mercredi 6 septembre 2017

« Diadorim », un roman inépuisable

Diadorim est un long monologue, tenu sans faiblir sur 900 pages (au format de poche de cette réédition). Riobaldo y raconte sa vie aventureuse et amoureuse, avec un élan impossible à contenir et dans un désordre auquel il faut bien se faire, d’autant qu’il nous demande si gentiment de le lui pardonner : « Veuillez m’excuser, je sais que je parle trop, des à-côtés. Je dérape. C’est le fait de la vieillesse. » Mais aussi, qu’est-ce qui vaut et qu’est-ce qui ne vaut pas ? Tout. En effet, comment choisir parmi les souvenirs quand tout revient à la surface de la mémoire avec la même force ? Le problème, c’est que la mémoire, bien qu’elle fasse mine de trier des informations reçues n’accomplit ce travail qu’avec une fantaisie pour le moins légère. Et c’est cette légèreté même, appliquée jusqu’aux choses les plus graves, qui permet de tout faire passer.
En même temps, l’écrivain João Guimarães Rosa s’est trouvé une bonne raison à ce désordre. Ce n’est pas lui qui parle, c’est son personnage. Et son personnage dit : « Pardonnez ces licences maladroites dans ma narration. C’est l’ignorance. Je ne converse, ou presque, avec personne de l’extérieur. Je ne sais pas raconter selon les règles. J’ai un peu appris avec mon compère Quelemém ; mais il veut tout savoir différemment : ce qu’il veut ce n’est pas l’affaire en soi, en elle-même, mais le suc de la chose, l’autre-chose. » Voilà la clé : tous ces détours ne sont pas là pour égarer, mais pour éclairer.
João Guimarães Rosa situe Diadorim, un roman publié en 1956, à la fin du siècle dernier, dans une région bien précise du Brésil, – et ceci compte davantage encore que cela –, dans le Minas-Geraïs, dans un paysage géographique qui s’étend, depuis l’ouest de Bahia, et le Goïas, jusqu’aux Etats du Piaui et du Maranhao. Faudrait-il une carte ? Pas du tout : il est question, l’auteur le souligne lui-même, d’un paysage. Qu’on sache donc seulement ce qu’est ce paysage : des « veretas », mot que la traductrice a rendu, selon les cas, par clairière, fond de vallée, parfois basse-plaine, etc. Dans cette oasis où pousse une espèce de palmier, le buriti, la fertilité attise les convoitises. Et à une époque où les propriétaires sont prêts à se battre, voire même à lever de véritables armées, pour défendre ou conquérir leur bien, on imagine l’importance de tel lieu. Il constitue la clé du roman – une des clés car, comme le soulignait Mario Vargas Llosa, le plus bel éloge qu’on puisse faire à ce roman est d’être ambigu, multiple, destiné à durer, difficilement saisissable dans sa totalité, trompeur et fascinant comme la vie immédiate, profond et inépuisable comme la réalité elle-même.
Une autre clé serait le lien de nature homosexuelle qui lie le narrateur, Rio Baldo, à son ami Diadorim : plus qu’un ami, un amant de cœur, avec la violence de la jalousie qui se manifeste régulièrement.
On y verra aussi le récit presque mystique d’un pacte avec le diable. On y verra, à travers des scènes guerrières dites parfois, avec un sens aigu du paradoxe, pacifique, une leçon d’humanité, sans complaisance ni maladresse. On y verra, pour être simple, tout ce qu’on veut, tant on y trouve de facettes complémentaires d’une existence envisagée dans sa totalité : livre total, Diadorim est en effet inépuisable.

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