour vous...

Les premiers romans sont souvent autobiographiques. Le vôtre aussi ?
Ce serait difficile qu’il soit autobiographique – vous avez lu le livre. J’aurais bien aimé. J’ai vécu une aventure avec Ajatashatru, mais pas dans une armoire. Si le livre était autobiographique, je pense que je serais quelque part entre l’embouchure du Nil et Israël, dans le coffre d’une voiture ou enfermé dans une soute de bateau, mais ce n’est pas le cas : je vis à Paris.
Avez-vous eu la tentation d’écrire quelque chose de plus proche de vous ?
En fait, c’est le premier livre publié mais j’ai écrit beaucoup de choses avant. Il y a toujours un peu de moi dans ce que j’écris mais dans des situations et des histoires assez rocambolesques. J’aime beaucoup la surprise qui, dans une aventure, survient en une seconde, dans notre vie à nous, bien ancrée, avec nos portables et tout ça. J’aime bien qu’une personne se trouve d’un seul coup propulsée dans une autre dimension.
Dans son cas, dans de multiples dimensions…
Oui, mais toujours en restant proche de la réalité. En fait, si vous regardez l’histoire du fakir, ce n’est pas de la science-fiction, en soi. C’est très rocambolesque mais ça pourrait exister. D’ailleurs, j’ai appris il n’y a pas très longtemps que Ikea, en 2009, avait sorti un modèle de lit à clous. J’étais cloué, parce que j’avais imaginé ça dans ma folie et ma folie était au-dessous de la réalité.
Ajatashatru est un fakir qui mystifie les gens. Comme un romancier ?
Effectivement, mystifier quelqu’un c’est le tromper en abusant de sa crédulité. C’est ce que fait Ajatashatru au début du livre, c’est un arnaqueur professionnel qui utilise des trucs en faisant croire à ses pouvoirs surnaturels. Et le roman, c’est exactement comme dans la magie : vous avez une espèce de contrat tacite entre le magicien et le spectateur qui fait que celui-ci va se laisser faire pour que le magicien ou l’écrivain l’emmène dans son imaginaire, dans l’impossible. Pour moi, le rôle de l’écrivain est de sortir le lecteur de son quotidien. Vous avez des écrivains qui veulent rester dans la réalité, moi je suis partisan de faire voyager le lecteur.
En fait, vous parlez aussi de choses réelles, vous parlez d’immigration, de sans-papiers, d’inégalités, etc. A ces moments-là, le sérieux passe un peu avant l’humour…
Dans ce roman, les situations sont humoristiques, le style fait référence à des choses de la vie moderne, actuelle, qui sont assez marrantes, ce ne sont pas des références très culturelles. Et j’aime contrebalancer ça avec des choses plus graves, plus tristes, comme la vie en fait. La vie est faite de joies et de pleurs. Il y a donc à la fois de l’humour et du drame, sinon cela aurait été un livre de blagues et ce n’était pas le but recherché.
Les manuscrits précédents dont vous parliez, aviez-vous essayé de les faire publier ?
Oui, j’avais envoyé des manuscrits. Mais celui-ci, je ne l’ai envoyé qu’à une seule maison d’édition, au Dilettante.
Et donc pas aux Editions du Grabuge ?
Les Editions du Grabuge, je les ai inventées et je pourrais peut-être les concrétiser dans l’avenir en les créant…
L’avez-vous fait passer par une célèbre actrice ?
Pas par une actrice, par une factrice ! J’ai envoyé le manuscrit par la poste, tout simplement. Je n’ai pas la chance de connaître Sophie Marceau ou Sophie Morceaux, qui a un beau rôle dans le livre. J’espère qu’elle sera contente. On lui a envoyé un roman, bien sûr, mais je n’ai pas eu d’échos pour l’instant.
Il faut espérer qu’elle ne va pas vous faire un procès.
J’espère, oui. Ce serait dommage…
