jeudi 2 octobre 2014

Martin Amis, le voyou et le bon garçon

Martin Amis, né en 1949, n’a plus l’âge d’être appelé l’enfant terrible de la littérature britannique. Mais il rue encore dans les brancards et le prouve dans Lionel Asbo, l’état de l’Angleterre où le personnage du titre, s’il ressemble à l’état dans lequel se trouve son pays, n’en donne pas un portrait flatteur. Il le prouve doublement avec un nouveau manuscrit qui est loin de faire l'unanimité et a même été refusé par quelques-uns de ses éditeurs traditionnels. Mais restons-en au roman qui est réédité au format de poche.
Lionel Asbo, 21 ans en 2006, est un voyou à l’état pur, une sorte de diamant noir posé à Diston pour rayonner sur une cité où règnent la violence, la crasse, la maladie, l’inceste – on en passe. Lionel Asbo est le coq sur ce tas de fumier. Sa morale personnelle lui impose d’être plus dur et plus méchant que tout le monde, d’avoir la paire de pitbulls les plus furieux. Et de se foutre de tout le reste. Sauf peut-être de son neveu Desmond Pepperdine, 15 ans, dont il s’occupe depuis que sa mère est morte. Lionel entend, évidemment, en faire un homme dans son genre. Un homme, quoi. Et pas une fiotte qui se réfugierait dans ses bras à la moindre contrariété. D’ailleurs, pour se réfugier dans des bras, Desmond peut aller voir sa Mamie, la mère de Lionel, 39 ans, presque déglinguée. Pas assez cependant pour ne pas être attirée par son petit-fils métis qui ne se contentera pas de câlins. La culpabilité de cette liaison interdite poursuivra Desmond jusqu’à la mort de sa grand-mère. Et pèsera sur la fin du roman comme la menace d’une condamnation qui devrait le rattraper, un jour ou l’autre.
Quant à suivre la voie tracée par son oncle, il n’en est pas question. Au moment, par exemple, de passer son permis de conduire, Desmond oublie consciencieusement tous les conseils de son oncle : « dépasser dès que tu peux, jamais s’arrêter aux passages piétons, passer systématiquement à l’orange ». Et réussit du premier coup. Ce sera sa ligne de conduite : « Lionel parlait ; Des écoutait et faisait le contraire. » Grâce à quoi il ne s’en sortira pas si mal, engagé comme journaliste pour s’occuper des faits divers. Une trahison aux yeux de son oncle, toujours fermement campé du mauvais côté de la ligne rouge avec les conséquences prévisibles : des séjours fréquents en prison.
Lors d’un de ces séjours, Lionel apprend qu’il a gagné une somme pharamineuse au loto. Sa vie change, bien sûr. Il entre dans le monde des riches, ce monde où « tout pèse. Parce que c’est construit pour durer. Longtemps… Alors que mon monde à moi, Diston, c’était… il est… il est léger ! Rien pèse ! Les gens meurent ! » La journaliste à qui il explique cela n’en retire qu’une impression : « les signes extérieurs de richesse, dans le cas d’Asbo, ne sont qu’un rappel constant de sa nullité. » La journaliste ne peut pas comprendre que Lionel n’a surtout pas voulu changer. A tel point que les tabloïds, relatant ses premières semaines de nouveau riche, égrènent encore des faits divers : bagarres et violences diverses restent son menu quotidien.
Desmond regarde tout cela avec circonspection mais il lui est impossible d’échapper totalement à son oncle. Et leurs trajectoires, aussi divergentes que possible, ne cessent de se croiser, plus souvent pour le pire que pour le meilleur.
Le treizième roman de Martin Amis reproduit souvent, dans sa structure, les errements de la pensée (?) de Lionel. Cela lui donne un air de sauvagerie qui lui va bien.

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