dimanche 27 mars 2016

Jim Harrison, souvenir d'un homme des bois

En 1997, au départ de la gare de Montparnasse à Paris, j'attendais, comme beaucoup, le train qui devait nous emmener au Festival Etonnants Voyageurs à Saint-Malo. Dans cette gare, à une table de bar, nous étions deux ou trois à prendre un café. Parmi ceux qui se trouvaient là, il y avait Jim Harrison, dont on vient d’apprendre la mort à 78 ans. La veille, il avait dîné avec Francis Ford Coppola et Robert De Niro, me disait-il, et pourquoi ne l’aurais-je pas cru ? Il était en tout cas pareil à l’image qui est la sienne, à la fois bourru et aimable, une sorte d’homme des bois égaré en ville – mais on sait que de l'imagination de cet homme des bois étaient sortis quelques-uns des romans américains les plus passionnants des dernières décennies.
En guise de bref salut, retour sur quelques ouvrages, au hasard de lectures et de chroniques dans une œuvre abondante.

Julip
Au tout début d’un mariage passablement alcoolisé, ses parents la nommèrent Julip, un mélange de fleur et de cocktail du Sud. Reste à savoir si elle est plutôt fleur ou plutôt cocktail. On a cent pages pour le découvrir dans la première des trois nouvelles, avant « L’homme aux deux cents grammes » (deux cents grammes de quoi ?) et « Le Dolorosa beige ». Ce sont de brefs romans noirs plutôt que des nouvelles, en fait, dans lesquels Jim Harrison fait mousser ses personnages et les détails qui les accompagnent, avec ce tour de main qui n’appartient qu’à lui. Ecrivain-culte comme John Fante ou Raymond Carver, Jim Harrison possède cette facilité apparente propre à ces écrivains américains auxquels rien ne semble impossible. Il y a une sorte de magie qui fascine d’emblée et fonctionne jusqu’au bout de ses textes.

De Marquette à Veracruz
Trois décennies, est-ce assez pour construire un homme ? David Burkett se le demande, même s’il sait qu’il s’en est sorti. Sorti de sa famille devenue trop riche en exploitant la terre et les ouvriers. Sorti des péchés de son père, des tourments de sa mère, de ses propres frustrations… Formidable initiation prolongée, le roman grouille de personnages fascinants. Jim Harrison s’offre un casting parfait, tout droit sorti de son imagination – et peu coûteux. Il ne masque pas sa préférence pour les femmes, qui sont ici exceptionnelles (même la mère de David le deviendra). On pense comme lui. Bien obligé, il ne laisse pas le choix. Les femmes, dont certaines très jeunes, donnent l’élan au livre et à son héros plein de questions.

Aventures d’un gourmand vagabond
Jim Harrison boit du gigondas dans des verres de 33 centilitres. Il préconise, dans les dîners officiels, un magnum de vin par convive. C’était, il est vrai, dans l’euphorie de l’élection de Bill Clinton à la présidence. Si cette pratique avait été adoptée, on ne se demanderait plus si certains chefs d’Etat arrivent ivres à une conférence de presse…
L’écrivain ne recule pas devant la boisson. Ni devant la nourriture. Les repas qu’il raconte sont pantagruéliques. Et fins. Le gourmand, comme il se définit lui-même, est aussi un gourmet. Pas de place ici pour le fast food. Mais une célébration quotidienne de la bonne chère, d’une nourriture saine et riche bien éloignée des régimes minceurs. Il note pourtant, en 1993, qu’il a perdu trois livres depuis 1970 et qu’il compte bien continuer à ce rythme, pas trop contraignant.
La gastronomie serait-elle pour lui une religion ? Bien mieux : un art de vivre au plus près du meilleur de ce que nous offre la nature. Dans une parfaite cohérence avec lui-même, Jim Harrison fait mijoter avec ses plats les autres aspects de l’existence. Et, bien qu’il s’en défende, ses chroniques gastronomiques fondent une sorte de philosophie.

Les jeux de la nuit
Pourquoi Jim Harrison cède-t-il à un fantastique de pacotille en déclinant paresseusement le thème du loup-garou dans la troisième nouvelle ? Les deux autres sont bien plus fortes. La fille du fermier, en particulier, la première, où Sarah, blessée à jamais par le quasi viol qu’elle a subi, décide de se venger et organise la traque. Pour en arriver à se reconstruire presque malgré elle, grâce à la haine et à la force intérieure qui l’animent.

Grand Maître
La retraite ne suffit pas à Sunderson pour renoncer à traquer le gourou d’une secte sur qui pèsent de forts soupçons de pédophilie. Il en fait une affaire personnelle. Ainsi que, surtout, un prétexte à mettre de l’ordre dans sa propre vie : tenter de résister à l’appel du sexe et de l’alcool, retrouver la sérénité d’un bord de rivière, marcher, pêcher, accepter son âge. Un hymne à la nature et à l’humanité, dans certaines limites pour celle-ci.


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