vendredi 29 août 2014

Coetzee, l'homme et l'enfant en pays inconnu

Dix ans après son Nobel, J.M. Coetzee est en forme. Il le prouve à la manière d’un écrivain, avec un roman. Loin de l’Afrique du Sud, celui-ci. Loin de tout, puisqu’il se déroule dans un pays imaginaire. Les noms de lieux ne ressemblent à rien de connu, la langue véhiculaire est l’espagnol et, surtout, ceux qui y vivent sont des immigrés censés avoir gommé leur passé pour repartir dans une nouvelle vie : il s’agit de s’intégrer. Quant au Jésus du titre, il n’en est nulle part question dans le texte. Curieux, non ? A moins d’y voir, plutôt qu’une allusion à des racines religieuses, une allégorie sur laquelle l’écrivain pose une grille de lecture en forme de titre (Une enfance de Jésus) qui fournit, en arrière-plan, un point de repère dans un univers où nous pourrions nous égarer.
Ce pays présente d’autres caractéristiques inhabituelles. Il propose aux arrivants, au camp de Belstar, des cours d’espagnol, langue que la plupart ne parlaient pas. Belstar, c’est l’exact opposé d’un centre de rétention par lequel les étrangers passent avant d’être expulsés. Ici, leur statut transitoire est destiné à les aider, après quoi on leur offre un logement – malgré quelques difficultés administratives qui ne semblent pas avoir été sciemment instaurées pour les décourager, et qui sont plutôt la conséquence des faiblesses humaines. On les oriente vers un travail, ils reçoivent une aide financière, réduite mais suffisante pour survivre…
Simón suit ce parcours et devient docker. La tâche est rude, mal payée mais il découvre une fraternité d’hommes qui lui permettent d’apprivoiser son environnement. Ces travailleurs de force sont plus intéressés par les cours de philosophie dispensés à l’Institut ouvert à tous que par les femmes disponibles au Salón et dans quelques autres endroits du même genre. Ils sont appliqués à progresser, à devenir meilleurs, à maîtriser les subtilités de raisonnements complexes… Simón a sa propre manière de penser, en partie déterminée par la responsabilité qu’il s’est donnée lors du voyage qui le menait vers ce pays : il a en quelque sorte adopté un petit garçon, David, et a décidé de retrouver sa mère qui devrait se trouver quelque part. Où exactement et sous quel nom, il n’en sait pas davantage que l’enfant.
Mais il annonce un jour qu’il a trouvé la mère : une jeune femme qui joue au tennis avec ses frères. Elle pourrait être n’importe qui, elle est séduite par l’idée de devenir mère sans avoir eu à enfanter, à moins que cela lui soit arrivé dans une autre vie, et prend son nouveau rôle au sérieux, jusqu’à écarter de David non seulement l’ami de son âge qu’il s’était fait mais aussi Simón lui-même. Quelque chose cloche, qu’il faudra résoudre, avec l’aide involontaire d’un service social qui veut placer David dans une école pour élèves réfractaires aux méthodes traditionnelles d’enseignement.
La logique du roman épouse celle de ce monde imaginaire. Elle finit par proposer une sorte de mode d’emploi de la vie. C’est éblouissant.

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