mercredi 27 décembre 2017

14-18, Albert Londres : «Ici vous respirerez avec délices.»



Le Monte Grappa ou le « Mont du Jour »

(De notre correspondant de guerre à l’armée d’Italie.)
Front italien, 20 décembre.
Je vais vous conduire sur le Monte Grappa. Il convient que vous connaissiez cette masse de terre au même titre que les fleuves ou les autres sommets qu’une passe critique de la grande guerre a soudainement rendus célèbres. À ce Noël 1917, le Monte Grappa est pour l’ennemi ce que fut l’Yser. Derrière l’Yser, il voyait Calais ; en bas du Monte Grappa il vise la plaine, cette plaine chaude et fleurie qui, déjà au temps des luttes sans canon, faisait rire de joie, devant les fruits qu’elle lui promettait, le Barbare venu aussi du Nord.
Depuis un mois et plus, nous voici à la guerre d’Italie. Le matin, les journaux, et le soir, le bulletin de Diaz, ne nous parlent que du Monte Grappa. Quand, sans doute pour varier, la phrase débute par ces mots : « Entre Brenta et Piave », nous ne nous laissons pas prendre au changement, c’est toujours du Monte Grappa qu’il s’agit, effectivement, deux lignes plus bas ; continuant son rôle de sommet, il émerge de la note.
À lui seul il accapare la scène. Les correspondants ne connaissent que lui.
Quittons, par exemple, Padoue. Vous roulerez pendant une heure dans la campagne vénitienne, puis vous tomberez sur une vieille ville forte – du temps où l’on était fort et fier, derrière des murs – c’est une ancienne citadelle qui pour qu’on ne s’y trompe pas s’appelle Citadella. Vous aurez ainsi la preuve que, de tout temps dans cet endroit, la descente du Barbare fut redoutée. Puis vous irez treize kilomètres encore. Une ville s’ouvrira devant vous : Bassano.
Ici vous respirerez avec délices ; un climat et une vision d’été s’offriront à vous.

Tout un système de monts

Vous gagnerez la base de la montagne. Voici le Grappa. Le Grappa n’est pas qu’un sommet. D’où nous sommes, à cette minute, nous n’en voyons même pas le sommet. Le Grappa est un système de monts, avec de nombreuses arêtes, de nombreux pics et plusieurs cols. La première et large masse de terre qui forme l’avancée du Grappa est rayée de grands traits superposés et audacieux. C’est la route fantastique que la jeune Italie, successeur de Rome, comme un immense éclair a jeté sur cette pente. Prenons-la. Ne croyez pas qu’elle soit dégagée. Les grands boulevards en temps de paix ne sont pas encombrés autant. Ce n’est pas le même monde. Des camions, avec une adresse digne du cirque, montent et descendent vivement.

En action

Sans hésitations, les chauffeurs conduisent leur machine. Des cols à la plaine, chaque jour ils accomplissent ainsi leur travail de sang-froid et de courage. Ce sont des jeunes hommes sans peur, admirons-les. Et voilà les canons, il en est qui montent, il en est qui descendent. Le cheval n’étant pas assez sûr le long de ces abîmes, ce sont les hommes qui les descendent. Les artilleurs, accrochés à leur pièce, la guident et la retiennent. Visions de vieilles gravures en pleine guerre moderne. Montons. Camions, autos, canons, régiments, tout serpente au flanc du Grappa. La défense de l’Italie, aujourd’hui, se concentre là. Dans toutes les villes du royaume, du sud au nord, la population, avec anxiété, attend le soir pour connaître le communiqué. Et ce communiqué qu’à haute voix celui qui a le plus beau timbre, sur la place publique, lit pour tous les autres, c’est ici qu’il se fait. Voilà le sommet, le seul point blanc, son capuchon de neige est ajouré par les trous d’obus. Les fusants éclatent autour de la madone. Les batteries amies beuglent dans les défilés. Entre ces pics, le son traîne avec un bruit de lourds wagons. Le Grappa est en action. Montons encore, ce n’est pas là que, présentement, se passe le drame, c’est à gauche de la madone. Nous sommes bien à un col, un autre le précède. Regardez, de ce pic-là vous l’apercevez. C’est le col de la Berretta. Là, entre Allemands et Italiens, furieusement, se joue la partie.

Le Petit Journal, 23 décembre 1917.

Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:

Dans la même collection

Jean Giraudoux
Lectures pour une ombre
Edith Wharton
Voyages au front de Dunkerque à Belfort
Georges Ohnet
Journal d’un bourgeois de Paris pendant la guerre de 1914. Intégrale
ou tous les fascicules (de 1 à 17) en autant de volumes
Isabelle Rimbaud
Dans les remous de la bataille

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire