mercredi 19 juillet 2017

Max Gallo plus que centenaire en livres publiés

On savait Max Gallo malade, il l’avait lui-même annoncé. Aujourd’hui, j’apprends sa mort, à l’âge de 85 ans. Il n’y aura pas de place dans sa tombe, s’il en a une, pour y placer son œuvre complète, sinon en édition numérique : il a publié, lis-je sur le site de France Info, plus d’une centaine de livres. Je n’avais pas compté, mais je ne suis pas surpris. D’une part parce que j’étais bien incapable de lire un ouvrage sur Mussolini quand il a publié le sien chez Marabout, dont les collections tapissaient des murs de la maison où je vivais enfant – et c’était déjà une réédition, en 1966… D’autre part parce que l’abondance de sa production a fini par me détourner de ses livres, je n’arrivais pas à suivre et surtout ceux que j’avais ouverts m’ont semblé assez bâclés. Il n’est pas le premier académicien français à avoir pressé sa documentation jusqu’au bout des possibilités de contrats avec des éditeurs. Il n’est probablement pas le dernier non plus.
Autre chose m’en avait aussi éloigné, qui est plus personnel et, pour tout dire, un peu idiot, avant le temps où les lectures m’ont étouffé.
Je l’aimais pourtant bien, Max Gallo, dans les années 70, et cela a duré. Nous nous étions rencontrés plusieurs fois, il y avait de la sympathie. Je crois. Quand il a donné, à un personnage déplaisant d’un de ses romans (j’ai oublié lequel), mes prénom et nom, j’ai éprouvé un malaise que je n’ai ai malheureusement jamais eu l’occasion d’évoquer avec lui. C’était vers le milieu des années 90, et puis de toute manière j’ai quitté l’Europe en même temps que Max Gallo et ses livres.
J’avais éprouvé du plaisir avec Le cortège des vainqueurs, Un pas vers la mer, L’oiseau des origines, la suite romanesque de La baie des Anges, quelques autres aussi. Puis le plaisir a diminué, s’est estompé. Tout s’explique, je pense, quand je relis les quatre articles brefs que je retrouve, écrits sur quelques ouvrages pendant une période assez courte, entre 1995 et 1998. Ils sont généralement consacrés à des rééditions au format de poche et la date que je donne est celle de leur parution dans Le Soir. Ils sont tels qu’ils sont parus, et se répètent, pour le lecteur d’un quotidien qui ne se souvient pas toujours de l’article précédent…
Voici ces quelques textes.

Les rois sans visage (1995)
Entre la publication, au printemps, du Fils de Klara H et celle, à l’automne, de L’Ambitieuse, deux volumes du vaste cycle La Machinerie humaine, la réédition des Rois sans visage permet au lecteur ayant pris le train en marche d’accéder à un autre pan de ce portrait du siècle.
On y découvre les fils secrets du pouvoir, ceux qui lient souterrainement des hommes détenteurs d’un passé inavouable, mais que d’aucuns aimeraient mettre au jour. Le conflit est fondamental, entre la vérité et le mensonge. Et, comme il le fait si bien, Max Gallo le traduit dans une aventure humaine dont les protagonistes nous touchent directement, parce qu’il nous les fait connaître de près sans rien masquer de ce qu’ils sont.
Notons que, si La Machinerie humaine est construite comme un ensemble cohérent, chacun de ses épisodes est détaché des autres et peut se découvrir indépendamment des précédents. C’est au hasard des lectures dans le désordre qu’on rencontrera des personnages déjà croisés ailleurs…

