lundi 11 décembre 2017

John Le Carré dévoile le dessous des cartes

Parmi les films tirés de ses œuvres, estime John Le Carré, les meilleurs « sont ceux qui n’ont jamais vu le jour. » Si l’on en juge d’après les noms des réalisateurs tentés par une adaptation sans aller jusqu’au bout, il a peut-être raison : Fritz Lang, Sydney Pollack, Francis Ford Coppola ou Stanley Kubrick. Mais, lui dira Pollack, « pourquoi vous acharnez-vous à écrire des bouquins si compliqués ? »
La réponse à la question du cinéaste se trouve entre les lignes du livre autobiographique de John Le Carré, Le tunnel aux pigeons. En deux explications.
La première est apportée par les scènes où David Cornwell – son véritable nom – est sur le terrain. Le terrain est complexe et il faut bien que les romans rendent compte de l’embrouillamini qu’est souvent la réalité. Les lecteurs de ses livres, de La Taupe à Un traître à notre goût, d’Une petite ville en Allemagne au Chant de la mission se réjouiront de découvrir le dessous des cartes. Ce qui, dans le travail d’espion sans grade, dans les rencontres, dans les voyages, a été emprunté à ses notes prises sur le vif par l’écrivain. On relève au passage qu’il fait davantage confiance à celles-ci qu’aux photographies qu’il aurait pu prendre – et dont il se passe donc sans regrets. « Quand j’écris une note, ma mémoire enregistre cette pensée ; quand je prends une photo, l’appareil me vole mon travail. »
Certains souvenirs ont une saveur toute particulière. L’histoire des rencontres avec Yasser Arafat, par exemple, semble inventée tant elle est hors normes. A cette occasion, et en quelques autres, on comprend comment Le Carré voyage, quand c’est dans le but d’écrire un roman, en compagnie de ses personnages : ce qu’il vit, il ne le ressent pas directement lui-même mais le donne à connaître à ces êtres de fiction qui s’animent et réagissent à travers lui. « J’ai longtemps cru ma façon de procéder unique, jusqu’à ce que je rencontre un célèbre photographe de guerre qui m’avoua que c’était seulement lorsqu’il regardait dans le viseur de son appareil que sa peur le quittait. »
La deuxième explication à la complexité de ses livres est plus personnelle, liée à son enfance. C’est la plus intéressante. Il écrit : « Ce n’est pas l’espionnage qui m’a initié au secret. La tromperie et l’esquive avaient été les armes indispensables de mon enfance. » La preuve par l’absence de la mère et la carrière assez particulière de son père, escroc de haut vol, séducteur entouré d’une cour d’admirateurs et encore davantage d’admiratrices. Face à lui qui pratiquait le mensonge et la dissimulation comme des arts à part entière, il fallait bien se défendre. Ce qu’apprit très vite l’enfant, l’adolescent, l’adulte – et l’écrivain, « fils du père de l’auteur », comme il l’écrivait en ajoutant sa signature à celle que Ronnie, le père, avait déjà apposée sur certains exemplaires de ses romans. Il avait inventé ses vies, le fils allait en inventer d’autres.

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