mercredi 17 février 2016

Charles Dantzig en voyage, sans exotisme

Charles Dantzig avait publié Il n’y a pas d’Indochine en 1995. Une grosse vingtaine de textes correspondant à des voyages, d’Amsterdam à Paris en passant par quelques endroits plus lointains comme Vancouver ou la Malaisie. Mais des voyages décalés où le déplacement s’accompagne d’un mouvement intérieur souvent dirigé vers la littérature, ce qui ne surprendra pas ses lecteurs plus tardifs. Avant de rééditer cet ouvrage, il l’a relu, y a ajouté quelques notes et un chapitre liminaire dans lequel quantité d’écrivains parlent de voyages, puis Charles Dantzig lui-même : « je crois que “Il n’y a pas d’Indochine” veut dire : “Il n’y a pas d’exotisme”. » Cela méritait de plus amples explications.
Vous considérez-vous comme un écrivain voyageur ?
Non, pas du tout. Les écrivains voyageurs font très souvent une chose que font tous les voyageurs quand ils nous montrent les diapositives de leurs voyages. Rien ne m’ennuie plus que cela, dont mon livre est le contraire. Quand je vais à Paris, je ne regarde pas la Tour Eiffel. Il y a des lieux qui sont devenus des clichés et il n’y a aucun intérêt à les montrer encore une fois. Je trouve qu’au contraire, il est intéressant, quand on est dans un endroit, à montrer ce qui est au fond leur vérité. Par exemple, dans mon chapitre sur New York, au lieu d’aller visiter l’Empire State Building ou la statue de la Liberté, je décris la parade en l’honneur de Nelson Mandela, parce que la vérité d’une ville est là aussi, et ce sont des choses qu’on ne nous montre jamais. Je montre les librairies de New York parce que personne ne vous en parle. Pourtant, une librairie à New York, c’est plus véridique, aussi paradoxal que cela puisse paraître, que l’Empire State Building, parce qu’aucun New-yorkais ne va visiter l’Empire State Building. C’est pour les touristes. Les New-yorkais vont dans les librairies.
Dans ce chapitre, vous utilisez la liste à propos de la parade. C’est une des formes auxquelles vous reviendrez plus tard…
En effet, ce livre contient déjà tous mes autres livres. Il m’a permis de constater qu’à la longue, je compose ce qu’on peut appeler une œuvre. Une œuvre, ça ne se remarque pas tellement aux idées qu’on a, parce que les idées peuvent changer, mais à la façon qu’on a de dire les choses. Effectivement, je faisais déjà des listes parce que je pense qu’il existe non seulement une poésie des listes mais que la liste permet de faire cracher la vérité aux choses, parfois. J’ai découvert aussi, par exemple, la forme des chapitres : je mets des grands blancs à l’intérieur des chapitres. Cela m’est nécessaire parce que c’est une respiration et aussi une forme de politesse vis-à-vis du lecteur. Parfois, j’écris des paragraphes qui peuvent être assez denses, il faut laisser au lecteur le temps de respirer et de penser. Les blancs, c’est l’espace où le lecteur se met, là où il peut, avec son stylo, prendre des notes, contester, approuver… Mon lecteur est dans mes livres aussi.
Si on appelle écrivain, comme vous, « quelqu’un qui écrit pour quelque chose de plus haut que lui », est-ce que vous vous sentez écrivain ?
Je vais le dire très immodestement : oui. Je ne dis pas que je le réussis, mais je dis que je l’essaie. Et l’essayer, c’est déjà bien. Il y a des auteurs qui se contentent d’écrire… on ne sait pas bien pourquoi, d’ailleurs, pour raconter une histoire, parce qu’ils en ont l’habitude, parce qu’ils ont déjà publié un livre alors ils en publient deux et se contentent de raconter leur « moi ». Dans ce livre, je parle de moi mais seulement à titre d’exemple, par honnêteté intellectuelle : voilà qui vous parle. Quand il m’arrive de parler de moi, c’est parce que je lis un grand écrivain, que je regarde une grande œuvre d’art et que j’essaie de m’intéresser à quelque chose qui peut m’améliorer.
Le plus souvent, vous lisez des livres sans rapport avec votre destination…
A la fin, j’en ai fait une règle, pour la liberté du regard. Si on va à Moscou et qu’on lit Guerre et paix, on a le regard orienté par la vision que Tolstoï a de la Russie. Mon principe est que je vais à Moscou et que je lis un roman chinois parce que mon imagination, quand elle est dans le roman chinois, est libre de voir ce qu’elle veut de la ville de Moscou.

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