samedi 17 janvier 2015

Bernard Quiriny hors du monde

Nouvelliste ou romancier, Bernard Quiriny nous entraîne ailleurs, souvent dans d’habiles et rigoureuses constructions intellectuelles. Cette fois, Le village évanoui est une construction concrète, un village de mille habitants au centre de la France dont le romancier fait une description réaliste. Nous croiserons bon nombre de ceux qui y vivent, notamment par le biais d’une enquête dans laquelle ils sont invités à s’exprimer.
Mais le réalisme cède quand, à la stupéfaction générale, celle des habitants et la nôtre, le village se trouve, au matin du 15 septembre 2012, coupé du monde extérieur. Les voitures tombent en panne après cinq kilomètres, le réseau téléphonique est mort, Internet ne répond plus. Une aberration mentale provisoire ? Pas vraiment : l’isolement s’installe dans la durée pour un territoire de quinze kilomètres carrés devenu une île où l’on ignore ce qui se passe ailleurs. Pour autant que cet ailleurs existe encore – un seul signe semble attester que tout n’a pas disparu au-delà de la frontière invisible et infranchissable : l’électricité est toujours fournie, il faut donc bien qu’une centrale fonctionne quelque part.
La dimension philosophique du roman ne tarde pas à apparaître : l’enclavement soudain est-il un bien ou un mal ? Les avis divergent, tandis qu’ils se rassemblent sur la conséquence de cette loi : « la propension d’un territoire à la division est d’autant plus grande que le territoire est petit. » Verviers, un fermier, en est la preuve vivante : capable, sur son exploitation agricole, de vivre en autarcie, il décide de se soustraire à l’autorité locale, clôt ses terrains en y intégrant quelques surfaces voisines et invite ceux qui veulent se prendre en charge sous son autorité à rejoindre la sécession. Plus tard, il faudra faire venir des femmes pour assurer la reproduction, car il devient nécessaire d’envisager l’avenir à long terme. Bien entendu, la petite communauté est dépendante de la volonté de son chef. Une volonté solide, mais solitaire, ce qui laisse entrevoir une faille dans l’organisation future.
Bernard Quiriny creuse son sujet sans l’épuiser. Les conséquences de son postulat de départ conduisent en effet à des variations presque infinies, comme le montrent les commentaires des habitants sur une situation où les contraintes se sont multipliées. Valentin, 17 ans, ne peut plus écouter de nouveaux disques. Les déchets risquent de s’accumuler, constate Edmond, 56 ans, à moins qu’une gestion intelligente soit mise en place. Célestin, 30 ans, réécrit l’histoire de l’humanité aux dimensions de sa prison. Et si c’était une expérience ? se demande Martine, 40 ans…
Le romancier évite même de tourner en rond, ce qui n’est pas si facile dans un espace restreint ainsi que l’ont vite compris les amateurs de tourisme. Sa construction, soigneusement fermée sur elle-même, doit quand même offrir une possibilité d’ouverture pour ne pas s’écrouler sur elle-même. L’aventure est encore possible une fois le livre achevé.

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