Entre l’envoi du manuscrit au Dilettante et la publication, comment les choses se sont-elles passées ?
En fait, je l’ai envoyé en septembre de l’année dernière. J’ai reçu, à peu près un mois après, une lettre de l’éditeur, Dominique Gaultier, expliquant que mon manuscrit sortait du lot et qu’il voulait me rencontrer. On a pris rendez-vous, on s’est vu, il m’a dit qu’il avait aimé le manuscrit, qu’il y avait deux ou trois petites choses à approfondir, notamment le côté migrants. Au départ, je n’avais pas trop insisté dessus. Il faut savoir que je travaille à la police des frontières et je pensais que ce n’était pas trop intéressant. Il m’a dit que si et j’ai un peu approfondi cet aspect-là, celui du clandestin. Je lui ai donné ma dernière mouture deux semaines après, il a dit que c’était bon. J’ai signé le contrat en décembre, pour une sortie à la rentrée littéraire – la semaine prochaine. C’est très long : il y a presque un an que j’attends ça, qu’on travaille sur la couverture la mise en page, les relectures des correcteurs. Je ne vous cache pas que j’attends mercredi prochain avec impatience !
Le titre est-il de vous ou de l’éditeur ?
C’est le mien.
Aviez-vous noué des contacts dans l’édition après vos premiers envois de manuscrits ?
Non, pas du tout. Je ne connais personne dans l’édition. J’ai ma profession et j’écris vraiment pour le plaisir. C’est un besoin, j’écris comme je respire. Ce livre-là a été écrit en deux mois, dans les transports en commun. Je l’ai écrit sur mon portable et sur des post-it, à l’aller et au retour de mon travail, une heure de RER chaque fois. Il a été écrit aussi dans des avions et dans beaucoup de transports. Je prends beaucoup l’avion, j’ai travaillé dans un aéroport et j’adore le monde des aéroports, du voyage. Le taxi aussi, d’ailleurs, et c’est pourquoi ça se passe, au début, dans un taxi. J’ai l’impression que, quand vous êtes dans un taxi, tout peut arriver, c’est déjà une aventure…
Quelle serait la meilleure chose qui pourrait arriver, dans vos rêves les plus fous, à ce premier roman ?
En fait, c’est exactement ce qui est en train de m’arriver en ce moment. Le livre connaît déjà un grand succès à l’étranger,il va être traduit dans beaucoup de langues – alors qu’il n’est même pas sorti en France ! Apparemment, il a touché des pays comme Taïwan, la Corée, l’Albanie, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie… On a été pris par ce qu’on peut appeler la fakirmania. Les gens ont été fakirisés. Je n’imaginais pas du tout ça en écrivant ce livre, surtout pas l’accueil qu’il allait recevoir. J’espère qu’il va y avoir un grand accueil français, bien que nul ne soit prophète en son pays. Ce qui m’arrive là, c’est un conte de fées, plus que ce qui arrive à Ajatashatru.
Le pire n’est plus possible, maintenant ?
Le pire n’est plus possible, à moins de me réveiller, peut-être…
Ce qui se produit avec votre roman pour les traductions ressemble à ce qui s’est passé avec celui de Joël Dicker l’an dernier…
On est peut-être sur les traces. En plus, dans certains pays, c’est le même traducteur. Il devrait sortir dans plusieurs langues l’année prochaine et en 2015 dans les pays anglo-saxons.
Vous disiez écrire comme vous respirez. Cela veut dire que ce premier roman sera suivi d’autres ?
Oui. Mon éditeur a déjà le prochain livre et il a adoré. On ne va pas parler du deuxième, puisque le premier n’est pas encore paru, mais le premier est là.
Vous en avez le titre ?
Oui, mais je ne vous le dirai pas. Et ça ne parle pas d’immigration illégale. C’est quelque chose d’humoristique, de très léger, avec, sous-jacent, un sujet plus grave.

