jeudi 22 septembre 2016

Romain Slocombe et la face sombre des années trente

Le parcours de Romain Slocombe explique en partie la difficulté à le situer clairement dans le paysage : il a été dessinateur et l’érotisme japonais est une de ses spécialités. Mais il s’est imposé par des romans souvent noirs et profondément ancrés dans le réel. Monsieur le Commandant, paru en 2011, a reçu plusieurs prix littéraires : Prix Nice-Baie des Anges, Prix Jean d’Heurs, Prix Calibre 47 et Trophée 813. Quant à Avis à mon exécuteur, paru il y a deux ans en édition originale, il impressionne à plusieurs titres.
D’abord par les informations qu’il contient. La bibliographie en témoigne (même si le romancier n’a pas lu intégralement tous les livres cités, reconnaît-il volontiers) : Romain Slocombe a exploré en profondeur les années trente, côté soviétique, et leurs implications sur la politique mondiale, en particulier la Guerre d’Espagne.
Ensuite par la manière dont il coule cette information dans un récit attribué à un ancien général de l’Armée rouge, Victor Krebnisky, dont la personnalité et la connaissance des réseaux souterrains font un témoin pertinent, bien qu’imaginaire, de cette époque.
Cela donne un livre qui dévoile la part sombre du pouvoir : duplicité, calcul, mépris de la vie humaine. Rien de très réjouissant si on rapporte cette époque à la nôtre, ce qu’il est peut-être néanmoins nécessaire de faire…
Avez-vous conscience du désespoir que peut engendrer votre livre ?
Je n’aime pas trop faire des romans pour faire croire que tout est joli. Quand on s’intéresse à l’Histoire, on s’aperçoit que tout est un peu mensonge. J’essaie de déterrer la vérité. Quand on parle de politique, d’Histoire, de guerre, d’espionnage, une logique assez terrifiante se met en place et on peut difficilement y échapper.
Vous parlez de mensonge. Le titre du récit de votre personnage principal s’intitule d’ailleurs Le grand mensonge. C’est le fondement de tout ?
C’est un énorme mensonge, avec beaucoup de petits mensonges dedans.
Le grand mensonge en question est-il l’appartenance de Staline aux hommes du tsar avant la Révolution ?
Evidemment, il y a une ironie à penser que le Petit Père des peuples était un simple mouchard de la police à ses débuts. Mais, au-delà de ça, il y a le symbole du grand mensonge des lendemains qui chantent. Le fascisme est basé sur la brutalité, le pouvoir, le droit clairement affiché des peuples forts à opprimer les peuples faibles, avec le racisme, l’antisémitisme, etc. Tandis que le communisme se présente comme la libération de l’humanité et justifie, par ce but, les pires crimes.
Tous les faits rapportés par votre narrateur, Victor Krebnisky, sont-ils réels ?
Certains ne sont pas prouvés. L’appartenance de Staline à la police tsariste n’est pas historiquement prouvée, par exemple. Mais il a fait tout ce qu’il fallait pour le cacher et il y a des indices. J’ai suffisamment de sources pour être persuadé que c’est vrai. D’autres choses sont avérées mais peu connues. Par exemple le fait que Staline a fait venir tout l’or de la banque d’Etat espagnole, qu’il a vraiment volé. Ce gigantesque hold-up est un fait historique qui n’apparaît pas dans les livres. Beaucoup d’exécutions, comme celle du fils de Trotsky empoisonné à l’occasion d’une opération de l’appendicite, ne peuvent pas être prouvées…
Cette période reste très présente dans la littérature d’aujourd’hui. Est-ce parce qu’elle existe toujours en nous, d’une certaine manière, ou par volonté de ne pas l’oublier ?

En ce qui me concerne, c’est une volonté de remettre les pendules à l’heure. Ça m’énerve quand je vois des documentaires qui expédient le pacte germano-soviétique en quelques mots, comme s’il avait surgi tout à coup. Walter Krivitsky, qui m’a servi de modèle, m’a révélé que Staline, depuis la fin de 1936, faisait des manœuvres d’approche, au début refusées par Hitler, pour s’allier avec lui. Cela n’apparaît pas, habituellement.

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