mardi 12 avril 2016

Le roman féministe de Henning Mankell

On oublie parfois que Henning Mankell n’est pas devenu auteur de fiction dans les années 1990 avec la série des enquêtes de Kurt Wallander. Daisy Sisters, qui vient de paraître en français, a été publié dès 1982 en Suède et il s’agissait déjà de son cinquième roman au moins (plusieurs restent à traduire). Nous sommes en 1941, puis en 1956, 1960, 1972, 1981. Le temps fait des bonds pour les deux personnages principaux et ceux qui les accompagnent au fil des années.
Elles sont deux jeunes filles, qui ont sympathisé par écrit avant de renforcer leur amitié en se rencontrant. Vivi et Elna, en 1941, se sont rebaptisées les Daisy Sisters et sont aussi curieuses qu’on peut l’être à 17 ans. C’est la guerre, elles ne l’ignorent pas, mais elles n’en voient rien. Alors, elles partent en vélo vers la frontière, où elles se heurtent à un garde-frontière de la Défense suédoise. La rencontre a quelque chose d’exaltant, il s’y mêle de l’inquiétude. Le lecteur sait pourquoi, le romancier l’a prévenu : « C’est l’été – ça au moins c’est sûr – et Elna sera violée. Ou presque. » Le « presque » est surtout dans sa tête : une manière de nier ce qui est arrivé. L’oubli volontaire se révèle d’une efficacité limitée : Eivor, sa fille, naît neuf mois plus tard.
Très vite, donc, une deuxième génération s’inscrit dans les quatre décennies où Mankell raconte l’histoire des femmes, de leur condition, de la manière dont elles s’en sortent, ou non, dans une société suédoise certes « avancée » mais où leur place n’est pas toujours clairement définie. Daisy Sisters est un roman féministe qui accompagne les difficultés d’une évolution dont personne n’a programmé les étapes. D’où ces sauts dans le temps, utiles pour découper en tranches inégales la ligne hésitante du progrès, avec ses moments de recul.
Si l’on suit surtout Elna, son amitié avec Vivi sert de point de comparaison entre deux caractères assez différents. Dès leur première rencontre, Elna a compris que Vivi était beaucoup plus audacieuse qu’elle. D’où, plus tard, une surprise mêlée de déception quand Vivi se mariera, au mépris semble-t-il de tous ses principes, avec comme conséquence une existence plus confortable.
Daisy Sisters n’est cependant pas un roman à thèse. Ses valeurs fondamentales reposent moins sur les principes qui le sous-tendent que sur les personnages qui en sont les expérimentatrices involontaires. Leur enthousiasme, leurs victoires et leurs défaites sont un matériau vivant, vibrant, grâce auquel on s’attache à tous les détails de leur biographie imaginaire.

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