lundi 30 mai 2016

Marcel Conche, philosophe buissonnier

Marcel Conche m'impressionne. Il a su très tôt, raconte-t-il dans Epicure en Corrèze, qu'il serait philosophe. A un âge où il ne savait rien de la philosophie, sa voie était donc déjà tracée. Je ne suis pas seulement impressionné, je suis aussi un peu envieux. Je ne sais toujours pas ce qu'est la philosophie, elle me paraît être un terrain obscur sur lequel je n'ose m'aventurer, faute d'éclairage. Personne ne m'a donné la clé, je ne l'ai pas trouvée tout seul, peut-être bien par paresse, et malgré quelques velléités de lectures sauvages, à un âge où je me croyais capable de maîtriser toutes les disciplines de l'esprit. Peut-être étais-je d'ailleurs capable d'en maîtriser beaucoup, à défaut de toutes, et est-ce seulement la paresse qui... Bref, je ne suis toujours philosophe que de comptoir.
Pourtant, cette semaine, piochant dans les nouveautés annoncées au format de poche, c'est vers Marcel Conche que je me suis tourné, et non vers une romancière ou un romancier. Ceux-ci me donnent, vous donnent aussi, je suppose, l'occasion d'aborder souvent, serait-ce que par la bande, des questions philosophiques. Donc, pour une fois, me dis-je, allons-y de manière plus frontale. Je n'ai pas eu tort de tenter l'expérience, j'ai trouvé dans Epicure en Corrèze une approche dont le côté presque sauvage me parlait. Je me suis retrouvé dans son goût du désordre. Ce qui me donne envie de citer quelques lignes. Qui sait? Cela vous parlera peut-être aussi.
Selon Épicure, un hasard fondamental se trouve à l’origine de toute chose. Et je crois qu’il a raison : le fond éternel de la Nature est un désordre fondamental. Comme le désordre, ou le hasard, produit ce tout de la Nature, toutes les combinaisons possibles, il est inévitable qu’à un moment donné apparaisse une combinaison ordonnée. Le désordre produit l’ordre parce que l’ordre n’est qu’un cas particulier du désordre. Par exemple, si je mets dans une urne toutes les lettres qui correspondent à la phrase « Napoléon est mort à Sainte-Hélène le 5 mai 1821 » et si je retire de l’urne les lettres une à une, il est inévitable qu’elles finissent par former cette phrase. Il suffit d’attendre assez longtemps… Très longtemps. Il faut être patient avec le désordre. Les épicuriens présupposant un espace et un temps infinis, la Nature dispose d’un temps infini. C’est ainsi qu’elle est créatrice : de ce désordre fondamental naît continuellement l’ordre du monde. J’aime dire que la Nature est le poète premier. Tout ce que je vois, ces arbres, ces fleurs, cette beauté, égale les beaux vers d’un poète. C’est pourquoi, contrairement à ce que pensent ceux qui croient en la Providence, on ne peut pas préjuger de ce que la Nature est capable de produire.

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