mercredi 7 mai 2014

Hilary Mantel et Thomas Cromwell, premier épisode

Hilary Mantel, double lauréate du Booker Prize en Grande-Bretagne, arrive au format de poche en France avec le premier volume de la trilogie romanesque qu’elle consacre à l’époque d’Henri VIII, à travers surtout le personnage de Thomas Cromwell, acteur majeur de la Réforme anglicane au 16e siècle. Ce n’était pas son premier livre publié en France mais, jusqu’à celui-ci, elle n’avait pas provoqué d’enthousiasme excessif. Le Conseiller, placé pour ce tome initial Dans l’ombre des Tudors, lui vaut maintenant une réputation dont il fallait vérifier dans le texte sur quels arguments elle repose.
On peut déjà dire que cette réputation n’est pas usurpée. Il s’agit d’un grand roman historique dans lequel on plonge, malgré tout, avec un peu de crainte. Sa dimension et notre méconnaissance des détails de l’Histoire britannique pouvaient laisser présager une réaction indifférente à des débats qui, au fond, nous concernent bien peu. Mais l’écrivaine se fait historienne et biographe en utilisant toutes les ressources de la fiction. Dans une brève postface qu’elle intitule « L’arithmétique de la romancière », elle commence par prévenir : « Thomas Cromwell est une énigme. » Des pans entiers de sa biographie restent en effet inconnus et il s’est lui-même peu livré dans ses écrits. « Pour un romancier, cette absence de matériel intime est à la fois un problème et une chance. » La chance, par exemple, d’ouvrir sur un chapitre où le jeune Thomas, pas encore 15 ans, se fait copieusement étriller par son père, un forgeron d’une extrême brutalité, dans le roman du moins. Plutôt que de continuer à subir ses colères, Thomas s’enfuit et travaille sur un bateau qui traverse « la mer étroite », c’est-à-dire la Manche, puis en Europe d’où il reviendra formé au commerce et aux chiffres.
Ensuite commencera la part de sa vie mieux connue, ce qui n’empêche pas Hilary Mantel d’y ajouter de la chair et du sang, du rire et des larmes. On meurt beaucoup dans l’Angleterre de ce temps-là, les épidémies font rage et aucune famille n’y échappe, même dans les milieux proches du pouvoir : la femme de Cromwell tombe malade, meurt, une fille suivra le même chemin. La vie est une chose fragile et soumise aussi à des règles strictes. On peut être exécuté pour avoir été en possession d’un livre interdit – ils sont nombreux – ou pour avoir dit des choses qu’il ne fallait pas. Comme c’est le cas, après tout, encore aujourd’hui dans certains pays…
Thomas Cromwell fait son chemin dans les allées et les contre-allées du règne. D’abord couvé par le cardinal Thomas Wosley (les Anglais semblaient manquer d’imagination pour les prénoms : les Thomas abondent), il se rapproche du roi et, de financier, devient législateur. La reine Catherine, bientôt évincée, peut dire : « Jusqu’à présent maître Cromwell avait un don pour prêter de l’argent, mais il s’est également découvert un don pour la législation ». Elle aura tout loisir de le vérifier quand Cromwell sera un des artisans de l’annulation de son mariage avec le roi Henri. Rome refuse cette annulation ? Que nous importe Rome ! Le roi devient le chef de l’Eglise anglaise et peut épouser la capricieuse et ambitieuse Anne Boleyn. A quoi tient une réforme – pardon, une Réforme !
Dans l’ombre des Tudors est un livre d’une exceptionnelle densité à travers lequel Cromwell franchit allègrement le quasi demi-millénaire qui nous sépare de lui. Il s’invite dans nos têtes, il y pense, il manœuvre sur le terrain politique sans oublier ce qui fait la valeur d’un homme (son humanité), il conseille, puisque c’est son rôle, en gardant à l’esprit le bien de son pays. S’il se trompe, c’est de bonne foi.
La suite, Le Conseiller 2. Le pouvoir, a été traduite récemment. C'est encore mieux. Du coup, on espère beaucoup du troisième et dernier volume, à paraître quand Hilary Mantel aura fini de l'écrire.

1 commentaire:

  1. Suite à ton billet, j’ai fait quelques recherches et Hillary Mantel nous promet une suite pour dans… une dizaine d’années ! Moi qui ai adoré le tome 2 et biens d’acheter le un, je ne m’en remets pas.

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