mercredi 23 août 2017

Le troisième roman de Dinaw Mengestu

Un léger doute s’installe très rapidement à propos de l’identité du narrateur masculin dans le troisième roman de Dinaw Mengestu, Tous nos noms. Dans les chapitres intitulés « Isaac », et qui sont proposés en alternance avec ceux attribués à « Helen », le prénom ne désigne pas toujours la même personne. Il y a un Isaac en Afrique, ami du narrateur. Puis, aux Etats-Unis, Helen se trouve devant un autre Isaac, dont d’ailleurs elle tombe amoureuse malgré leur relation d’une durée limitée en principe à celle d’une bourse d’étudiant. Un autre Isaac, ou le même ? Le doute se renforce, le récit semble fournir des clés pour comprendre mais de temps à autre les éparpille. Et nous ne savons plus quelles serrures elles ouvrent.
Le destin du jeune Africain de vingt-cinq ans en route vers Kampala est intimement lié au choix qu’il fait à ce moment : « Dans le bus qui m’emmenait à la capitale, je décidai de renoncer à tous les noms que mes parents m’avaient donnés. » Il s’en expliquera plus en détail par la suite : il a reçu treize noms à la naissance, issus des générations précédentes. Et, en décidant de les effacer, il n’est plus personne : « c’était exactement ce que je voulais », conclut-il.
Son seul projet, en découvrant la capitale ougandaise, est devenir un écrivain comme ceux qui s’y sont réunis, a-t-il appris. Mais leur congrès s’est achevé, ils sont repartis et il ne reste, dans la ville et le pays, que des ambitions révolutionnaires partagées par son meilleur, son seul ami – Isaac. Dont le nom… mais on vous laisse le soin de découvrir le cheminement lié à cette question d’identité, car il est le moteur narratif du roman.
Si le narrateur n’est pas certain de s’appeler Isaac, la narratrice, assistante sociale chargée de l’accompagner dans ses démarches au cours de son installation dans la région du Midwest, aura elle aussi bien des occasions de se demander ce qu’il cache. Séduite, Helen oublie parfois toute prudence. Et s’étonne un peu, l’instant d’après, de voir renaître ses doutes sur la personnalité d’Isaac. Qui est-il vraiment, qu’a-t-il fait en Afrique pour avoir été obligé de fuir ?
Tous nos noms pourrait être une réflexion romanesque sur le mensonge. Mais c’est encore plus compliqué : des ambiguïtés multiples et parfois contradictoires forment une charpente peu convenue. Celle-ci, en effet, au lieu de soutenir la construction, l’ébranle de l’intérieur, dessine des failles plutôt que des points d’appui.
Le lecteur ne se trouve pas dans un livre confortable où tout ce qui est acquis ne serait jamais remis en question. Au contraire, les questions naissent des réponses elles-mêmes. Mais cela se fait en imitant le flux de la vie, ses méandres et les croisements hasardeux auxquels Isaac, continuons à l’appeler ainsi par facilité, doit d’être devenu un personnage d’une richesse exceptionnelle.

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