La part de Dieu (1996)
Max Gallo poursuit, à grandes enjambées, la construction de cette Machinerie humaine qui se veut, et qui de plus en plus est, l’équivalent de La Comédie humaine de Balzac, celle-ci pour le dix-neuvième siècle, celle-là pour le nôtre. Septième volume de cette entreprise romanesque à l’ambition rarement égalée à notre époque, La part de Dieu en est aussi le troisième à paraître en moins d’un an, ce qui témoigne d’une création à jet continu, et cependant très organisée, inspirée par les questions d’une époque dont les ambiguïtés ne sont pas moindres qu’il y a un siècle.
Le livre qui vient de paraître, où on retrouve un certain nombre de personnages déjà rencontrés précédemment mais qui peut se lire sans rien savoir des épisodes précédents, aborde la question délicate des nouvelles croisades engendrées par la nouvelle donne sociale d’aujourd’hui.
Prenons une cité (autrefois, sans doute, dite « modèle ») dans laquelle, à Clermont, ville de départ des croisades catholiques d’autrefois, vivent un grand nombre de musulmans. Certains de ceux-ci, sous prétexte de résister à une assimilation qu’ils trouvent fondamentalement malsaine, agitent des idées qui les conduisent à des actes violents, ou au moins à les susciter. Et, quand des meurtres sont commis dans les environs, le commissaire Beaufort tente de relier tous les éléments dans un ensemble cohérent dont tous les liens soient satisfaisants pour l’esprit.
Mais comment détacher complètement les réactions personnelles de l’intérêt général ? Une des forces de ce roman de Max Gallo est de ne pas masquer les faiblesses d’un homme qui, pour représenter la loi, n’en est pas moins homme, et s’engage par conséquent parfois sur des voies sans issue pour des raisons purement personnelles.
Posant des questions graves, et le faisant, ce qui est la force du romancier, avec un côté visionnaire – Max Gallo précise qu’il a terminé ce livre avant les récents attentats imputés à l’intégrisme musulman –, l’auteur met en scène les dessous de notre monde. Il est bon que l’écrivain ne laisse pas à l’information le droit absolu à la vérité. La fiction a en effet cette qualité particulière, quand elle est intelligemment menée, de rendre compte du réel avec une force singulière qui la rend sans doute intelligible au grand public, et qui lui donne du sens. Et c’est d’autant plus vrai que ce sens n’est pas restitué de manière simpliste, voire manichéenne.
Max Gallo n’est pas un écrivain de haut vol, un de ceux dont la langue interpelle dès les premières lignes d’un livre. Mais il possède d’autres qualités, tout aussi indispensables à la liberté d’expression, puisqu’il dénonce les aspects cachés de notre société et démonte les mécanismes du secret dont nous nous satisfaisons trop souvent.

Le fils de Klara H. (1997)
Dans son immense Machinerie humaine, un ensemble romanesque dont un nouveau volume doit d’ailleurs sortir ces jours-ci (La femme derrière le miroir, chez Fayard), Le fils de Klara H. est un des titres les plus durs et les plus humains de Max Gallo. Il y accomplit le tour de force qui consiste à voir un personnage honni, Hitler, par les yeux de sa mère – la Klara H. du titre.
En même temps, par une mise en parallèle qui fonctionne à la perfection, à la manière d’une machinerie, précisément, très au point, il saute par-delà quelques décennies pour mettre en scène un authentique complot d’extrême-droite situé dans notre présent, et qui trouve ses racines dans les années d’entre-deux guerres.
L’horreur d’une violence extrême appartient à notre quotidien, les événements de l’année dernière en Belgique nous l’ont abondamment prouvé. Le romancier, avec les qualités d’un visionnaire, place des faits comparables, bien que différents, dans le contexte d’une idéologie qu’il ne finira jamais de dénoncer.

Le faiseur d’or (1998)
Serge Derain, dans le huitième volume de La machinerie humaine, est un écrivain ambitieux mais dont le succès des deux premiers romans n’est pas à la hauteur des attentes affichées par son éditeur. Au lieu de publier son troisième livre, celui-ci le lance donc sur un projet plus commercial. Etant entendu que l’argent appelle l’argent, le sujet en sera Samuel Ringel, grand financier, gourou de Wall Street, au passé soigneusement réécrit et aux méthodes expéditives.
Derain n’a pas l’habitude de côtoyer ce monde. Il en sera très vite le prisonnier, retenu par des chaînes en or – l’argent et son pouvoir ! – avant de basculer une fois encore devant l’horreur de ce qu’il découvre. Gallo joue avec les réseaux de la haute finance pour en démonter les mécanismes secrets, et montrer comment l’or appelle la mort.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire