dimanche 14 août 2016

Un souvenir de Françoise Mallet-Joris

On a appris hier la mort, à 86 ans, de Françoise Mallet-Joris. Le première fois que je l'ai rencontrée, il y a une quarantaine d'années, elle vivait à Paris. La dernière fois, elle était installée à Bruxelles. Entre les deux (et avant, et après), elle a eu une vie pleine et une carrière littéraire éblouissante. Bref rappel, avec un portrait publié en 1997, à l'occasion de la sortie d'un roman, La maison dont le chien est fou.

Françoise Mallet-Joris avait de qui tenir : Suzanne Lilar, sa mère, a été un des grands écrivains belges. C’est donc tout naturellement que, très jeune, elle a commencé à jeter des mots sur le papier. Et pas pour tenir un journal, comme on aurait pu l’attendre d’une pré-adolescente : « A onze, douze ans, pendant la guerre, j’écrivais beaucoup de poèmes, des petits romans d’actualité – sur les difficultés du ravitaillement, par exemple – ou d’imagination, sous l’influence de Jules Verne. Il y avait des scaphandriers dans mes romans ! »
Elle n’avait pas seize ans quand elle a publié son premier livre, Poèmes du dimanche, appuyée par un des écrivains qui fréquentaient la maison familiale. « Je ne sais plus si c’était Crommelynck, Bernanos, qui était un assez bon ami de mon père, ou quelqu’un d’autre… »
Mais la vie ne pouvait se limiter à quelques poèmes publiés. A la fin de ses études secondaires, Françoise Mallet-Joris part à Philadelphie pour un an, envoyée là-bas par ses parents. Ceux-ci n’imaginaient pas tout ce qui allait arriver en peu de temps. A Philadelphie, la jeune fille tombe amoureuse et se marie… pour quelques jours. (Elle le fera deux fois encore par la suite, pour des durées croissantes.) Le goût de l’écriture ne l’a pas quitté entre-temps : loin d’Anvers, elle ébauche ce qui deviendra son premier roman publié, Le rempart des béguines. Un livre qui n’aurait peut-être pas pu naître sur place, dans une ville dont cette description aurait pu être mal reçue.
De retour en Europe, à Paris, Mallet-Joris termine son roman et le donne à lire chez quelques éditeurs. Elle ne connaissait rien des habitudes en la matière. « J’étais tellement enfant », dit-elle même, « que je croyais que Sartre était un patron de boîte de nuit. » Comme cela arrivera quatre ans plus tard à Françoise Sagan, Julliard est le premier éditeur à répondre – positivement. Comme cette maison était proche de Gallimard où le manuscrit se trouvait aussi, le jeune auteur ne trouve rien de mieux à faire que d’aller y annoncer la nouvelle. « Je ne me rendais pas compte : j’avais seulement l’intention de les prévenir, mais ma démarche leur a fait croire que je me moquais d’eux. » Cela n’empêchera pas, beaucoup plus tard, la célèbre collection Blanche d’accueillir deux autres romans de Mallet-Joris (Le clin d’œil de l’ange et Le rire de Laura).
Françoise Mallet-Joris allait de surprise en surprise : « L’idée qu’on me paie pour écrire, qu’on me donne une avance pour le roman, était pour moi tout à fait nouvelle. » En outre, « Le rempart des béguines » fut bien reçu, s’est plutôt bien vendu et amorçait une prestigieuse carrière, ouverte – pense-t-elle – à une époque plus favorable que la nôtre. « C’est beaucoup plus difficile aujourd’hui pour un auteur débutant. Quand j’ai publié mon premier roman, les gens étaient avides de lecture, de découvrir de jeunes auteurs. La télévision n’occupait pas la place qu’elle occupe maintenant… »
Toujours attentifs, ses parents la mirent en garde contre ce succès précoce. Françoise Mallet-Joris elle-même se demandait si elle allait continuer à vendre ses livres, se mit à lire des manuscrits pour Julliard et reprit même des cours de littérature comparée à la Sorbonne. Très vite, cependant, l’attrait exercé par ses romans sur un large public allait se confirmer, ce qui lui permit de se consacrer entièrement à l’écriture. Mais toujours avec la crainte de l’échec. « Ce doit être mon vingt-cinquième ou vingt-sixième livre, et chaque fois j’en suis malade. » Heureusement, les choses arrivent plutôt dans l’autre sens : quand elle a apporté, chez Grasset, le manuscrit de La maison de papier, on lui a fait comprendre que cela n’intéresserait personne. Résultat : cinq cent mille exemplaires vendus en édition originale !
Auparavant, elle avait reçu le prix des Libraires en 1957 pour Les mensonges, le prix Femina en 1958 pour L’Empire céleste, le prix de Monaco en 1965 pour Marie Mancini… Membre du jury du prix Femina de 1969 à 1971, elle ne quitta celui-ci que pour entrer à l’académie Goncourt. Elle a aussi été élue à l’Académie royale belge de langue et de littérature françaises, au siège de sa mère. Cette succession n’était possible que si Françoise Mallet-Joris retrouvait la nationalité belge (sans quoi elle aurait été élue à un autre siège, au titre de membre étranger puisqu’elle était Française). Elle accomplit donc les démarches nécessaires – et elle retrouve même de plus en plus souvent Bruxelles, avec un plaisir qu’elle ne dissimule pas.
Ces prix, ces titres pourraient laisser croire à une présence assidue dans les milieux littéraires. En fait, il n’en est rien : « Entre dix-huit et trente ans, j’ai eu quatre enfants vivants et plusieurs accidents. J’étais tout le temps enceinte ! J’ai aussi écrit quatre ou cinq livres comme nègre. J’avais une vie pleine, animée, mais très peu dans le milieu littéraire. En outre, je n’ai jamais aimé sortir le soir. Je n’étais pas, comme maintenant, avide de solitude, mais je vivais dans un cercle restreint. »
Grâce à cette vie, sans doute, Françoise Mallet-Joris n’a jamais cessé d’écrire. Grâce aussi à son imagination : « Je n’ai jamais manqué d’idées, de sujets. » Quant au succès qui l’accompagne, il s’explique plus difficilement – c’est toujours en partie un mystère –, mais quelques-unes des idées de l’écrivain sur la littérature contribuent à le comprendre : « Je me dis souvent qu’il y a tant de livres ennuyeux ! J’ai lu des milliers de romans policiers, mais je ne pourrais pas en écrire un. Alors, cette fois-ci, je me suis lancée dans une enquête à l’envers, pour prouver l’innocence de quelqu’un plutôt que sa culpabilité. C’est beaucoup plus difficile ! »
Pour La maison dont le chien est fou, Françoise Mallet-Joris a adopté une technique à laquelle elle est fidèle depuis longtemps : elle l’a écrit trois ou quatre fois, réfléchissant longuement à la construction, montant et démontant les chapitres pour leur donner le meilleur ordonnancement possible. « S’il y avait un autre art que j’aimerais pratiquer, ce serait l’architecture. Quand on déplace un volume, tout prend d’autres proportions. C’est la même chose dans la structure d’un roman. »


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