mardi 31 mai 2016

Les chroniques de San Francisco

Anna Madrigal était présente dès les débuts des Chroniques de San Francisco. Armistead Maupin les avait commencées sous forme d’une suite de brefs récits mettant en scène une communauté de personnages, assez pour fournir la matière de six volumes parus de 1978 à 1989 dans leur version originale. Cette série s’est imposée petit à petit comme une œuvre-culte où le milieu gay de San Francisco y faisait, avant l’époque du sida, l’objet d’infinies variations. On pensait rencontrer une série de clichés, on se retrouvait devant un détournement de ragots colorés qui débordent d’ailleurs largement du seul monde homosexuel. Qui plus est, en fait de chroniques, et alors qu’au début un personnage en introduisait un autre jusqu’à ce qu’on connaisse tout le monde, un récit s’est mis en place, ancré dans l’actualité du début des années 80 et poursuivi jusqu’à devenir une véritable aventure humaine. Les personnages, un peu déjantés, étaient attachants dans leur quête d’authenticité qui les faisait passer par des existences peu banales. Bref, on marchait à fond et on en redemandait.
Armistead Maupin l’a compris et y est revenu en 2007 pour creuser davantage, avec la structure de romans, quelques destins : Michael Tolliver est vivant, puis Mary Ann en automne et, à présent, Anna Madrigal. Elle a plus de quatre-vingt-dix ans, il nous reste des épisodes de sa vie à découvrir et elle voudrait elle-même expier une faute commise dans sa jeunesse.
A cette époque, elle s’appelait Andy et était un garçon. Sa mère était la patronne d’un bordel fréquenté par toute la ville. Même par le père de Lasko, celui-ci représentant pour Andy l’idéal amoureux. Mais, se sentant plus fille que garçon, Andy ne voit pas l’intérêt d’échanger des plaisirs masturbatoires avec un Lasko qui s’y prêterait volontiers, sans s’avouer pour autant un penchant homosexuel : cela ferait de lui la honte de la famille. Les conséquences de ces ambiguïtés non assumées seront dramatiques, et pèsent encore sur Anna Madrigal dans ses vieux jours. A tel point qu’elles sont à l’origine de son nom. Celui-ci n’étant donc pas (seulement) l’anagramme de « A man and a girl ».
Armistead Maupin continue donc, dans les prolongements des chroniques, à décrire des modes de vie qui n’ont pas toujours été acceptés par la société. Michael et Ben, son mari plus jeune que lui, Shawna qui se trouve avec eux dans un festival Burning Man de toutes les folies, vivent dans un microcosme où toutes les sexualités trouvent leur place. Presque plus facilement aux yeux des autres que dans chaque existence personnelle, d’ailleurs. On n’imagine plus quels efforts il a fallu pour y parvenir et, en remontant vers le passé d’Anna Madrigal, le romancier le rappelle. Au Burning Man, auquel elle finit par participer aussi, Anna est une héroïne, la pionnière de la cause transgenre. On ne peut s’empêcher de penser que c’est mieux ainsi et d’admirer chez Maupin un militantisme qui débouche sur la tolérance.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire