vendredi 4 juillet 2014

Quand un Haïtien découvre Montréal

Dany Laferrière a pris goût aux vers libres et reprend pour Chronique de la dérive douce une forme déjà adoptée dans L’énigme du retour. De retour, il en est question aussi, mais dans le passé, du côté de 1976. Nadia Comaneci est sur tous les écrans et Dany Laferrière, pas encore écrivain, débarque en exilé là même où la petite gymnaste roumaine engrange des médailles d’or. Montréal, donc. Pour un roman, certes, mais très proche de la vie de son auteur, comme celui-ci le confirme en s’expliquant d’abord sur le choix de la forme.
C’est un jeune homme qui arrive, empli de poésie. Et c’est par la poésie qu’il capte l’essentiel. C’est une déambulation, nez au vent.
Ce jeune homme est-il Dany Laferrière ?
Il est beaucoup moi. C’est une fiction littéraire, mais construite fondamentalement à partir de moi, comme si j’étais un matériau de travail. Ce n’est pas moi pour parler de moi, c’est moi pour modèle, comme quand un sculpteur travaille à partir d’un modèle et veut montrer autre chose.
Pourquoi avoir attendu si longtemps pour écrire ce livre ?
En fait, il était déjà paru au Canada en 1994, et je l’ai réécrit. Je pense qu’après L’énigme du retour, il fallait montrer l’autre face pour permettre au lecteur de mesurer le temps. C’est une des fonctions de la littérature : faire sentir le temps.
Est-il aussi l’autre face de Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer ?
Tout à fait. C’est une clé. Dans Comment faire l’amour, le narrateur parlait surtout du monde anglo-saxon, probablement pour parler du colonialisme puisque le discours du Québec francophone était un discours de colonisé. Je ne pouvais pas l’endosser, parce que cela aurait été d’un humilié à un autre. Ici, il s’agit de la version vraie, les personnages ont leurs noms réels et on découvre que les jeunes filles étaient francophones. A l’époque, je voulais être un écrivain nord-américain et élargir l’espace, mais dans la langue française.
Les quatre saisons rythment le récit. Pourquoi ce choix ?
C’est très frappant pour quelqu’un qui arrive dans un pays du nord. D’abord, il découvre qu’il y a quatre saisons. Ensuite, l’obsession des habitants pour ces saisons, leur place dans les conversations. L’hiver qui pourrait revenir, l’été dont on déplore la brièveté, l’automne et ses couleurs… Je n’ai jamais entendu autant parler de dictature à Haïti que des saisons à Montréal. Donc, si on veut faire un portrait du Québec comme je l’ai tenté, il faut passer par les saisons.
Le texte est truffé d’images qui envahissent l’espace mental…
Les gens du sud sont visuels. A Haïti, particulièrement, ils sont peintres. L’œil est plus important que l’oreille. Ce que j’ai ressenti passe par des descriptions, c’est-à-dire des mots avec lesquels je transmets mes émotions au lecteur, pour lui faire comprendre, même s’il n’est pas moi, ce qu’était un moment donné, ce que j’ai vu.
Le personnage de l’Indien est proche du narrateur, tout en étant différent. L’Indien vit pour l’alcool et le narrateur, pour les femmes. Ce sont deux façons de voir le même monde ?
D’abord, j’aime beaucoup travailler sur les clichés. Il est rare qu’ils soient complètement faux, mais ils sont surtout très réducteurs. Par ailleurs, ces deux personnages représentent l’Amérique. L’un y était avant tout le monde, l’autre est arrivé en dernier et vient, en quelque sorte, remplacer le premier.

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