mardi 20 août 2013

Beaucoup rentrent, Elmore Leonard sort

C'est la mauvaise nouvelle du jour: Elmore Leonard vient de mourir à l'âge de 87 ans. Le romancier américain, qui était aussi scénariste, avait reçu l'an dernier un National Book Award pour l'ensemble de sa carrière. Il a travaillé avec Tarantino, plusieurs de ses livres ont été adaptés au cinéma, dont ce Be cool! que je ne connais ni par le texte ni par l'image mais où, grâce à la collaboration de mes bibliothécaires préférés, je pique, au début, un bout de dialogue piquant, du genre qui me plaît - et vous plaira peut-être aussi.
Chili et Tommy déjeunent en terrasse et regardent passer les filles...
« Tu regardes toujours, mais tu ne dis plus rien.

— En ce temps-là, dit Tommy, je partais de ce principe : tu ne pourras jamais savoir ce qu’il y a là-dessous si tu brises pas la putain de glace. La tête qu’elles avaient, on s’en balançait, l’idée c’était de s’envoyer en l’air, mec. Nos jeunes corps en avaient besoin. Maintenant qu’on est des hommes mûrs, on est plus sélectifs. Et puis il y a beaucoup plus de touffe par tête de pipe dans cette ville, avec toutes ces filles qui attendent d’être découvertes. Elles jouent la comédie ou elles chantent, presque toujours mal dans les deux cas. Retourne-toi et jette un œil – là, celle qui promène son chien, sa jupe lui couvre à peine le derrière. Regarde donc. Tiens, elle prend la pose. Le chien s’arrête pour pisser sur ce palmier et ça lui donne une chance de se planter là, avec son petit cul bien cambré. Elle est pas si mal, d’ailleurs.
— Oui, plutôt mignonne. »

lundi 19 août 2013

Premiers échos de rentrée

C'est parti pour la grande vague de nouveautés. Cette semaine, je ne sais combien de nouveaux romans vont entrer dans les librairies - ils sont déjà quelques-uns à l'avoir fait la semaine dernière - mais ils sont nombreux. Trop nombreux pour s'en faire une idée précise, car il faudrait avoir lu jour et nuit depuis deux ou trois mois afin d'y arriver (peut-être).
Il n'empêche: beaucoup de journaux et de magazines ont déjà fait leurs choix. En commençant par Les Inrockuptibles, qui affichaient la semaine dernière deux romanciers en couverture. Marie Darrieussecq et Jean-Philippe Toussaint sont les heureux élus, sans grands risques. Ils représentent des valeurs sûres. De la première, j'ai lu Il faut beaucoup aimer les hommes, excellent en effet, et je ne suis pas inquiet pour Nue, du second - Jean-Philippe Toussaint ne m'a jamais déçu.
Dans le domaine français, L'Express plaque six photos en ouverture de son panorama de la rentrée: Nancy Huston, Pierre Mérot, Eric-Emmanuel Schmitt, Brigitte Giraud, Karine Tuil et... Jean-Philippe Toussaint (deux votes, si on décide de compter ainsi). J'ai envie de lire tous leurs livres, sauf un qui ne me tente pas du tout (vous devinerez, ou non). Et celui de Karine Tuil, L'invention de nos vies, est tout simplement formidable. C'est mon premier coup de cœur de la saison, et aussi le premier entretien de rentrée que j'ai publié samedi dans Le Soir. Les abonnés de ce quotidien belge auront constaté que la rentrée y avait en effet été traitée en avant-première, au moins pour une partie.
Les premiers romans y ont trouvé une petite place, en particulier celui de Romain Puértolas, L'extraordinaire histoire du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea. Il sort après-demain, vous pourrez lire ici, ce jour-là, l'entretien que nous avons réalisé la semaine dernière et dont seuls quelques extraits sont parus dans Le Soir.
Côté traductions, Richard Ford semble avoir les faveurs de la presse avec Canada. Libération a d'ailleurs choisi cet écrivain comme sujet de son portrait de dernière page ce matin. Il est aussi dans mon programme de lectures...
Et bien d'autres encore, j'y reviendrai au fil des jours et des semaines, sans oublier les rééditions au format de poche, annoncées elles aussi en abondance.

