dimanche 30 août 2015

Thomas Pynchon,le grand roman du début de siècle

Nous avons une bonne nouvelle : oubliez les antidépresseurs et toutes les autres substances plus ou moins légales absorbées pour se sentir mieux. Il y a beaucoup plus efficace et moins nocif : le roman de Thomas Pynchon, Fonds perdus En revanche, des phénomènes d’accoutumance risquent de se produire, et de conduire vers les autres livres de cet écrivain discret, qui n’apparaît pas en public pour faire la promotion de ses romans. Mais il n’y aurait qu’à s’en réjouir.
Car Pynchon est un génie, voilà, c’est dit. Rien à voir avec toute la cohorte d’écrivains prétentieux, souvent inspirés par sa manière, qui tentent de traduire le monde d’aujourd’hui dans des constructions alambiquées, tenant debout par l’effet d’un miracle provisoire  car, si on souffle dessus, ce n’est que châteaux de cartes. Un vieux fonds d’éducation nous interdit de citer des noms, la délation n’est pas le genre de la maison.
Fonds perdus se déroule à New York, du printemps 2001 au printemps 2002, entre deux éclosions florales des poiriers de Chine de l’Upper West Side, le quartier où habite Maxine avec ses deux fils, et parfois avec leur père. Maxine, inspectrice des fraudes, a perdu sa licence officielle pour avoir traité avec des hommes d’affaires peu scrupuleux. Elle a plongé avec eux mais conserve sa connaissance des flux financiers et l’utilise comme un privé spécialisé capable de repérer des anomalies dans une comptabilité. Elle a donc toujours la confiance d’un certain nombre d’hommes d’affaires qui lui confient des missions discrètes. Menées parfois à bien avec l’aide de spécialistes de spécialistes du Web Profond, des hackers avides de découvrir des pans d’Internet où personne ne va jamais. Sinon ceux qui s’en servent pour masquer des opérations douteuses.
Le décor est celui d’une ville qui a survécu au bug imaginaire de l’an 2000 mais qui ignore encore vers quoi elle se dirige : « les désastres à venir dans la Grosse Pomme, y compris le réchauffement climatique, mais pas uniquement. » En réalité, un certain nombre de signes auraient pu laisser prévoir le 11 septembre. Ce décor est précis : dans une soirée où de grands écrans passent des images en boucle, on aperçoit celles de l’entartage de Bill Gates en Belgique…
Un homme aussi riche qu’inquiétant est au centre des investigations de Maxine : Gabriel Ice, froid comme son nom, investit dans de nombreuses sociétés, misant en particulier sur les tuyaux qui conduiront l’information quand la bande passante du web sera devenue un important enjeu économique. Autour de lui gravitent, comme dans un système planétaire parfois animé de secousses, autant d’hommes de main que d’ingénieurs hyperdoués.
Quand la poussière des Twin Towers aura fini de retomber sur la ville, quelques vérités troublantes auront surgi de l’incroyable fouillis qui constitue le monde de la communication, de la politique et de l’argent. Vérités romanesques, certes, mais portées par une écriture survitaminée qui leur font toucher des cibles profondes chez le lecteur.
De cette écriture, il y aurait beaucoup à dire. Comment les majuscules y ont une fonction ironique, semblant même se moquer des écrivains qui les utilisent sans ironie. Comment, aussi, elle oblige le traducteur à des contorsions qui débouchent parfois sur de belles trouvailles : « unhackable » devient, en français, « inatthackable » ; ou le néologisme « Meufia », qui désigne le syndicat du crime des nanas WASP…
Fonds perdus est un grand, un très grand livre de notre temps. Et probablement au-delà.

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