mardi 23 janvier 2018

Didier Decoin en quête de fragrances nouvelles dans le Japon ancien

La mort de Katsuro, pêcheur et fournisseur de carpes à la cour impériale, précipite le destin de Miyuki, sa veuve. Décidée à transporter les poissons déjà pêchés, elle entreprend une longue marche aux résultats incertains. C’est moins d’ailleurs par ce qu’elle apporte au Bureau des jardins et des étangs que par l’odeur spécifique de son corps qu’elle devient une femme remarquable. Tout est beau dans Le Bureau des jardin et des étangs, et aussi puissant que beau.
Qu’est-ce qui vous a attiré du côté du Japon ?
La littérature, d’abord. Je suis tombé « in love » avec le Japon en lisant notamment les Journaux des dames de cour ou Le Dit du Genji qui est pour moi l’invention du roman, de la vraie fiction qui date d’ailleurs de l’époque de mon propre roman.
Donc, une littérature ancienne ?
Mes goûts vont jusqu’à Murakami. A mes yeux, le plus grand littérateur japonais est Yasunari Kawabata. Son portrait est dans ma bibliothèque, juste derrière moi, il regarde par-dessus mon épaule, et de temps en temps je lui demande son point de vue sur ce que j’écris. Il ne me répond pas, mais son regard se fait parfois sévère.
Il y a donc longtemps que vous pensiez à écrire un roman japonais ?
Oui, mais c’est toujours le même problème, il faut une histoire. J’accumulais des informations, de la documentation. Et la petite Miyuki est née, un jour. J’ai lu dans un magazine qu’il y avait des concours de fragrances au Japon à cette époque-là, et je me suis dit que c’était extraordinaire. Moi qui suis passionné par les odeurs, de penser qu’il y avait des concours de parfums, j’ai eu l’idée d’envoyer une petite paysanne sale, souillée de partout, porter son odeur étrange au milieu du raffinement extrême de la cour impériale pour voir ce qui allait se passer.
On pense au Parfum de Patrick Süskind. Vous l’aviez aussi à l’esprit ?
Oui, bien sûr. Je déteste Süskind, je le hais, je voudrais l’écrabouiller.
Vous auriez voulu écrire ce livre ?
Evidemment. Quand j’ai su qu’il y avait un livre qui s’appelait Le Parfum, je me suis précipité dessus. Dès les premières pages, j’ai été effondré, c’était horrible. C’est ça que je voulais faire, moi ! Pourquoi il l’a fait, lui ? En plus, il l’a fait bien, il a fait un livre merveilleux.
En vous lisant, on se demande si vous avez voulu donner une reconstitution précise de l’époque ou si l’esprit du temps est l’essentiel.
C’est les deux. La reconstitution, c’est le plancher sur lequel je peux marcher. Si je n’ai pas ça, je ne peux pas faire avancer le livre. Quand on écrit de la fiction, il faut avoir des garde-fous, sinon on tombe à l’eau. Et on tombe à l’eau en entraînant son lecteur dans l’abîme. Quel que soit le livre que j’écris, j’ai toujours procédé de la même manière : être le plus précis, le plus solide possible dans la documentation pour me libérer complètement à côté, pour avoir des personnages complètement inventés.
Est-ce une histoire d’amour ?
Ah ! oui ! C’est une histoire de passion, parce qu’elle adore son mari. C’est l’homme de sa vie qui est mort, qu’elle a enterré. Mais, dans son esprit, il n’est pas vraiment mort, il est à côté d’elle, il chemine avec elle. C’est aussi un livre pour dire non au néant. Il y a chez moi un refus viscéral du néant, qui se traduit par l’idée que Katsuro marche à côté de Miyuki, qu’elle peut continuer à l’aimer. Ce n’est pas parce qu’on est dans le silence qu’on ne peut plus aimer.
Dans le déroulement du roman, il y a une astuce assez habile, au moment où Miyuki couche presque avec le directeur du Bureau des jardins et des étangs, sans savoir qui il est. Vous le dites, en revanche, tout à la fin de cette scène, discrètement, comme si vous n’étiez pas sûr que le lecteur a besoin de le savoir.
Quand j’écris un livre, je pense toujours que le lecteur l’écrit avec moi. Si je suis tout seul, ça ne sert à rien d’écrire. Il y a un co-auteur qui est le lecteur. Donc je lui fais des clins d’œil, des chatouilles, des coucous… C’est moi qui signe le livre mais chaque personne qui le lit peut avoir une vision particulière des personnages. Miyuki n’est pratiquement pas décrite, à chacun de l’imaginer comme il veut.
On sait qu’elle a 27 ans.
Oui, ce n’est pas beaucoup mais, pour l’époque, ce n’était pas mal. Je crois qu’elle ressemble à l’image de la couverture du livre, mais c’est une image personnelle.
Le titre du livre, « Le Bureau des jardins et des étangs », semble détourner le regard de son héroïne. Pourquoi ?
J’ai choisi ce titre parce que c’est le but de Miyuki : arriver au Bureau des jardins et des étangs. Ce qui est important dans le tir à l’arc, ce n’est pas la flèche, c’est la cible. En plus, quand on prononce le mot « jardin » et le mot « étang », ce sont des mots qui me parlent.
Parce qu’il y a toute une vie dedans ?
Dedans et autour. Ce sont des endroits extraordinaires qui sont près de palais. Un étang sacré, ce n’est pas rien.
Nagusa, le directeur, ne supporte pas l’odeur de Miyuki…
Il ne sait pas s’il la supporte ou pas. Il en est extraordinairement troublé. A priori, elle ne sent pas bon. Mais, en réfléchissant bien, peut-être qu’il va changer d’avis.
Où situez-vous ce roman dans votre œuvre ?
C’est mon préféré, tout simplement.
Parce que c’est le dernier, ou parce qu’il a quelque chose en plus ? 
Non, non. Parce que je me suis plus investi. C’est le plus sincère, c’est le plus vrai, celui qui me ressemble le plus. Il traite d’une double thématique que j’aime, la jeune femme, le parfum – l’odeur, la senteur, la fragrance, comme vous voulez. C’est le voyage, aussi, et il y a l’exil, l’exode, l’humilité, la soumission. J’aurais aimé connaître ce monde-là. Avoir une maison en bois avec des fenêtres en papier, ça m’aurait beaucoup plu.

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