samedi 10 août 2013

Je bascule (enfin) vers la rentrée littéraire

Le basculement ne se produit pas toujours au même moment mais il y a forcément une période où, quelque part en juillet ou août, mon premier semestre de lectures s'achève pour faire place à la rentrée littéraire.
Pratiquement, les choses se passent ainsi: je ne conserve que quelques ouvrages papier parmi ceux qui sont parus entre janvier et juin, tous les autres partent en camionnette vers la bibliothèque de l'Institut français; dans ma liseuse, j'efface les livres publiés dans la même période. Le transfert physique s'est fait début juillet, et c'est ce matin que j'ai supprimé plus de 700 fichiers de ma liseuse. Il en reste quand même encore 190, dans lesquels je me trouve maintenant - depuis jeudi après-midi, pour être précis dans la chronologie...
Cela ne signifie pas que ces 700 livres électroniques - et les 4 ou 500 en papier - ont disparu à tout jamais. Je ne les ai pas tous lus, il y en a un certain nombre que je regrette de n'avoir pas eu le temps de découvrir. Je vais donc guetter, à partir de l'année prochaine, leur réédition au format de poche et ils seront nombreux à revenir dans ma liseuse, ou sur les planches de la petite étagère derrière moi si je dois les récupérer à la bibliothèque.
Le dernier roman que j'ai chroniqué dans Le Soir - édition parue ce matin - était un de ceux dont j'aurais regretté de ne pas parler, pour de multiples raisons: La ville où les morts dansent toute leur vie, de Pierre Pelot. Celui-là, au moins, ne devra pas attendre une réédition en poche...
Quant à la rentrée, laissez-moi le temps de lire encore quelques romans (je ne suis que dans le huitième) et je vous en dirai davantage.

mardi 6 août 2013

La première mauvaise nouvelle de la rentrée

Une rentrée littéraire, cela charrie tout et n'importe quoi. Le meilleur, j'ai commencé par là hier pour ne pas faire mauvaise impression, et le pire, nous y voici. Arnaud Viviant, critique littéraire, sort La vie critique. Ah! on va voir ce qu'on va voir. Et puis, non, il s'agit plutôt d'un collage de scènes approximatives, de jugements à l'emporte-pièce dans le genre de ceux qu'il assène au Masque et la plume. Devrait-il parler de son roman (un peu roman quand même, mais pas trop) dans cette émission qu'il serait amené, j'imagine, à la plus extrême sévérité.
Un passage (plusieurs, en fait, mais je choisis celui-là) décrit une scène que j'aurais presque pu vivre:
Quand il était arrivé dans le quartier, il croisait aussi souvent vers seize heures, rue Chaptal, un long monsieur fatigué avec des lunettes noires, peut-être aveugle, qui marchait accoudé à une petite dame peinturlurée, des lunettes fantaisie sur le nez, et toujours habillée de façon criarde, presque clownesque. C'était la critique littéraire Françoise Xenakis et son fameux mari Iannis, mais bientôt il ne vit plus jamais que Françoise, sans jamais oser l'aborder.
Il se fait que j'ai pas mal fréquenté Françoise Xenakis, généreuse avec le journaliste en herbe que j'étais alors, et que, du vivant de Iannis, j'avais été invité à manger un soir chez eux, où se trouvait aussi Mâkhi, leur fille - à l'époque plasticienne... en herbe. Et il me semble que réduire Françoise Xenakis à un rôle de critique littéraire est faire bien peu de cas (peut-être par ignorance) d'une oeuvre littéraire certes inégale mais dont la première partie mérite mieux que du respect.
C'est un peu comme si je disais qu'Arnaud Viviant n'est pas écrivain mais "seulement" critique littéraire. Sinon que, dans son cas, c'est malheureusement vrai. Si vous ne me croyez pas (libre à vous, bien entendu), je vous envoie aux quinze premières pages du roman.
Considérons que ce livre, à paraître la semaine prochaine, est un accident dans le programme d'un éditeur (Belfond) par ailleurs bourré de titres bien plus excitants, comme je vous le signalais il y a une quinzaine de jours.

