dimanche 27 novembre 2016

Steve Tesich, l’été de toutes les découvertes

Steve Tesich a plus d’un point commun avec un autre écrivain américain, John Irving. L’un est anecdotique : tous deux ont pratiqué la lutte. Un autre tient en partie au hasard qui régit la répartition des tâches dans le monde du cinéma : Steve Tesich a écrit le scénario du film réalisé d’après Le monde selon Garp, de John Irving. Le troisième est le plus significatif : les deux romanciers ont les moyens littéraires de nous transporter dans les vies de personnages auxquels ils prêtent parfois quelques-unes de leurs propres caractéristiques, en les transposant comme éléments d’un univers particulièrement riche.
Steve Tesich est mort en 1996, il avait 53 ans et le roman avec lequel les lecteurs francophones l’ont découvert il y a quatre ans était alors inédit. Karoo a été publié deux ans après son décès, la traduction a attendu une décennie et demie avant de nous arriver et voici Price, avec un délai encore plus long, son autre roman, le premier, sorti aux Etats-Unis en 1982. L’histoire de Daniel Price, un adolescent qui passe à l’âge adulte en se posant beaucoup de questions sur lui-même et sur sa famille.
Price puise dans les souvenirs de l’écrivain, suppose-t-on en le voyant, au premier chapitre, combattre pour un titre qui lui échappe, en partie par sa faute, parce qu’il s’est montré impatient devant un adversaire dont il connaissait pourtant le seul atout. « Je m’abandonnai dans la défaite comme si c’était là ma vraie place. » Cette scène inaugurale ne sortira jamais de son esprit, ni du nôtre.
Elle est en partie compensée par la vision de Rachel, qu’il aperçoit en se promenant dans sa ville – East Chicago, dans l’Indiana, dominée par la flamme de la Sunrise Oil, une raffinerie de pétrole qui jouera, plus tard, beaucoup plus que le rôle d’un décor. Ce sera lorsque Larry, un de ses deux meilleurs amis, finira par transformer sa violence intérieure en acte. Au moment où Rachel s’apprête à disparaître après avoir fait comprendre à Daniel une vérité à laquelle il refusait de croire. Au moment, aussi, où la menace que représentait le père de Daniel s’est atténuée dans la maladie…
Parfois perdu entre les personnes qui l’entourent, comme si elles jouaient des rôles auxquels il ne comprend pas tout, Daniel écrit ce qui pourrait être le journal de chacun de ses proches, leur prêtant des réflexions qu’il fait siennes. Et capable ainsi, espère-t-il, d’approcher mieux leur mystère. Il fait œuvre d’écrivain, se glissant dans la peau de plusieurs personnages, adoptant, pour conclure, sous un nouveau nom, une autre voix que la sienne, à moins qu’il ait trouvé sa vérité profonde : « Aujourd’hui, j’ai quitté l’endroit où j’ai grandi, convaincu que le destin n’est qu’un mirage. Pour autant que je sache, il n’y a que la vie, et je me réjouis à l’idée de la vivre. »
Un été suffit à Daniel Price pour s’affirmer, contre tous les obstacles. Il est raconté de l’intérieur, dans la chambre d’échos qu’est ce beau roman.

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