lundi 5 octobre 2015

Le grand retour d’Hercule Poirot

Dans les années 1940, Agatha Christie avait prévu de tirer le rideau sur Hercule Poirot, son célèbre détective belge, son personnage fétiche, dans un dernier volume d’ailleurs intitulé, en version originale, CurtainHercule Poirot quitte la scène en traduction. Une sorte de testament dont la publication a été retardée jusqu’en 1975, quelques mois avant la mort de la romancière. Il aura fallu près de quarante ans pour qu’une autre écrivaine, Sophie Hannah, s’empare du brillant moustachu et de ses caractéristiques avec une enquête inédite, Meurtresen majuscules.
Hercule Poirot quitte la scène fermait la boucle à un double titre : Poirot y meurt au terme d’une dernière enquête située sur les lieux de la première, La mystérieuse affaire de Styles. La maison où séjourne le héros, avec son ami le capitaine Hastings, semble avoir gardé la mémoire du crime passé. D’où une atmosphère lugubre aggravée par la certitude de Poirot : un nouveau meurtre va être commis en cet endroit. Agatha Christie soigne les fausses pistes, balade Hastings sur celles-ci tandis que Poirot refuse de fournir les éléments en sa possession à un assistant devenu ses yeux et ses oreilles. Au contraire du détective, cloué dans un fauteuil roulant par l’arthrite, Hastings se déplace aisément. Mais Poirot ne lui fait pas confiance quand il s’agit de masquer ses sentiments. Et les petites cellules grises de son ami ne semblent pas travailler aussi bien que les siennes.
Sophie Hannah respecte les codes mis en place par Agatha Christie. Les petites cellules grises s’agitent, les légendaires moustaches sont en place, l’élégance aussi et Hercule Poirot tient à préciser ses origines belges – surtout quand on le croit Français. On ne touche pas à un monument, c’est à peine si on peut y glisser un détail qui passera inaperçu dans l’ensemble.
En 1929, alors que Poirot aspire à du repos, les habitudes qu’il a prises dans un café-restaurant où il goûte les talents d’observation d’une serveuse l’amènent à rencontrer une femme affolée. Jennie est traquée et se confie au détective de manière sibylline. L’enquêteur en devine assez pour comprendre qu’elle est vraiment en danger et que le triple meurtre de l’Hôtel Bloxham, découvert le même soir, est directement lié à l’histoire de Jennie.
Le narrateur n’est pas Hastings mais Catchpool, un enquêteur de Scotland Yard. Il est, lui aussi, le faire-valoir d’un personnage central qui aime faire remarquer sa supériorité intellectuelle : « apparemment en Belgique, l’autosatisfaction n’est pas jugée inconvenante », se dit Catchpool à un des nombreux moments où la suffisance de Poirot devient irritante.
Le succès international d’Hercule Poirot, que Sophie Hannah espère prolonger, n’est pas seulement dû à ses caractéristiques physiques et à ses tics psychologiques. Le soin avec lequel l’affaire est installée, avec ses facettes brillantes et trompeuses, avec sa vérité profondément enfouie, a fait de la série un modèle du roman policier à énigme. Pour résoudre le mystère de Meurtres en majuscules, il faudra passer par autant d’hypothèses qu’en élaborait la reine du crime.
Sophie Hannah, 43 ans, était loin de connaître la notoriété d’Agatha Christie. Mais, avant de prendre sa succession, elle n’était pas non plus une inconnue. Elle avait écrit pour les jeunes, publié de la poésie et signé une douzaine de romans publiés, pour certains d’entre eux, et selon son site personnel, dans 27 pays. Des thrillers, pour l’essentiel, dont trois ont été traduits en français chez Calmann-Lévy et réédités au Livre de poche : Pas de berceuse pour Fanny, La proie idéale et Les monstres de Sally.
Avant Sophie Hannah, la première à proposer une enquête inédite d’Hercule Poirot, Charles Osborne avait transformé en roman la seule pièce de théâtre mettant le détective en scène. Un travail d’adaptation – de « novélisation », comme on dit vilainement – très éloigné d’une création originale. Il fallait de l’audace pour oser se frotter à un personnage devenu un véritable mythe. La romancière affirme, on la croit volontiers, qu’elle a toujours été fan d’Agatha Christie – à qui elle dédie d’ailleurs Meurtres en majuscules. Il en fallait cependant un peu plus pour convaincre Mathew Prichard, petit-fils d’Agatha Christie, de donner une autorisation qu’il avait toujours refusée.
L’enthousiasme de Sophie Hannah et la trame qu’elle avait imaginée l’ont séduit. Peut-être aussi la perspective du passage dans le domaine public, certes encore lointain (Agatha Christie est morte en 1976), mais que la réapparition d’Hercule Poirot l’année dernière retardera, au moins pour le personnage du détective.

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