lundi 5 janvier 2015

Donna Tartt, quatorze années dans la vie de Theo

Un tableau, à peine dévoilé par la couverture du livre sous une déchirure de papier, et deux explosions. Un des angles, pas le seul, sous lequel peut être envisagé Le chardonneret, troisième roman de la romancière américaine Donna Tartt, aussi ample, aussi touffu que les précédents. Comme eux, un plaisir de lecture long et intense.
Le tableau fournit le titre du roman. Il est l’œuvre de Carel Fabritius, peintre néerlandais du 17e siècle mort à Delft en 1654 lors de l’explosion de la poudrière de la ville. La deuxième explosion est un attentat de notre époque, un 10 avril à New York, au MoMa, alors que Theo et sa mère visitent une exposition dans laquelle se trouve le tableau de Fabritius. Quatorze ans plus tard, alors qu’il se trouve dans un hôtel d’Amsterdam et que Le chardonneret occupe toujours une place importante dans sa vie, Theo rêve de sa mère pour la première fois depuis longtemps, avec la culpabilité qu’il éprouve chaque fois qu’il pense à elle : il se croit responsable de sa mort ce jour-là, l’arrêt au musée s’étant produit sur le chemin du collège dont Theo venait d’être exclu temporairement.
Plutôt que le tableau, le premier que sa mère dit avoir aimé grâce à une reproduction trouvée dans un livre, Theo avait remarqué une fille qui visitait aussi l’exposition avec un vieil homme à cheveux blancs. Puis, alors qu’il était séparé de sa mère, « il y eut un éclair noir et des débris furent balayés vers moi puis tournoyèrent, après quoi le grondement d’un vent chaud me heurta de plein fouet et me projeta de l’autre côté de la salle. » Près de lui, quand Theo reprend conscience, le vieil homme semble lui désigner Le chardonneret, puis il lui donne une bague en expliquant où il devra l’apporter. Le garçon de treize ans, choqué mais entier, se trouve chargé d’une mission en même temps que d’un chef-d’œuvre qui n’a pas fini de l’éblouir. Ni de lui pourrir la vie.
Car, ne sachant que faire du petit tableau, légèrement plus grand qu’une feuille A4, et n’ayant surtout aucune envie de s’en séparer, il laisse passer trop de temps pour qu’il lui soit encore possible de le restituer sans d’embarrassantes explications. Theo a, en outre, des préoccupations immédiates : où va-t-il vivre ? Son père s’était déjà enfui, il n’a plus sa mère, il échoue dans la famille d’un ami de collège mais la situation ne peut être que provisoire.
On a beau s’attacher à Theo pendant quatorze ans, on est obligé de reconnaître qu’il gardera toujours un côté voyou. Moins cependant que Boris, devenu son meilleur ami et son complice de bêtises adolescentes à Las Vegas où Theo vit quelque temps chez son père qui s’est souvenu de l’existence d’un fils, imaginant simultanément qu’il pourrait payer ses dettes de jeu grâce à l’argent déposé sur un compte au nom de ce fils.
Les aventures s’enchevêtrent de manière inextricable, la bague du vieil homme ayant aussi permis à Theo de retrouver Pippa, la fille du Musée et de rencontrer son oncle Hobie, avec qui il travaillera, remontant sa boutique d’antiquités chancelante au prix de manœuvres très peu orthodoxes. N’essayons pas de résumer : le parcours d’ensemble est aussi excitant que sont touchants les moments sur lesquels s’attarde Donna Tartt.
Et cette belle réussite se conclut par une méditation désenchantée sur le sens de la vie, où tout serait sombre s’il n’y avait eu la lumière émanant du tableau.

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