lundi 5 août 2013

La première bonne nouvelle de la rentrée littéraire

Depuis un peu plus de vingt ans - vingt et un exactement, soit pour la vingt-deuxième fois -, ma rentrée littéraire commence, à peu près une fois sur deux, par la lecture du nouveau roman d'Amélie Nothomb. Une sorte de mise en jambes en une heure de lecture environ, parfois un peu plus, parfois un peu moins, qui me permet de retrouver une manière familière avant de me lancer dans des explorations plus hasardeuses et souvent plus exaltantes. Car lectrices et lecteurs de ce blog le savent probablement, je sors le plus souvent déçu de cette lecture, pour un tas de raisons qu'il serait trop long d'expliquer ici (je me suis promis de le faire un jour, si j'en trouve le temps. Mais des bribes d'explication se trouvent éparpillées, au fil des années et des rentrées, dans ce Journal d'un lecteur.
Aussi est-ce avec une joie non dissimulée, oyez, oyez, bonnes gens, que, je vous l'annonce avec trompettes retentissantes, cette année, le Nothomb est bon!
Peut-être est-ce parce qu'elle revient au Japon, décidément le territoire qui lui a inspiré ses meilleurs livres? Il semble qu'elle trouve là une matière à la fois très personnelle et pourtant universelle. Hypothèse, bien sûr...
Toujours est-il que la rentrée commence bien, avec un peu d'avance sur le calendrier puisque La nostalgie heureuse sortira le 21 août seulement.

P.-S. Je découvre l'existence d'un site dédié à Amélie Nothomb. Si vous voulez tout savoir, c'est par ici. Et, pour lire un extrait (bref, l'extrait: la couverture, la page de titre et les deux premiers paragraphes) de La nostalgie heureuse, c'est par là.

jeudi 1 août 2013

Des poches pour la route (7)

Et voici la dernière partie de la sélection que je vous propose depuis quelques jours parmi les sorties en poche de 2013.

Robert Pobi, L’invisible
Jake Cole est face à ce qui est lui arrivé de pire dans sa carrière au FBI. Un écorcheur sévit dans la ville où son père lutte contre la mort et ses fantômes. 33 ans plus tôt, la mère de Jake a été victime du même criminel et l’irruption du passé coïncide avec l’arrivée d’un monstrueux ouragan. Les menaces se rapprochent, dans une atmosphère d’apocalypse où la nature et les hommes cultivent la peur. Un thriller exceptionnel où la tension ne cesse de monter.

Guy Vaes, Mes villes
Londres, ville d’abord rêvée dans les livres par Guy Vaes, devient le lieu réel des séjours qu’il y fait à partir de 1959. L’écrivain arpente ce « labyrinthe brisé », expression de Borges qu’il reprend dans le titre du texte consacré à Londres. Plus court, le récit de sa découverte de Singapour s’inscrit en contrepoint du premier. Et aussi en résonance : chaque fois, il cherche à inscrire la ville dans le mouvement de sa création littéraire. Il y parvient merveilleusement, au rythme de phrases souples qui vont au-delà de la surface.

Michael Connelly, Los Angeles River
Le retour du Poète, tueur en série issu du FBI, est un grand moment. Et l’occasion pour Michael Connelly de convoquer les principaux protagonistes d’un de ses grands succès. Harry Bosch est donc présent, en équipe malgré lui avec Rachel Walling pour déjouer les plans diaboliques de l’ennemi public n) 1, ou peu s’en faut. Curieusement, ce roman avait été traduit en français avant Le Poète, ce qui en faisait manquer quelques subtilités. Elles sont pourtant essentielles.

Philippe Bordas, Forcenés
Les amoureux de cyclisme apprécieront l’ouvrage, à condition d’être tout autant des inconditionnels d’une langue travaillée et belle. Philippe Bordas transforme l’anecdote sportive en chant épique et heurté. Si bien qu’on oublie parfois son sujet pour ne plus goûter que les phrases superbes qu’il taille au burin dans une roche solide. Son long poème en prose s’arrête en 1984, ceci dit pour les défenseurs du vélo d’aujourd’hui. Ils comprendront pourquoi, la démonstration est implacable.